Radiographie de l'interactivité radiophonique( Télécharger le fichier original )par Blandine Schmidt Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008 |
B. L 'interactivité sur la bande FM de nosjoursDepuis longtemps, les auditeurs sont associés aux programmes des radios; mais l'espace qui leur est consenti n'a pas cessé d'évoluer. Aujourd'hui, l'interactivité est un phénomène omniprésent sur la bande FM française, emmenant les auditeurs à écouter du matin au soir leurs semblables. Toutefois la nature et la durée du don de la parole sont propres à chaque station, voire à chaque émission. Afin d'illustrer nos propos, nous allons tâcher de présenter un panorama des programmes interactifs en France. La diversité de l'offre proposée nous a conduit à classer, dans une optique de clarté, les émissions par « type » de radios. 1. Les radios nationales privées généralistes La concurrence accrue au sein des médias privés a engendré une course à l'auditeur, ayant comme principale conséquence une mutation des programmes. Pour certaines radios, il s'agissait même de survie. Selon Michel Meyer, les paysages radiophoniques européens et nord-américains ont été marqués, dès les années 1990, par la naissance de nouvelles radios 43 affirmant face à leurs aînées généralistes des identités ou des vocations thématiques fortes. Les radios généralistes privées ont ainsi dû moderniser leurs programmes afin de les rendre plus attrayants. Prenons l'exemple d'Europe 1. Après plusieurs années de déclin et d'hésitation, l'existence de la station, possédée majoritairement par le groupe de Jean-Luc Lagardère, est menacée. C'est dans ce contexte d'urgence que Jérôme Bellay prend la tête de la station en septembre 1996. Il considère que la seule issue d'Europe 1 est de se différencier en devenant une «radio parlée ». La grille de programmes est dès lors entièrement remaniée; les jeux, les émissions de divertissement et les séquences musicales sont éliminés de l'antenne, pour placer l'auditeur au centre de la démarche radiophonique. Pour Michel Meyer, si Jérôme Bellay s'est engagé dans cette formule talk radio «c'est bien parce qu'il savait que le reste des genres radiophoniques était irréversiblement « occupé »par d'autres. La 43 MEYER Michel, Paroles d'auditeurs, Paris, Syrtes, 2003, p 178 musique était devenue le monopole des NRJ, Skyrock et autres RFM et Nostalgie, et l'information la marque de fabrique de France Info ».44 Aujourd'hui, malgré l'arrivée de Jean-Pierre Elkabbach à la direction de la station en 2005, Europe 1 continue à forger son identité en donnant la parole aux auditeurs dans de nombreuses émissions. Toute la journée, l'auditeur peut intervenir dans les émissions matinales telles que «La question du jour» où les auditeurs peuvent poser leurs questions sur des thèmes d'actualité; mais aussi en journée avec «Faut qu'on en parle» présenté par Faustine Bollaert, une émission entièrement dédiée aux interventions des auditeurs sur des faits de société; sans oublier les émissions de nuit. La place laissée à l'auditeur varie selon les émissions, mais l'interactivité demeure un point d'ancrage fort de la radio. Ceci est confirmé par les nombreuses possibilités mises à la disposition de l'auditeur pour entrer en contact avec la station: appels téléphoniques, SMS, forum, chat, blog. Certains de ces services sont toutefois surtaxés, illustrant la nature commerciale de cette radio. Dans ce sens, l'ouverture de l'antenne aux auditeurs n'est-elle que la conséquence directe d'une logique marketing? Pour assurer son financement, une radio privée vend des espaces publicitaires à des annonceurs. La tarification de ces spots d'environ 30 secondes diffusés à l'antenne répond à une logique de flux. En effet, plus une tranche horaire bénéficiera d'une audience cumulée élevée, plus les espaces seront vendus chers et plus l'entreprise médiatique pourra faire du profit. La vitalité d'une station privée dépend donc de son auditorat. Les émissions interactives font partie des émissions les plus écoutées par les auditeurs, garantissant ainsi de bonnes audiences. Il est intéressant à ce stade d'évoquer l'exemple de RMC, qui était au bord de la faillite avant d'être rachetée par Nextradio. Au début de l'année 2001, Alain Weill, aux commandes de la station, renommée RMC-Info, a pris l'initiative de modifier la grille des programmes afin d'imposer progressivement le concept «news and talk ».45 Même si la radio 44MEYER Michel, op.cit. p 178 45 Le Monde, La nouvelle formule de RMC, 14janvier 2001, http://www.lemonde.fr/web/recherche_breve/1,13- 0,37-683733,0.html, consulté en mai 2008 a tendance à privilégier les émissions d'actualité et sportives, nous pouvons entendre sur cette antenne des émissions aux thématiques très variées afin de cibler un public le plus large possible. La quasi-totalité des émissions de RMC-Info ouvrent leurs antennes aux interventions des auditeurs. Plus de cent personnes prennent la parole chaque jour, permettant le débat entre auditeurs, la confrontation avec les journalistes, et les dialogues avec les animateurs. C'est l'appartenance même du média qui est ici remise en question. Les propos d'Alain Weill l'illustrent: «Pour séduire, une radio doit se comporter comme si elle appartenait à ses auditeurs. Et leur laisser beaucoup d'espace. »46 Le talk show possède plusieurs caractéristiques propres à ce type de programme; Charaudeau et Ghiglione se sont attachés à les définir. L'analyse développée ici pour le média télévisuel est tout à fait applicable au média radiophonique. D'abord, le talk show prend une place particulière dans l'espace public, en élargissant le champ de celui-ci par l'intégration des domaines du privé, de l'intime, des jugements et des affects individuels, tout en les socialisant. Puis il se donne à voir dans sa propre mise en scène, rendant la parole tellement visible qu'elle se vide de son contenu. «A vouloir révéler à tout prix et rendre tout visible, cette parole se donne comme un pur signifiant sans signifié ». De plus, on peut y entendre une parole du «moi-nous ». Ce «moi» individuel, «moyen », est considéré comme plus grand dénominateur commun, et de par sa banalité, de par son abstrait, il devient exemplaire, valant pour tous, «jouant le rôle de figure emblématique d'un symptôme collectif dans lequel chacun doit se retrouver ». Dans ce sens, les auteurs qualifient le talk show de tautologie identitaire. «Malgré tous les discours de justification produits par les auteurs des talk shows sur l'interactivité et la participation du téléspectateur, un «moi »sans «vous », un «je » sans «tu », puisque le «vous » et le «tu » sont intégrés dans le «moi-miroir-de-moimême »etÉ «des autres» ». Pour finir, le talk show exalte une nouvelle norme d'opinion publique, incluse dans un débat public véhiculé par le média, et y apportant une réponse (qui n'en est en fait pas une) de réparation au désordre social. Il est aussi à l'origine d'un nouveau spectacle par le mélange des thèmes des espaces public et privé, des genres du sérieux et du divertissement. Enfin, il est porteur d'une nouvelle idéologie « car sous prétexte de faire découvrir la vérité et d'y impliquer de façon interactive le téléspectateur, c'est à la consommation d'un fantasme de vérité « inessentielle » à laquelle celui-ci est convié sans 46 Télérama, n°2946, 28juin 2006 qu'il ait droit à la parole. »47 Les deux auteurs apportent ici une vision détaillée et critique de ce nouveau genre discursif qu'est le talk show . Il est important toutefois de préciser la popularité du dispositif. RMC -Info en est l'illustration. Alors que l'audience se trouvait au plus bas fin 2001 / début 2002, avec moins de 2 % d'audience cumulée, les résultats de la station se sont progressivement améliorés depuis la refonte des programmes. Même si l'audience cumulée n'est pas très importante sur la période janvier/mars 2008: 5,7 %, la durée d'écoute par auditeur est, quant à elle, élevée : 2h07, révélant la fidélité des auditeurs. L'ouverture de l'antenne aux auditeurs n'est pas la seule cause de la renaissance de cette radio. Il s'agit d'un phénomène global, répondant à des stratégies marketing, basées sur les courbes d'audience. La radio doit dans ce sens satisfaire l'auditeur devenu cible commerciale. Toutefois cette démarche n'exclut pas toute dérive comme en juge Michel Meyer: « RMCInfo est sur la pente du populisme. La tentation est énorme. Mais tout le monde sait, dans le monde médiatique, que le trash populiste reste en France un genre interdit. »48 Pour finir ce survol de l'interactivité au sein des stations généralistes privées, nous souhaitons nous concentrer sur RTL, première radio de France en terme d'audience. Encore une fois, de nombreuses émissions de cette station font intervenir les auditeurs en direct. Mais le grand rendez-vous proposé par RTL est bien celui programmé de 13 h à 14 h 30, du lundi au vendredi: «Les auditeurs ont la parole », créé par Nicolas Angel, qui officie depuis 1982 sur les ondes de RTL, après les informations. Depuis sa création, les présentateurs se succèdent à l'antenne, la place est aujourd'hui occupée par Jérôme Godefroy. «Son public est en radio celui de cette France profonde qui nourrit les reportages télévisés du 13 h de Pernaud sur TF1. » 49 Ce sont les «vrais gens » de la France profonde, Monsieur et Madame tout le monde qui prennent la parole pour intervenir sur des thèmes d'actualité. Les débats à l'antenne sont souvent houleux, animés, conséquence directe de la démarche de l'émission de recueillir les impressions des auditeurs à chaud. Il est utile de signaler que ce type d'émission peut être victime de son succès, avec des pics d'appels importants lors d'événements d'actualité forts. Par exemple, au lendemain du premier tour des élections présidentielles du 22 avril 2002, la station a du traiter 10 000 appels, dépassant outre mesure la moyenne (déjà élevée) de 1 500 appels par jour. Un filtrage important des auditeurs est donc mis en place, 47CHARAUDEAU Patrick, GHIGLIONE Rodolphe, La parole confisquée, Paris, Dunod, 1997, p 88-89 48 MEYER Michel, op.cit. p
178 respectant un protocole strict et permettant d'éviter toute dérive. Les appelants sont dans un premier temps invités à laisser leur nom, leur numéro de téléphone et le sens de la question ou de l'avis qu'ils souhaitent poser ou exprimer. Les standardistes établissent ainsi une fiche par auditeur. Selon les thèmes des émissions, un équilibre pour / contre est recherché. C'est l'assistant de l'émission, qui, sur la base des fiches, dresse la liste d'une dizaine d'auditeurs, avant de les interroger lui-même sur leurs motivations à intervenir à l'antenne. Proportionnellement, seule une faible minorité des appelants intervient en direct, ne représentant qu'une faible partie de l'auditoire.50 2. Les radios publiques De toutes les radios ayant un rayonnement national à Radio France, France Inter est sans contexte celle qui ouvre le plus son antenne aux auditeurs. De l'aube au crépuscule, de nombreuses émissions offrent à entendre des témoignages, questions, remarques d'auditeurs; certaines d'entre elles étant entièrement dédiées à cela. Parmi elles, le rendez-vous historique, de la station incarné par «Le téléphone sonne ». Créée en 1978, l'émission est aujourd'hui entre les mains d'Alain Bédouet de 19 h 20 à 20 h. L'émission traite de thèmes d'actualité, de faits de société et de politique. Les auditeurs sont invités à poser leurs questions ou à faire leurs remarques; les invités présents sont là pour y répondre. Le présentateur est maître de l'antenne, c'est lui qui donne et reprend la parole à tous les intervenants. Le dispositif est classique, pourtant l'émission rencontre une forte adhésion de la part des auditeurs de la station. Pour Alain Bédouet, «le dialogue avec l'auditeur est aussi vieux que la radio elle-même. Phénomène ancien, il répond cependant à un besoin nouveau. Je sens quant à moi pointer ce regain pour la prise de parole en direct depuis au moins dix ans. Aujourd'hui, on appelle cela libre antenne. C'est une mode. Et on mêle l'interactivité à toutes les sauces. On feint de découvrir le genre. Mais est-ce bien autre chose que l'expression du besoin des gens de défier par leurs questions ceux qui incarnent l'autorité ou le savoir, les experts, les journalistes, les hommes politiques? Ce que je sais, c'est que les auditeurs sont de plus en plus demandeurs, éclairés et exigeants. Ils sont las de 50MEYER Michel, op.cit. p 189 - 190 s'entendre expliquer le monde sans pouvoir réagir, mettre leur grain de sel dans les débats de l'époque. Les écouter est essentiel, car on apprend beaucoup de leurs centres d'intérêt, de leurs perceptions du monde. Cela rend la gent journaliste plus humble, plus rigoureuse et analytique. Ne jamais céder à la facilité, tant ceux qui nous écoutent sont lucides et jamais dupes de rien. Quoi que l'on croie, il y a des soirs où ce sont les auditeurs et non pas l'expert invité qui sauvent l'émission par la qualité de leurs interventions. »51 Un audi teur qui devient sauveur du contenu des émissions ? Ces considérations illustrent bien la place fondamentale occupée dès lors par l'auditeur au sein d'une radio. Sommes-nous actuellement en train d'assister à une réappropriation du média par les pratiques? Ou est -ce la manifestation, nullement spontanée, d'une ouverture plus importante de la part des radios? Pour Jean-Paul Cluzel, président de Radio France : «une radio publique n'est la propriété de personne. Elle appartient à la République. Ses auditeurs sont au centre, mais n'en sont pas propriétaires. Il est vrai que nous sommes sous la pression de certains d'entre eux. (É) Les Français paient une redevance pour que nous fassions du reportage, des fictions, des émissions élaborées. Nos auditeurs sont exigeants, cela ne les intéresse pas d'entendre ce qui se dit au café du Commerce... La grande leçon de ces dernières années a été de comprendre que le récepteur n'est pas inférieur à l'émetteur. »52 Pourtant à l'antenne, une fois que l'auditeur a posé sa question ou apporté sa remarque, il est basculé hors antenne, ne pouvant pas réagir à la réponse qui lui a été donnée. On ne lui accorde pas de droit de suite, sans doute par peur du dérapage. Il est donc nécessaire de ne pas être aveuglé par la liberté octroyée au sein d'un dispositif rigide. Les anonymes ont la possibilité d'intervenir sur l'antenne de France Inter dans un type de dispositif différent du don de la parole. «Là-bas, si j 'y suis» dirigée par Daniel Mermet, est une émission qui ouvre son antenne aux auditeurs par la diffusion de leurs messages laissés sur le répondeur de l'émission. De plus, l'émission propose des reportages centrés sur des anonymes. Deleu distingue de façon schématique deux genres d'émissions assez différents : d'abord celles qui donnent la parole à des victimes d'injustices, «Là-bas, si j 'y suis» étant marqué par un engagement social fort; puis les émissions qui souhaitent raconter à l'auditeur une «histoire» par le traitement d'un sujet original dans lequel le 51 MEYER Michel, op.cit. p206 52 Télérama, n°2946, 28juin 2006 journaliste donne la parole à des individus qu'il met en scène. Parfois ces deux genres se 53 mélangent au sein d'une même émission.L'anonyme qui prend la parole adopte soit le statut de «victime» soit celui de « personnage-héros ». Tout est mis en place pour justifier ces statuts. D'une part, il faut à tout prix que l'auditeur puisse plaindre la victime et de l'autre, la construction du « personnage-héros» s'établit par la place accordée à la personne interviewée, le contenu des séquences, etc. Dans ce disposi tif, le registre de l'émotion tient une large place et contribue à la réalisation du projet de parole. L'animateur revendique la volonté de toucher un public cosmopolite, ce qui correspond aux objectifs de la radio de service public. Le dispositif mélange pour cela le savant et le populaire, le tout pour créer de la proximité avec l'auditeur. On retrouve des objectifs similaires dans le réseau de stations locales de Radio France. France Bleu bénéficie d'un ancrage local fort tout en bénéficiant d'une couverture de diffusion importante dans les régions françaises. Il paraît logique, compte tenu de ces éléments, que les stations jouent la carte de l'interactivité. Sur les 43 stations, toutes ouvrent leurs antennes aux auditeurs afin qu'ils s'expriment sur les actualités locales et régionales, ainsi que nationale et internationale. Les matinales sont consacrées à des sujets de service ou d'intérêts pratiques, les après-midi étant plus réservés aux émissions de confidence, de joies et peines de coeur.54 Les locales de Radio France, fortes de leur ambition d'utilité publique demeurent proches géographiquement (et sentimentalement) de leurs auditeurs. Le média radiophonique a très tôt contribué au maintien des liens sociaux, tout en mettant à jour la persistance de certaines solidarités collectives dans des circonstances difficiles voire d'urgence. En effet, comme nous l'expliquent Cheval et Tudesq, depuis ses débuts, « la TSF devenue la radio s'est affirmée comme le média des temps de crise. Elle assume alors un rôle d'alerte, d'information. Elle se met aussi au service d'actions collectives en réaction aux situations rencontrées. »55 53DELEU Christophe, op.cit. p 170 54MEYER Michel, op. cit. p209 55 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean « Radiodiffusion et solidarité » in Les solidarités, le lien social dans tous ses états, sous la direction de Guillaume Pierre, 2001 p 57 Les stations de France Bleu ont toujours été présentes dans des moments d'urgence pour jouer, bien évidemment, un rôle informatif, mais aussi exceptionnellement d'assistance, comme le raconte Gabriel Valdisserri, qui, sous l'égide de Christiane Chadal, déléguée de Radio France pour le Sud-Méditerranée, pilota les actions de la station de Nîmes lors des inondations monstres de l'automne 2002. «Au plus fort du déluge, sur la commune de Chusclan, un homme s'est réfugié sur le toit de sa maison, prisonnier des flots avec ses trois enfants. Dans l'impossibilité de joindre une unité de secours, il a réussi à se connecter avec notre station via son portable, les réseaux n'étaient pas encore coupés à ce moment là. Le sinistré était fou d'angoisse et nous implorait pour qu'on lui vienne en aide. Les pompiers du Codis, fidèles auditeurs et très à l'écoute à cet instant, ont entendu cet appel désespéré et envoyé un hélicoptère sur place. Les enfants et leur père ont été hélitreuillés et sauvés ! »56 Au delà de l'anecdote, les stations restent présentes et à l'écoute des auditeurs, une fois les moments les plus difficiles passés. Lors des tempêtes de 1999 en France, les radios du réseau France Bleu ont informé les auditeurs durant les intempéries mais elles ont poursuivi les émissions pendant et après la tempête pour contribuer à rassurer les personnes isolées. Puis elles ont rendu compte, relayé, et suscité des actions concrètes de solidarité pour apporter aide et soutien aux victimes. Le don de la parole aux gens, a été semble-t-il à l'époque, un exutoire à une angoisse générale contenue. Certaines stations sont même devenues physiquement les plaques tournantes des initiatives d'entraide et de solidarité. Par exemple, les locaux de Radio France Périgord (ancêtre de France Bleu) ont à l'époque vu plusieurs centaines de personnes défilant du matin jusqu'au soir venant offrir ou rechercher entre autres choses, des piles (pour les postes de radio) et des bougies (pour s'éclairer).57 Ainsi, Radio France souhaite se démarquer des autres programmes interactifs, revendiquant une certaine conception de service public. La radio, dans ce cadre, joue-t-elle ce rôle essentiel de médiation entre les individus? 56MEYER Michel, op.cit. p212 57 CHEVAL Jean-Jacques et TUDESQ André-Jean, op.cit. p 57 - 58 3. Les radios jeunes Que ce soit NRJ, Fun radio ou Skyrock, toutes offrent un programme de libre antenne, en soirée. Actuellement, ce concept d'émission permettant aux auditeurs de s'exprimer à l'antenne dans un cadre a priori libre de contraintes, semble être l'élément incontournable à la réussite d'une radio ciblant les jeunes. En effet, ce type d'émission est perçu comme sans tabou, sans limites, où toute transgression devient possible. L'ambiance est extrêmement décontractée, allant du bon enfant aux propos les plus «crus ». Sur Fun radio, l'équipe du « Talk» (Sandra, Mélanie, Jeff, Pipo et Clément) officie de 21 heures à minuit depuis la rentré 2007, alors que sur NRJ « L'émission sans interdit» débute à 20 heures pour se terminer à minuit. Sur Skyrock, Difool et son équipe (Marie, Romano, Cédric, Samy, Momo, Karim) restent maîtres de la libre antenne, les soirs de la semaine de 21 heure à minuit, mais aussi le matin pour le « Morning» de 6 heures à 9 heures. La « Spéciale» rediffuse le dimanche les meilleurs moments de la semaine. Cette émission est sans conteste la plus populaire des libres antennes, Difool s'étant forgé au fil des années une certaine notoriété auprès de son public. Le concept de l'émission est simple: pas de conducteur, pas de sujets préparés ; les débats sont orientés par les auditeurs qui appellent, précise le coordinateur de l'antenne, Frédéric Musa, lors d'un entretien avec Michel Meyer. « Pas question de rédiger des fiches détaillées sur les auditeurs qui appellent. Un numéro de téléphone à nos deux standardistes afin de pouvoir rappeler la personne suffit. On se contente de repérer au feeling les loulous qui ne viennent à l'antenne que pour dire des insanités. Le but est de faire dialoguer les auditeurs, de nourrir une discussion entre des adolescents qui représentent 70 % de notre écoute. Difool, dans ce jeu -là, n'est ni un psychologue, ni un Monsieur-je-sais-tout. (É) En simple intermédiaire pour des gamins qui ont entre quinze et dix-neuf ans. Il n'invite que très rarement des invités en studio. En cas de dérapage, très rare, il gère la situation avec son habitude de la libre antenne. »58 Difool est ainsi considéré comme un expert, ayant su créer une symbiose totale avec son jeune auditoire. 58 MEYER Michel, op. cit. p 75 Le succès de ce type d'émission est expliqué sociologiquement par Glevarec. D'abord, la libre antenne peut être associée à un lieu de passage (analogie avec le rite de passage théorisé par Van Gennep) au moment de l'adolescence. Les radios jeunes travaillent les frontières qui séparent l'enfance de l'âge adulte. La libre antenne constituerait une sorte de «rites d'initiation» de l'adolescence. L'écoute des radios libres correspond à une certaine temporalité; le rejet de ce type d'émission correspond à la volonté de grandir, la fin de l'adolescence. La radio est un espace particulier, correspondant avec la culture de la chambre. L'adolescent souhaite ici s'émanciper du reste de sa famille. Ce type d'émission propose une ambiance particulière, entre un état d'esprit peu contraignant et une configuration sociale libérale. Cette ambiance permet la constitution d'une communauté, composée de l'animateur, de son équipe et des auditeurs. La notion de groupe est très importante à cet âge. De plus, l'espace de transgression qu'est la libre antenne plaît aux jeunes. Les libres antennes sont le révélateur du processus de socialisation, propre à la jeunesse contemporaine. Elle indiquent une forte intrication du privé et du public: le souci de soi et la responsabilité sociale. Elles montrent aussi qu'il existe pour les jeunes générations un autre espace symbolique structurant, en parallèle de la famille et de l'école.59 C'est parce que la libre antenne est en adéquation totale avec son public qu'elle connaît une adhésion et un succès aussi importants. 4. Les radios associatives et communautaires Les radios associatives ouvrent aussi leurs antennes aux auditeurs ou à des anonymes. Ces radios ne fonctionnent pas sur le régime de l'audience, dans la mesu re où elles ne sont pas financées par la publicité. Ceci leur permet d'être un instrument efficace sur le plan local au niveau politique ou social. Elles couvrent une faible partie du territoire (une municipalité ou un département) offrant ainsi une grande proximité à leurs auditeurs. Proximité renforcée par la mise en onde de leurs propos. Créant du lien social, il s'agit d'associer les gens aux décisions et projets locaux. 59 GLEVAREC Hervé, «Le moment radiophonique des adolescents : rites de passages et nouveaux agents de socialisation », Réseaux n°119, p 27 - 61 Deleu évoque le projet initial de Radio G (à Genevilliers) voulant rendre public le 60 débat sur les finances municipales et favoriser la participation populaire à ce débat.La parole des auditeurs a ici un poids important et peut influencer la politique locale. La faible couverture de la radio constitue sa force: les auditeurs résidant tous dans le même espace géographique, l'impact de la parole des gens s'en trouve renforcé. Une étude sur les auditeurs de Radio Courtoisie (Paris), réalisée par Sébastien Poulain61, montre l'attachement que les auditeurs témoignent pour leur station. Cette radio associative se distingue par son attachement aux idées d'extrême droite et par son ultra conservatisme. Les liens forts qui unissent la radio à ses auditeurs sont le résultat de l'appartenance à une même communauté idéologique. Par le biais de cette radio, les auditeurs confessent leurs idées et opinions, qu'ils ne peuvent pas exprimer ailleurs. Pour l'auteur, «l'expression de cette idéologie permet aux auditeurs de se sentir représentés, légitimés, sécurisés, défoulés, apaisés. »62 En effet, ils se considèrent exclus de la société, de par leur faible représentation dans les médias. Radio Courtoisie devient une arme contre la sous- représentation, et les propos diffusés à l'antenne permettent aux écoutants de se sentir légitimés dans leurs idées. «Radio Courtoisie, en tant que média, peut donner une plus grande visibilité à cette communauté. Cela fait partie du «contrat d'écoute »qui la lie à ses auditeurs. La communauté doit légitimer la radio. (É) Les auditeurs donnent un soutien économique et moral. En échange, la radio doit légitimer la communauté. Elle doit la rendre visible. Elle doit «l'exprimer»».63 L'interactivité est donc importante dans cette radio. Les auditeurs peuvent intervenir à la radio par voie postale, mais ils ont aussi la possibilité de se rencontrer lors de manifestations organisées par celle-ci. L'anonymat garanti par les messages lus à l'antenne leur offre une plus grande liberté de parole. Ainsi, la radio offre à ses auditeurs un espace médiatique pour exprimer leurs idées. On peut ici se questionner sur l'impact démocratique. En effet, les auditeurs sont invités à donner leur opinion, ils participent de ce fait au débat démocratique. Toutefois, les messages diffusés ne sont entendus que par les 60DELEU Christophe, op.cit. p45 61 POULAIN Sébastien, Les auditeurs de Radio Courtoisie, mémoire de DEA, sous la direction de Brigitte Le Grignou, Paris, Université Paris I, 2004 62 Ibid. p91 63 Ibid. p 99 auditeurs de la radio, eux-mêmes (plus ou moins) en accord avec les propos tenus. L'interactivité est-elle ici au service de la démocratie ou de la communauté? Les radios communautaires accordent aussi une place importante à l'interactivité. En effet, Deleu les définit comme offrant «un service à la communauté qui l'a créée ou à laquelle il s'adresse, tout en favorisant l'expression et la participation de celle-ci. »64 L'auteur poursuit en ajoutant qu'elle promotionne la convivialité, la démocratie et l'identité culturelle. Les auditeurs sont souvent conviés à s'exprimer, renforçant le lien social entre les individus et l'appartenance à une même communauté. Ce tour d'horizon sur les émissions interactives de la bande FM démontre la grande variété de l'offre. Si l'on se concentre sur le type d'intervention, nous pouvons constater que les prises de parole des auditeurs peuvent être regroupées et classées, malgré la diversité des thématiques proposées par les radios. Deleu s'est attaché à établir une typologie de plusieurs dispositifs radiophoniques d'octroi de la parole, en distinguant trois types de parole: - La parole forum : par téléphone, l'auditeur pose des questions ou donne son avis en direct sur tel ou tel sujet - La parole divan: l'auditeur appelle un psychologue à l'antenne pour lui faire part d'un problème - la parole documentaire : ici l'interview est montée, le journaliste ou l'animateur donne la parole à une personne racontant une expérience.65 Cette typologie se base sur les propos entendus à l'antenne. Une même émission peut être amenée à faire entendre différents types de parole. Elle nous permet toutefois de mettre à 64DELEU Christophe, op. cit.
p45 jour et de délimiter l'espace octroyé à l'auditeur pour qu'il puisse intervenir au sein des émissions interactives. Notre démarche se concentre sur un type particulier d'émission interactive, ne pouvant transparaître dans cette typologie. Notre réflexion se concentre sur un dispositif radiophonique très répandu aujourd'hui : le média pénètre dans le quotidien des auditeurs afin de les aider à régler un problème. Nous avons décidé de qualifier de service ce type de programme. |
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