VI: CONCLUSION ET
RECOMMANDATIONS
Haïti, petit pays insulaire
du continent américain, fait face à des problèmes
socio-économiques majeurs. L'offre agricole ne pouvant s'adapter
à la demande conduit la population vers une situation
d'insécurité alimentaire chronique. Bien que l'agriculture
absorbe 66% des actifs, à cause des goulots d'étranglement
auxquels sont confrontées les exploitations, elle n'arrive pas à
assurer adéquatement la survie de ses dépendants. Cette situation
provoque la non reproduction de la quasi-totalité des exploitations
agricoles débouchant sur une migration massive des ruraux, une baisse
drastique de la production locale, une hausse incontrôlable des
importations alimentaires depuis les années 1995, une chute des
exportations agricoles et alimentaires se traduisant par un déficit
chronique de la balance commerciale.
Pour pallier aux
déséquilibres internes et externes, nombreuses sont les mesures
de politique économique qui ont été prises par les
autorités haïtiennes en vue de répondre aux nouvelles
exigences du marché international. Parmi ces mesures, l'on retient la
libéralisation des importations alimentaires, l'adoption du
système de change flottant. Cette première mesure affecte le
niveau de compétitivité de la production agricole et alimentaire
de ce pays à déficit vivrier et alimentaire. De l'autre
coté, le déficit commercial engendre une sortie importante de
capital, une dépréciation de la monnaie nationale par rapport
à celle des USA, une instabilité du taux de change et des prix et
la détérioration progressive du pouvoir d'achat de la population.
Face à cette tendance contrastée, l'on a assisté à
une dollarisation partielle de l'économie de 1990-2004. Il est
susceptible que celle-ci paupérise davantage l'économie nationale
si l'on n'envisage pas des mesures adéquatement adaptées.
Selon CAMPBELL, BRUE et
TREMBLAY (1994), même en période d'hyperinflation, les prix ne
suivent pas le même rythme d'évolution pour tous les produits. Tel
a été le cas d'Haïti de 1990 à 2004 puisque
conformément à cette théorie économique relative
à l'inflation, parmi les quatre (4) produits pris en compte dans la
présente étude, les prix de deux d'entre eux en l'occurrence le
riz et le maïs, deux céréales de base dans la consommation
alimentaire locale et substituables l'un à l'autre ont augmenté
suivant un même rythme. Par ailleurs, les prix du poulet et du haricot
sec, deux substituts, ont augmenté de façon indépendante.
Ceci traduirait des possibilités limitées de substitution entre
ces deux derniers produits car ceux-ci n'exercent pas les mêmes fonctions
physiologiques (Malassis et GHERSI, 1992).
Utilisant 1990, date du démarrage des premières
expériences du pays avec le régime politique démocratique
et la fin du fragment officiel du marché des changes, comme année
de référence pour le calcul des indices simples du prix des
produits (riz, maïs, poulet et haricot sec) et du taux de change
gourde /USD, on est parvenu à estimer quatre (4) modèles
significatifs de régression linéaire simple dont un (1) pour le
riz, un (1) pour le maïs, un (1) pour le poulet et l'autre pour le haricot
sec. Chacun de ces modèles met en relation l'indice de prix du produit
à l'indice du taux de change gourde par rapport au dollar (année
1990=100) pour la série temporelle 1990-2004.
La consommation alimentaire (riz, maïs, poulet et haricot
sec) locale étant fortement tributaire des importations
particulièrement celles provenant des USA, leurs prix à la
consommation pour ces produits sont par conséquent fortement liés
au taux de change gourde/USD. Cela est en conformité avec les
théories économiques car les entreprises importatrices d'aliments
dans leurs échanges commerciaux avec les USA sont contraintes
d'utiliser le USD comme monnaie de facturation entraînant une
incorporation du taux de change dans la formation du prix à la
consommation. Toutefois, la corrélation partielle entre les deux
variables de l'analyse varie d'un produit à l'autre. Elle varie de
façon croissante dans l'ordre suivant pour les produits : riz -
maïs- poulet- haricot sec dont les valeurs respectives sont 91.4%, 91.8%,
94.8% et 96.0%. Cela montre clairement que cette variation est plus faible pour
les céréales que pour les deux autres produits. Ce faisant, la
hausse du taux de change a entraîné directement un
renchérissement du prix de ces produits importés entraînant
un gonflement des prix sur le marché local de ces quatre produits
alimentaires puisque localement c'est le USD qui norme les prix alimentaires de
1990 à 2004. Tout compte fait, la dépréciation de la
gourde par rapport au dollar américain peut être retenue sans
aucun doute comme un facteur déterminant des tensions inflationnistes
alimentaires dans un contexte économique marqué par une relative
stagnation de l'offre alimentaire face à une demande excédentaire
satisfaite par les importations induite par la croissance démographique.
Cette situation n'est pas sans conséquence sur les
conditions d'approvisionnement des ménages. Celles-ci sont variables
suivant les catégories socio-économiques. Ainsi, chez les
ménages les plus pauvres, la hausse de prix de ces produits alimentaires
imputable essentiellement à la détérioration de la valeur
de la gourde par rapport au dollar diminue incontestablement leur
accessibilité à ces produits.
En ce qui a trait aux habitudes alimentaires, des
substitutions se sont opérées. Il s'agit le plus souvent des
substitutions du maïs au riz importé, du haricot sec au poulet
à consommation réduite chez les ménages à
très faible revenu et le recours à l'alimentation de rue par bon
nombre d'entre eux. Dans cette substitution, la place du riz importé est
devenue importante en préparation avec du haricot sec surtout dans la
restauration populaire.
Dans l'ensemble, cette étude nous a permis de mieux
comprendre la relation causale existant entre la dépréciation de
la gourde et la hausse des prix de ces produits alimentaires. De plus, elle
peut être considérée comme un outil permettant de
comprendre la consommation de ces produits d'une part sur la base de
l'interdépendance des prix ou des prix relatifs
(élasticité croisée de la demande) et d'autre part, par
suite d'augmentation des prix de ces produits pris isolément
(élasticité demande - prix).
N'étant pas prises en compte toutes les variables
explicatives de la relation existant entre l'érosion du pouvoir d'achat
alimentaire et l'érosion monétaire au cours de la période
d'étude, marquée surtout par des bouleversements socio-politiques
intenses et répétitifs, d'autres études en ce sens
s'avéreraient nécessaires afin de parvenir à une
conclusion beaucoup plus pertinente.
Face à cette situation marquée par la
dépendance alimentaire externe du pays, l'instabilité incessante
du taux de change de la monnaie locale, la hausse continuelle des prix de ces
produits alimentaires, il est impérieux de formuler les recommandations
suivantes :
· Renforcer, par les différents acteurs du
secteur, les capacités productives des branches suivantes : riz,
maïs, poulet et haricot sec en vue de favoriser la
compétitivité de ces produits dans les échanges
commerciaux à l'échelle nationale et atténuer le
problème d'inaccessibilité alimentaire à laquelle font
face la plupart des consommateurs, particulièrement ceux évoluant
en dessous du seuil de pauvreté ;
· Développer des créneaux d'exportation
avec les principaux partenaires commerciaux du pays particulièrement les
USA pour les produits alimentaires biologiques présentant une demande
forte à l'échelle internationale tels que riz local et
mangues, pour lesquels le pays est doté d'un certain avantage
comparé en vue de contrebalancer le déficit de la balance
commerciale, de favoriser l'injection de USD au niveau de l'économie
haïtienne et de permettre au pays de bénéficier des
avantages de la libéralisation.
· Relever le tarif douanier sur ces quatre produits
alimentaires à l'instar du CARICOM en vue de protéger
l'agriculture locale. Cette mesure freinerait la chute de la production et des
pertes d'emplois dans le secteur. La mise en place d'un cadre légal
ajouté à cette mesure stopperait les importations massives par
contrebande et leurs répercussions négatives sur la balance
commerciale ;
· Renforcer les capacités institutionnelles du
Ministère du Commerce en vue de lui permettre de remplir efficacement sa
fonction.
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