Radiographie de l'interactivité radiophonique( Télécharger le fichier original )par Blandine Schmidt Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 - Master 2 recherche Sciences de l'information et de la Communication 2008 |
1ère PARTIE:LA PAROLE DES ANONYMES A LA RADIOI. La relation interactive radiophoniqueA. La parole des auditeurs, une longue tradition radiophoniquefrançaise1. Les prémices La radiodiffusion a toujours dû associer l'auditeur à ses programmes. L'attrait pour ce nouveau média a mobilisé les curieux, passionnés ou simples utilisateurs dans les coulisses des radios. L'auditeur est aussi considéré par les radios comme un simple «consommateur» qu'il faut séduire et fidéliser afin de garantir la survie de la radio. Les écoutants ont ainsi, depuis le début de la radio, participé aux programmes de manière plus ou moins directe, à la fois dans les radios privées et dans la radio d'Etat. Toutefois, ils restent absents de l'antenne. Le secteur public décide de confier à la société civile, au travers d'associations d'auditeurs, la gestion des stations. Pour Cheval, « ce système initial apparaît comme une tentative de gestion démocratique, associant le service public, des personnalités locales et des représentants des auditeurs, autour de cette nouvelle forme de communication dont on sous estime encore généralement les potentialités. »1 La radio d'Etat associe l'auditeur à la gestion des programmes, à travers des Conseils de gérance. Le décret du 24 novembre 1923, fixant le statut initial de la Radiophonie Française, permet la fondation de l'Association Générale des Auditeurs de TSF en 1924, qui organise la gestion des émissions de Paris PTT et de ses stations régionales sous forme tripartite. Il est ainsi mentionné que dans un but d'intérêt général, la gestion des programmes doit être assurée avec la collaboration de l'Etat, des producteurs et des usagers, sous l'autorité et le contrôle de l'Etat. Georges Mandel, ministre des PTT, s'attelle à organiser tout cela par deux décrets le 13 février 1935, fixant les rôles de chacun. Il est précisé que les Conseils de gérance (des stations régionales) sont composés de cinq délégués des services publics, de cinq représentants des sociétés de producteurs intellectuels et de dix membres élus par les auditeurs eux-mêmes.2 Des élections sont 1 CHEVAL Jean Jacques, Les radios en France, histoire, état et enjeux, Rennes, Apogée, 1997, p 32 2 HUTH Arno Georges, La radiodiffusion, puissance mondiale, Paris, Gallimard, 1937, p 96-97 organisées, conviant tous ceux qui s'acquittent de la redevance, instituée en 1933 pour tous les détenteurs d'un récepteur radiophonique. Le président de conseil est, quant à lui, désigné parmi des membres par le ministre des PTT. Enfin, le tout est encadré par un Conseil supérieur de la radiodiffusion: le ministre y nomme des personnalités devant représenter «toutes les formes de l'activité intellectuelle du pays »3. En mai 1935, les premières élections radiophoniques sont organisées, ne mobilisant que 11 % de l'électorat. Pourtant, les quelque 220 000 votants permettent à Georges Mandel d'évincer d'anciens dirigeants des postes publics qu'il souhaite écarter.4 Les postes privés considèrent l'auditeur plus comme un consommateur. Financés par la publicité, une grande écoute est la condition sine qua non à leur existence. Dans ce sens, ils vont créer un certain nombre d'événements pour attirer et fidéliser l'écoute. La radio entre même en contact direct avec les écoutants. Des excursions et des voyages collectifs sont organisés aux frais de la radio pour les adhérents de l'association regroupant leurs auditeurs. Par exemple, Radio Cité (créée en 1934 par Marcel Bleustein) organise pour son public plusieurs croisières de Bordeaux à Marseille en passant par le Portugal, le Maroc, l'Algérie et la Corse, à bord de paquebots spécialement loués à cet effet.5 De nombreuses organisations d'auditeurs se sont constituées à cette époque. Celles-ci permettent aux auditeurs d'avoir une influence bien plus grande que dans la plupart des pays européens selon Huth. Plusieurs associations regroupent donc les auditeurs de TSF ou « sansfilistes », et les représentent au sein des Conseils de Gérance. «L'Association de Radiophonie du Nord », créée en 1927 à Lille, est la plus importante, rassemblant quelque 50 000 membres. Toutes ces associations sont regroupées par la «Fédération Nationale de Radiodiffusion» à Paris, qui compte près de 100 000 membres. Plusieurs radios privées, comme le Poste Parisien, ont créé des associations du même type. 3 CHEVAL Jean Jacques, op. cit. p 33 4 Ibid. 5 DELEU Christophe, Les anonymes de la radio, Paris, De boeck, 2006, p21 Parallèlement à ces associations, on peut constater la présence de radio -clubs, eux aussi regroupés en fédérations. Un grand esprit de corporation leur permet de tous s'unir au sein de la «Confédération Nationale des radio-clubs de France et des Colonies », fondée en juillet 1923 à Paris. En 1936, on compte 17 fédérations avec plus de 400 radio-clubs réunissant près de 80 000 membres. Ces associations ont vu le jour dans le but de défendre les auditeurs contre les perturbations électriques et pour la lutte active contre les parasites. En effet, les mauvaises conditions de réception sont à l'époque les principales causes de revendications des auditeurs.6 Les auditeurs sont aussi présents dans les programmes à travers le courrier qu'ils envoient à la radio. Après sélection, les lettres sont lues à l'antenne, ce qui permet à l'auditeur d'intervenir directement à l'antenne, mais par procuration. Les raisons de la rédaction sont multiples : protestations, félicitations, insultes, opinions, plaisanteries. Enfin, l'auditeur va pouvoir intervenir à l'antenne dans les seules émissions de divertissement. Le premier jeu est diffusé sur Paris PTT en 1927. Les deux premières personnes qui appellent la station reçoivent un cadeau offert par des firmes commerciales. Radio Luxembourg organise en 1936 le premier radio crochet, permettant aux auditeurs de chanter afin de montrer leur talent.7 Pour finir, il est intéressant de souligner que l'auditeur, dans les débuts de la radio, n'est jamais associé aux programmes d'information. Outre le climat de censure qui règne sur la radio à cette époque,8 il existe pour Deleu deux raisons qui expliquent ce phénomène. Dans un premier temps, les auditeurs sont surtout intéressés par des questions d'ordre technique, la réception n'étant pas aussi bonne qu'aujourd'hui. Puis, les auditeurs passionnés de TSF peuvent à l'époque, sans trop de difficultés, créer leur propre radio. René Duval rapporte ainsi 6HUTH Arno Georges, op. cit. p 109 7DELEU Christophe, op. cit. p22 8 JEANNENEY Jean-Noël, Une histoire des médias, Paris, Seuil, 1996, p 156 les propos d'Antoine Bonnefous, créateur de Radio Béziers en 1927 : «Pourquoi n'être qu'un auditeur passif, quand on peut émettre ? »9 2. Europe 1, le direct et le téléphone Créée par Charles Michelson en novembre 1954, Europe n°1 bouleverse le paysage les l'époque. 10 radiophonique français en exploitant différentes innovations techniques deLa station va se rapprocher de son public et le faire intervenir
à l'antenne. Comme le disent Albert et Tudesq: «avant Europe 1,
la radio avait vécu longtemps sinon dans l'ignorance de son public (les
radios commerciales utilisèrent très vite les techniques
d'enquête sur l'écoute pour justifier les tarifs de
publicité), du moins dans la conviction que ses réalisateurs
savaient mieux que le public ce qui lui convenait pour ses divertissements ou
son information. »1 1 La priorité est donnée
à l'information, les journalistes se déplacent hors des studios
et diffusent en direct les évènements. Le magnétophone
Nagra, qui remplace l'encombrant «camion son », leur permet une
grande mobilité pour enregistrer les sons, en vue d'une diffusion a
posteriori. Sabbagh raconte cette anecdote: « Un jour, Antoine
Pinay, chef du gouvernement, débarque à Orly. Les micros se
tendent. Radio dynamique, Europe 1 va donner la parole aux auditeurs dans les émissions de divertissement mais aussi dans les émissions d'informations. On peut ainsi entendre l'auditeur à l'antenne dans l'émission de Pierre Bellemare : «Vous êtes formidables» créée en 1956. Le principe de l'émission est de mobiliser la solidarité des Français en faveur des sans-logis de la 9 DUVAL René, Histoire de la radio en France, Paris, Alain Moreau, 1979, p 185 10DELEU Christophe, op. cit. p25 11ALBERT Pierre et TUDESQ André-Jean, Histoire de la radio -télévision , Paris, PUF, Que sais-je, p 105 12 SABBAGH Antoine, La radio, rendez-vous sur les ondes, Paris, Découverte Gallimard, 1995, p 74 région parisienne, pour les mineurs sinistrés en Belgique, etc. Les auditeurs répondent avec enthousiasme aux injonctions insistantes et amicales de l'animateur, conteur de grands malheurs comme des petits tourments de la vie.13 La grande innovation de cette radio réside dans le fait que pour la première fois les auditeurs peuvent prendre la parole dans les émissions politiques. Dans «Cent mille Français ont raison », créée en 1955, les auditeurs sont interrogés par sondage sur leurs opinions politiques. Mais la trop grande liberté de ton de l'émission va la conduire à sa perte. Deux mois après sa création, elle est supprimée de l'antenne sur ordre du directeur de la station. Cette décision fait suite à une émission sur la guerre d'Indochine, où les auditeurs sont conviés à donner leur avis. Le fait qu'une majorité d'entre eux se prononce contre, déplaît au gouvernement, qui le fait savoir au directeur. 14 Ainsi, la station devra davantage encadrer la parole des auditeurs à l'antenne. C'est dans ce contexte que Franck Ténot et Daniel Filipacchi créent en 1959 la célèbre émission «Salut les copains ». Ne pouvant s'exprimer que sur leur chanteur favori, les auditeurs devront attendre 1964 pour pouvoir poser des questions aux hommes politiques. Ce dernier point constitue néanmoins une nouveauté sur les ondes, Maurice Siegel qualifiant ce type d'initiative d'inconsciente. 15 Europe 1 joue donc la carte de la convivialité, créant une relation personnelle avec l'auditeur. Pour Deleu on ne peut toutefois pas qualifier la radio de participative, car «les interventions des gens à l'antenne demeurent parcellaires et très encadrées, introduites dans des concepts où les animateurs et les journalistes conservent la maîtrise du programme ».16 Pour Jeanneney «cette influence renouvelée de la radio la rétablit dans sa situation d'enjeu politique et cela ne pousse pas le gouvernement, de Gaulle et les siens, à alléger leur mainmise ». En 1966, de Gaulle menace la survie de la station en déclarant à son Premier 13 SABBAGH Antoine, op.cit. p 75 14DELEU Christophe, op. cit. p27 15Ibid. 16Ibid. p28 ministre, Georges Pompidou, que «l'existence des postes périphériques domiciliés à l'étranger, soustraits de ce fait à l'emprise de nos lois et de nos règlements, (...) constitue une anomalie décidément inacceptable. (...) Il s'agit qu'elle prenne fin... »17 Cet avertissement suffira à calmer le ton d'Europe 1. Mais l'Etat voulant conserver le monopole va tenter à plusieurs reprises de prendre une participation dans le capital du groupe, par le biais de la Sofirad qu'il possède. En 1959, l'Etat obtiendra 46,85 % des voix, pouvant désormais faire peser une épée de Damoclès sur la station. Dès lors, Europe 1 sera tenue de pratiquer l'autocensure jusqu'en 1986 où l'Etat vendra sa participation à l'entreprise privée Hachette.18 3. Menie Grégoire, un remède radiophonique? L'arrivée de Menie Grégoire sur RTL en 1967 bouleverse le paysage radiophonique en proposant le premier programme de confession radiophonique. Rien ne présageait, à l'époque, que l'engouement des auditeurs aurait été si grand. L'émission a commencé de manière hasardeuse comme le dévoile l'animatrice, à l'époque journalistefree lance: «c'était au tout début de l'année 1967. Un ami venait d'entrer à RTL avec Jean Farran, le nouveau directeur. Il s'appelait Jean Namur. Il m'appelle et me demande de venir déjeuner avec son patron. Ils arrivent : Farran est un grand type, très beau et assez mystérieux. Je sens que, comme moi, il est passé par l'école de la psychanalyse. Il dit avoir décidé de faire parler les auditeurs, au lieu de leur parachuter informations et distractions, ce qui ne s'était jamais fait nulle part dans le monde. Un vrai pari. « Vous connaissez les femmes, paraît-il. Pouvez-vous les faire parler ? Ó, «Oui... De quoi? Ó, «N'importe ! De ce qu'elles voudront bien. On verra. Ó »19 L'émission débute quelques mois plus tard, suite aux lettres reçues après un article paru dans Elle, osant aborder la vie sexuelle du couple et ses problèmes. Menie Grégoire choisi une de ces lettres, la lit à l'antenne et fournit une réponse personnelle. Le lendemain, 17JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 251 18 Ibid. 19 GREGOIRE Menie, Comme une lame de fond, 100 000 lettres qui disent le mal-être des corps et des coeurs 1967-1981, Paris, 2007, p 10 une trentaine de lettres arrivent, le surlendemain cinquante et des appels téléphoniques; la deuxième semaine, cinq cent lettres.20 Un nouveau genre radiophonique est né. Pour Deleu, plusieurs facteurs concomitants ont contribué à l'arrivée sur la bande FM du premier programme de confession. «Cette confidence radiophonique s'inspire largement de la confession religieuse, même si elle n'inspire ni faute ni pardon (É). La mise en place de ce type de dispositif est également permis par le développement du téléphone dans la seconde moitié du XX e siècle. Coïncidence troublante, la psychanalyse, le téléphone et la radio, les e trois composantes de la parole divan en ondes, sont nés en même temps, à la fin du XX siècle, et comme ils reposent chacune à leur façon sur la parole, devaient tôt ou tard se trouver associés. »21 Quotidiennement, de 15 heures à 15 heures 30, l'animatrice, après avoir lu et répondu à la lettre d'un auditeur, entre en dialogue en direct avec trois ou quatre anonymes, préalablement sélectionnés au standard. La conversation dure de six à neuf minutes Pour Cardon, l'émission accueillait moins des questions ou des témoignages que des appels à l'aide ou des confessions. Les auditeurs intervenaient à l'antenne dans une situation de conflit, de dispute ou de trouble en ce qui concerne la vie intime, familiale ou professionnelle. L'engagement émotionnel des appelants était de ce fait très important, l'animatrice adoptant tour à tour les rôles de consolatrice, thérapeute ou accusatrice.22 L'émission de Menie Grégoire s'est parfaitement insérée au sein d'une société vivant des mutations sociales importantes. En effet, durant cette période s'est mis en place un nouveau type de discours basé sur l'intime, et en particulier sur la sexualité. «La revendication d'un droit au plaisir et la promotion de spécialistes du plaisir sexuel dispensant conseils et traitements, ont trouvé un espace particulièrement accueillant dans la très 20 GREGOIRE Menie, op. cit. p 11 21 DELEU Christophe, cite in MEYER Michel, Paroles d'auditeurs, Paris, Syrtes, 2003, p274 22 CARDON Dominique, « Chère Menie: émotions et engagements de l'auditeur de Menie Grégoire », Réseaux, n° 70, Paris, 1995 populaire émission de Menie Grégoire qui a su épouser, sur ces questions comme sur d'autres, les transformations de la société française des années 1970. »23 L'émission de Menie Grégoire constitue ainsi la première émission service qu'aient connue les Français. La minutie et la rigueur de Menie Grégoire offrent, des années plus tard, un terrain d'étude complet; comme un arrêt sur image des moeurs de la société sur une période de 14 ans (de 1967 à 1981). De nombreux documents sont aujourd'hui disponibles, constituant une base de travail de prédilection pour les chercheurs en Sciences de l'Information et de la Communication. Il s'agit des carnets noirs de Menie Grégoire, sur lesquels l'animatrice notait ses impressions à la fin de chaque émission, 100 000 lettres d'auditeurs et 1 500 bandes sonores stockées et classées aux Archives Départementales d'Indre-et-Loire. Prolonger les recherches sur la relation interactive établie par Menie Grégoire et l'impact de son émission au niveau sociétal, nous permettrait, par l'adoption d'une démarche historique, de mettre en perspective nos travaux universitaires. 4. Un nouveau genre radiophonique : la confession Le succès de Menie Grégoire fut tel qu'un certain nombre d'émissions de confession radiophonique est apparu ensuite. Conseillers, voyants, astrologues, psychothérapeutes assurent des consultations en direct. Nouvelles confidentes, les grandes radios voient à l'époque leurs standards submergés d'appels. À partir de 1967, Françoise Dolto, alias "Docteur X" répond en direct aux anonymes de tout âge sur Europe 1. Même si l'émission connaît un excellent taux d'écoute, la psychanalyste ne souhaite pas poursuivre cette expérience au-delà de 1969, regrettant principalement les contraintes imposées par le dispositif radiophonique. Le dialogue haché par les nécessités du direct et de la publicité ne lui permet d'aller assez en profondeur. En 23 CARDON Dominique, «Droit au plaisir et devoir d'orgasme dans l'émission de Menie Grégoire », Le temps des Médias, n° 1, 2003, p 77 -94 1976, elle accepte à nouveau une émission sur France Inter : "Lorsque l'enfant paraît", à condition d'y répondre aux lettres des auditeurs.24 En septembre 1970, Madame Soleil envahit l'antenne d'Europe 1, en mélangeant astrologie et psychologie auprès des auditeurs appelants. De son vrai nom, Germaine Soleil, a remonté le moral des auditeurs suspendus à son verdict, durant 24 ans, toujours énoncé sur un ton chaleureux. Georges Pompidou l'avait rendue célèbre lors d'une conférence de presse où, butant sur une question d'un journaliste, il avait lancé : «Je ne suis pas Madame Soleil !» L'astrologue quitte l'antenne en 1994 à l'âge de 80 ans ; mais l'expression perdure. 5. Mai 1968, révolution radiophonique? Le mouvement étudiant va avoir un impact important sur la radio en France. Les pratiques et les programmes sont bouleversés. Diffusant l'information à chaud via les postes périphériques, la radio acquiert un véritable poids politique. Pour Jeanneney la radio confirme son « rôle capital dans l'histoire républicaine (É) au moment du mouvement de Mai 1968 où elle offre de grands atouts aux étudiants dans leur stratégie urbaine. »25 La construction de la première barricade au Quartier latin est annoncée sur Europe 1 le vendredi 10 mai à 20 heures 55 ; toute la nuit les journalistes de cette station ainsi que ceux de RTL transmettront les nouvelles, minute par minute. Leurs radio-téléphones captent le fracas des explosions comme divers leaders étudiants. 26 les déclarations des Qualifiés de «radio barricades », les postes périphériques donnent de la voix au mouvement. Derrière leurs transistors, les Français réalisent en temps réel l'ampleur du mouvement alors que France Inter reste muette, obéissant aux consignes officielles qui interdisent tout reportage sur le sujet. Pendant les directs des radios périphériques, les manifestants s'emparent des micros pour faire connaître leurs opinions, et transmettre les mots d'ordre comme les lieux de 24 http://www.francoise -dolto.com/bio.htm (consulté en juin 08) 25 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p250 26 SABBAGH Antoine, op.cit. p 84 rassemblements. Toutefois, ces éléments peuvent-ils suffire pour qualifier Mai 1968 de révolution radiophonique? Par exemple, aucune radio pirate n'a vu le jour durant cette période. Dans tous les cas, une telle liberté de ton n'avait été jusqu'alors jamais entendue sur les ondes françaises. Le poids et l'impact politique d'une telle pratique radiophonique sont conséquents. «A Paris, déclarera Daniel Cohn -Bendit, une manifestation décidée à 15 heures réunissait vingt mille personnes deux heures plus tard sans un seul tract grâce à la radio »27 A partir de ce moment là, les auditeurs ne pourront plus être absents de l'antenne, que ce soit sur les postes privés, ou sur la radio d'Etat. En effet, suite à un mouvement contestataire à France Inter, où, dès le 13 mai 1968 les journalistes ont refusé de censurer l'information, la radio d'Etat a connu un régime de liberté durant trois semaines. Et «malgré la sévère épuration que connaît l'ORTF les mois suivants, la crise a imposé la nécessité d'une information affranchie du pouvoir» selon Sabbagh.28 L'auditeur est dorénavant invité à parler à l'antenne. Sur France Inter, Roland Dhordain et Jacques Chancel créent Radioscopie. La première version de cette célèbre émission consistait à faire venir un anonyme pour qu'il se raconte. Autre exemple, en septembre 1968, un débat de trois heures entre Edgar Faure et un étudiant en médecine a lieu sur Europe 1. « Le Téléphone sonne» créé en 1978 sur France Inter ouvre son antenne aux anonymes afin qu'ils puissent poser des questions en direct sur l'actualité. Sur Europe 1, le téléphone rouge leur permet de signaler à la station des faits-divers et des nouvelles inattendues.29 L'auditeur n'est plus absent, il participe désormais directement aux émissions, même si l'espace qui lui est accordé reste faible.30 Cependant, comme disait Claude Villers, 27 SABBAGH Antoine, op. cit. p 85 28Ibid. p86 29Ibid.p 87 30DELEU Christophe, op. cit. p29 sillonnant la France à partir de 1975 pour donner la parole aux gens ordinaires, «ce n'est pas vous qui écoutez la radio, mais la radio qui vous écoute. »31 6. Des radios libres à la suppression du monopole L'expression «radio libre» naît vers 1968 - 1969 en Italie. A cette époque, le Groupe Danilo Dolci émet clandestinement depuis la Sicile, afin d'exposer sur la place publique les injustices dont les citoyens de Belia (Sicile) ont été victimes.32 En France, cette appellation désigne les radios clandestines qui ont émis entre 1969 et 1982, date à laquelle le monopole d'Etat prend fin. Les évènements de Mai 1968 ont montré à la population à quel point la radio constituait un bon instrument pour la communication sociale.33 Forts du célèbre slogan: «il est interdit d'interdire », beaucoup vont se lancer dans un combat actif et militer pour la liberté d'expression à la radio. Profitant des avancées technologiques (développement de la modulation de fréquence qui améliore considérablement la qualité sonore), les radios clandestines vont s'empresser d'occuper cette bande presque vierge qu'est alors la FM.34 Au lendemain de Mai 1968, les projets de radios libres n'aboutissent pas, à l'exception de Radio Campus. Créée en mars 1969 à Villeneuve d'Asq par des étudiants, cette station va peu à peu prendre du poids. Dès 1972, des débats sont organisés sur des questions universitaires où les étudiants sont invités à prendre la parole. Mais à partir de 1974, des descentes régulières de la DST (Direction de la Surveillance du Territoire), de TDF (Télédiffusion De France) et de la police, font tout pour faire cesser les émissions. 31DELEU Christophe, op. cit. p29 32JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 255 33DELEU Christophe, op. cit. p32 34Ibid. En parallèle, des radios commencent à émettre dans le reste du territoire français 35 (Radio active à Paris en 1975, Radio Uylenspiegel à Hazebrouck en 1976).Le mouvement est donc impulsé dans les années 1970. Plus tard, un évènement mettra au grand jour le mouvement des radios libres. Comme le rapporte Jeanneney: «le coup d'envoi des radios libres est donné, paradoxalement à la télévision. Au moment des commentaires politiques sur les élections municipales de mars 1977, un jeune leader écologiste, Brice Lalonde, surgit sur les écrans, (É) et soudain il s'écrit «J'ai une bonne nouvelle à vous donner Ó, sort un poste de radio qu'il avait sur ses genoux, le pose devant lui et annonce : «Ecoutez bien, vous entendez pour la première fois une radio privée qui s'appelle Radio Verte. Ó »36 A partir de là, le mouvement va se développer à grande échelle, les acteurs politiques devant prendre position sur la liberté d'expression. La radio devient le média que l'on associe le plus à l'idée d'expression démocratique. Les militants favorables aux radios libres sont convaincus que la parole du peuple est rendue possible à travers la radiodiffusion, et que l'accroissement de la liberté de l'individu fera disparaître les injustices sociales. Tout ceci dépend donc de la suppression du monopole d'Etat.37 Toutefois, d'autres types de revendications émergent des radios libres. On trouve en effet sur la bande FM une multitude de petites radios à destination d'un public restreint. A Longwy, la CGT (Confédération Générale du Travail) crée en pleine crise de la métallurgie et de la sidérurgie, «Radio Lorraine Coeur d'Acier », venant relayer «Radio SOS Emploi », La première radio ouvrière de France. L'antenne est ouverte aux travailleurs inquiets de perdre leur emploi. Toutefois, faute de moyens, la station va disparaître. A Lyon, « Radio Active » lutte en 1976 contre la construction de la centrale nucléaire à Creys Malville. En région parisienne, une dizaine de radios libres est née: «Radio Fil Rose» à destination de la communauté homosexuelle, «Radio 93 » en faveur des libertés publiques mais aussi «Radio onz'débrouille », «Radio Massipal », «les Nanas radioteuses », etc. Parfois, elles sont à peine audibles à quelques centaines de mètres, et elles sont souvent brouillées par la police.38 35DELEU Christophe, op. cit. p33 36 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 256 37 DELEU Christophe, op. cit. p34 38 SABBAGH Antoine, op. cit. p 90 Il faut ajouter à cela les nombreuses saisies de matériel, auxquelles les stations doivent faire face. A l'exception de «Radio Lorraine Coeur d'Acier» qui dispose de locaux permanents à la mairie de Longwy, les autres n'émettent jamais du même endroit. Il faut trouver de nouvelles manières pour faire intervenir l'auditeur, l'utilisation du téléphone étant dans ces conditions impossible. C'est pourquoi, soit l'auditeur se déplace jusqu'au lieu de résidence temporaire de la radio, soit la radio se déplace jusqu'à lui. Dans ce sens, «Radio Verte Fessenheim» choisit d'émettre à partir d'une maison d'un village différent chaque jour et elle fait participer les habitants de la maison au programme.39 La prolifération de ces radios a néamoins la vertu de remettre clairement en cause le monopole d'Etat. Les radios libres espèrent beaucoup de l'arrivée des socialistes à la présidence de la République. En effet, même si le Parti Socialiste n'est pas unanime pour condamner le monopole, François Mitterrand prend la parole le 28 juin 1978 sur «Radio Riposte» pour soutenir le mouvement. Pour Deleu « l'affaire «Radio Riposte» identifie François Mitterrand (malgré lui) et le Parti Socialiste au combat en faveur des radios libres. »40 Après son élection, la loi du 9 novembre 1981 prévoit une dérogation au monopole et le 29 juillet 1982 (date symbolique faisant écho à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) est promulguée la loi qui stipule dans son premier article: « la communication audiovisuelle est libre ».41 Toutefois, un grand nombre de radios légitimait leur existence par le combat pour la fin du monopole. A partir du moment où la liberté des ondes est acquise, un certain nombre de stations va disparaître, n'ayant plus de réelle motivation. Pour Deleu «dans un grand nombre de stations, ce sont avant tout les responsables d'associations (É) qui ont hérité de la mission de parler à la radio, alors que le projet de départ des membres des radios libres était de donner la parole au peuple ».42 39DELEU Christophe, op. cit. p35 40Ibid. p37 41 JEANNENEY Jean-Noël, op. cit. p 257 42DELEU Christophe, op. cit. p36 |
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