INTRODUCTION
Nous sommes tous Alice. Nous avons en tout cas, comme elle, la
possibilité de passer «de l'autre côté du miroir»
grâce aux médias. Lewis Carroll en 1871 imaginait un monde
où tout est inversé ; de nos jours, le public a franchi la
frontière invisible qui le séparait de l'espace
médiatique. De récepteur, il est devenu énonciateur au
sein de la sphère publique.
Phénomène omniprésent dans l es
médias contemporains, l'interactivité est aujourd'hui très
prisée par les professionnels. La radio est le média qui fait le
plus appel à son public en l'invitant à participer à
l'antenne à la création du contenu. Loin d'être
récentes, les émissions interactives radiophoniques occupent une
place importante au sein des grilles de programmes. Des radios jeunes aux
stations généralistes, en passant par les radios associatives,
toutes ouvrent leur antenne aux auditeurs sur des thèmes variés
englobant de nombr euses sphères de la société.
Prônant leur rôle d'agora par l'exercice d'une démocratie
directe, les radios revendiquent la liberté d'expression des auditeurs
sur les ondes. Toutefois les médias pratiquant cette ouverture sont
souvent accusés d'instrumentaliser la parole des individus vers
une logique utilitaire et / ou commerciale.
Le mémoire que nous avons entrepris se concentre sur la
nature de la relation interactive établie dans le cadre
médiatique. Pour qu'il y ait interactivité, l'échange doit
être entretenu par deux entités distinctes fournissant une
participation égale, active et réciproque. Les émissions
interactives ont bousculé les fondements de la relation entre un
média et son public. L'auditeur, ayant la possibilité de sortir
du silence en intervenant à l'antenne, induit une modification dans sa
position de récepteur, en devenant à son tour émetteur.
Notre travail distingue en conséquence les auditeurs actifs,
c'est-à-dire ceux qui entrent en contact avec une radio pour participer
à une émissi on et les auditeurs passifs appelés aussi
«écoutants ». Ce terme, correspondant à la traduction
littérale de listener en anglais, qualifie les auditeurs qui ne
souhaitent pas entrer dans le jeu de l'interactivité, mais qui
écoutent toutefois ce type d'émission.
Les émissions interactives ont pu se développer
grâce à l'arrivée et à la
généralisation (tardive) du téléphone dans les
foyers français. En effet, le téléphone est
l'élément sine qua non de l'interactivité
radiophonique. De nos jours, la modernisation des outils de communication tels
que le téléphone (téléphone mobile, SMS), ainsi que
la démocratisation de l'usage d'internet ont engendré des
mutations au sein des médias. Les grandes radios ont su adapter leurs
grilles de programmes en fonction de ces nouveaux usages par
l'intégration de contenu multimédia, via la mise en place
d'interfaces spécifiques: SMS, e-mails, chat, forum, blogs sont
autant de moyens mis à la disposition de l'auditeur pour établir
une relation avec le média radiophonique.
Nos recherches préliminaires nous ont conduits à
faire émerger une particularité commune à un grand nombre
d'émissions interactives. La volonté de rendre service aux
auditeurs est un leitmotiv récurrent dans les médias.
Les émissions service, comme nous avons décidé de les
nommer, souhaitent aider, soutenir et accompagner l'auditeur dans sa vie
quotidienne. Ces dernières couvrent de nombreux domaines, assurant
à l'auditeur une assistance pour tous ses petits tracas. Chaque
émission a sa spécificité et son champ d'action:
consommation, généalogie, voiture, travaux domestiques,
jardinage, animaux domestiques, soutien psychologique, sexualité, etc.
Ainsi l'auditeur, anonyme de par son statut, est pris en charge dans tous les
domaines de la vie ordinaire.
Les émissions service sont pour nous le
révélateur d'une évolution des rapports sociaux dans la
France du début du XXIe siècle. Nous souhaitons ainsi mettre
à jour et comprendre la place qu'occupe le média radiophonique
dans notre société. Nous postulons que les émissions
service actuelles révèlent et reflètent de nouvelles
orientations dans la pratique et les usages des médias; mais en ce cas,
les stations de radios sont-elles actrices ou simplement outils de
médiation? Les publics sont -ils instrumentalisés vers une
logique de spectacle ou se saisissent-ils de ces espaces médiatiques de
manière autonome? L'assistance apportée par le média
est-elle effective ou ne constitue -t-elle qu'une stratégie de
fidélisation de l'auditeur, répondant à une logique
d'audience?
Pour répondre à ces questionnements, notre
travail, par une démarche pluridisciplinaire, s'appuie sur des
éléments théoriques complétés par une
analyse de terrain. Celle-ci se compose d'une analyse de contenu de trois
émissions service: «Service public» sur France Inter, «
Ça peut vous arriver» sur RTL et « Lahaie, l'amour et
vous» sur RMCInfo. Toutes trois portent sur des sujets différents,
illustrant l'éclectisme de ces émissions. La première
traite de thèmes liés à la consommation, la seconde aux
arnaques en tout genre, et la troisième de l'intimité et des
problèmes qui en découlent. Nous nous sommes attelé
à comprendre et à analyser le dispositif mis en place pour
chacune de ces trois émissions, en accentuant notre attention sur
l'animateur.
Notre première partie: « La parole des anonymes
à la radio » s'attache à définir et à
délimiter notre champ de recherche. Des origines à aujourd'hui,
nous souhaitons retracer les différentes étapes de la prise de
parole des anonymes à la radio afin de mettre en perspective le
phénomène actuel. Nous questionnerons la notion
d'interactivité, tout en définissant les conditions et la nature
des prises de parole au sein de l'espace médiatique. Notre seconde
partie: « Les émissions service: une tendance à la
spectacularisation » expose l'analyse des résultats de notre
terrain de recherche. Nous apportons un éclairage sur les dispositifs
mis en place dans les trois émissions étudiées, avant de
fournir une analyse comparative. Enfin, sur la base des résul tats de
notre travail, nous tenterons d'apporter une vision générale de
ce type d'émission entre service et spectacle.
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