La mise en oeuvre des principes définis
précédemment est rendue possible par l'application d'un
mécanisme particulier, les comptes d'opérations37,
dont les modalités de fonctionnement ont été
formalisées par des conventions conclues entre le ministre
français de l'Économie et des Finances et le représentant
de chacun des instituts d'émission de la Zone Franc38.
B.1-Leur fonctionnement :
Les comptes d'opérations sont des comptes à vue
ouverts auprès du Trésor français au nom de chacun des
deux instituts d'émission : la BCEAO, la BEAC. Ces comptes sont
rémunérés et offrent la possibilité d'un
découvert illimité. En pratique, les comptes sont
débités de toutes les sorties de devises vers le reste du monde
(principalement pour les importations et les transferts de capitaux à
l'étranger), ils sont crédités de toutes les
rentrées de devises (surtout les exportations, le tourisme, les capitaux
versés aux pays africains titulaires des comptes)39. Le
compte est uniquement établi en Euro40, de ce fait toutes les
devises doivent être converties au préalable dans cette monnaie
(suivant la cotation du jour sur le marché des changes de Paris). Il en
est de même des devises dont le pays a besoin pour ses paiements en
dehors de la zone.
B.2-Le dispositif de sauvegarde :
Si les banques centrales peuvent recourir sans limitation aux
avances du Trésor français, cette faculté doit, dans
l'esprit des accords, revêtir un caractère exceptionnel.
Pour éviter que les comptes d'opérations ne
deviennent durablement débiteurs, des mesures dont certaines de nature
préventive, ont été prévues :
- Ainsi, lorsque le rapport entre les avoirs
extérieurs nets et les engagements à vue de chacune des banques
centrales est demeuré au cours de trois mois consécutifs
inférieur à 20 %, le conseil d'administration de la banque
centrale concernée se réunit en vue d'adopter les
37 Pierre JAILLET et Emmanuel CARRERE, << La zone Franc,
une zone monétaire robuste, en voie d'intégration
économique >>, Revue d'Economie Financière N°75,
page 185. 38
http://www.finances.gouv.sn/convcope.html
pour le compte d'opération entre la République Française
et la BCEAO et
http://www.beac.int/index.html
pour le compte d'opération entre la République Française
et la BEAC
39 Sergio BORTOLANI, << Rôle de la Banque Centrale
en Afrique >> page 257.
40 A l'origine en Franc français, puis en Euro depuis le
1 er janvier 1999.
mesures appropriées (relèvement des taux
directeurs, réduction des montants de refinancement, etc.) ;
- La convention de compte d'opération signé le
04 Décembre 1973 entre l'Etat Français et l'UMOA
précise41 que lorsque les disponibilités en compte
d'opérations présentent une évolution qui laissera
prévoir leur insuffisance pour faire face aux règlements à
exécuter par son débit, la BCEAO aura différentes options.
Elle pourra alimenter le compte d'opérations par
prélèvement sur les disponibilités qu'elle aura pu se
constituer en devises étrangères autres que le franc (l'Euro
à présent). Elle pourra également, demander la cession
à son profit, contre francs CFA, des devises détenues par les
organismes publics ou privés des pays membres42. Enfin, elle
aura la faculté d'inviter les États-membres à exercer
leurs droits de tirage sur le Fonds monétaire international;
- Les statuts de la BEAC43 prévoient que
lorsque le compte d'opérations est débiteur durant trois mois
consécutifs, les montants de refinancement maximum sont réduits
de 20 % dans les pays dont la situation fait apparaître une position
débitrice en compte d'opérations et de 10 % dans les pays dont la
situation fait apparaître une position créditrice d'un montant
inférieur à 15 % de la circulation fiduciaire rapportée
à cette même situation ;
- Enfin, les statuts des banques centrales précisent
que leurs concours aux Trésors nationaux ne peuvent excéder 20 %
des recettes fiscales (BCEAO)44 ou budgétaires ordinaires
(BEAC)45 encaissées lors du dernier exercice
budgétaire.
B.3-Les critiques apportées au
mécanisme de compte d'opération :
Un grand nombre d'auteurs, économistes et juristes
africains trouvent de grands inconvénients au mécanisme de compte
d'opération. Ainsi, K. YASSANE considère46 que
<< le système du compte d'opération a pour principal
inconvénient d'entraîner une limitation très sensible de la
souveraineté des Etats africains en matière monétaire,
voir même dans le domaine de la politique économique
générale >>. Il justifie cette critique par le fait que la
France participe à la gestion et au contrôle des deux banques
centrales, en contrepartie de la garantie monétaire offerte aux
états Africains.
41 Article 5 de la convention de compte d'opération du 04
Décembre 1973.
42 Pratique dite du <<ratissage >>.
43 Article 11 des statuts de las BEAC.
44 Article 16 des statuts de las BCEAO.
45 Article 18 des statuts de las BEAC.
46 Kerfalla YASSANE, << Contrôle de l'activité
bancaire dans les pays de la zone Franc >>, page 43.
Pour N. AGBOHOU47, << les dirigeants
africains stockent ou immobilisent dans les caisses du trésor
français les immenses capitaux financiers indispensables au
développement socioéconomique de l'Afrique>>. Ainsi, leur
collaboration qu'il considère négative avec l'ancienne puissance
colonisatrice en ferait << de simple rentiers financiers >>. Pour
cet économiste ce mécanisme est l'expression même du
défaut d'indépendance des deux banques centrales.
Au-delà de ces critiques, le point qui pour nous est
important à éclaircir, est celui relatif à la
capacité des BC d'assumer, dans cet environnement, leurs principales
fonctions (l'émission monétaire, la conduite de la politique
monétaire et la gestion des réserves de change). En fait, un
examen approfondi du fonctionnement de ces Banques Centrales permet d'observer
que si la première fonction (institut d'émission) semble
pleinement assumée, les deux dernières fonctions relatives
respectivement à la conduite de la politique monétaire et
à la gestion des réserves de change, semblent leur avoir
complètement échappé.
Ainsi, la non observation scrupuleuse des
réglementations en vigueur, l'absence d'un contrôle rigoureux des
banques primaires par les Banques centrales et les politiques de crédit
laxistes ont engendré une distribution anarchique et inappropriée
du crédit intérieur dans 1 'ensemble des pays membres des BC. Il
s'ensuivit évidemment une cascade de faillites de banques dans
l'ensemble de la Zone Franc, devant finalement conduire à la brutale
dévaluation du Franc CFA en 1994 décidée
unilatéralement par la France, la Banque mondiale et le FMI et
imposée aux Etats membres de la BCEAO et de la BEAC. Preuve si besoin
est du fait que ces deux BC ne sont pas réellement maîtres de
leurs politiques monétaires.
Par ailleurs, concernant la gestion des réserves de
change (troisième fonction majeure), la position des Banques Centrales
de la Zone Franc (côté africain) qui les subordonne au
Trésor Public français et à la BCE, leur ôte toute
autonomie et capacité dans le management de leurs avoirs
extérieurs.
Il ne saurait, du reste, en être autrement au regard du
contenu des arrangements monétaires liant les pays africains de la Zone
Franc et la France. En effet, ces Banques Centrales africaines sont tenues
comme mentionné plus haut, de déposer 65% de leurs avoirs
extérieurs sur les comptes d'opérations ouverts auprès du
Trésor français. Cette disposition apparemment favorable aux pays
africains par rapport à la situation antérieure (avant la
réforme de 1972 pour la B.E.A.C et 1973 pour la B.C.E.A.O, ils devaient
déposer 100% de leurs avoirs extérieurs) et qui leur permet
désormais de détenir un maximum de 35 % de leurs avoirs
extérieurs en devises convertibles autres que l 'Euro, demeure à
l'analyse peu significative quant au fond.
En effet, d'une part, les accords spécifient que ces
avoirs ne peuvent être détenus que sous la
47 Nicolas AGBOHOU, << Le Franc CFA et l'Euro contre
l'Afrique >> page 69.
forme de dépôts en compte auprès de la
Banque des Règlements Internationaux (BRI) ou d'instituts
d'émission étrangers ou encore sous la forme de bons non
négociables, à deux ans ou plus d'échéance,
émis par certaines institutions financières internationales
« dont la vocation dépasse le cadre géographique de la zone
d'émission et auxquelles participent les Etats membres de la Banque
»48.
D'autre part, les 65% restants des avoirs extérieurs
qui doivent obligatoirement être déposés sur le compte
d'opérations auprès du Trésor français, continuent
de l'être (antérieurement en franc français mais en Euro
depuis l'institution de cette monnaie). Au final, si on fait le compte, cela
revient à dire que pratiquement 100% des avoirs extérieurs des
deux BC échappent à leur contrôle. Ce qui,
fondamentalement, pose le problème de la souveraineté
monétaire des BC africaines.
Cependant, il serait opportun de se demander si cet
état de fait n'est pas la conséquence logique du choix de
système monétaire. En d'autres termes, le système
monétaire dont dépendent la BCEAO et la BEAC ne conduit-il pas
à une absence de souveraineté monétaire ?
48 Disposition de l'article 1 1des statuts de la BEAC et de
l'article 2 de la convention de compte d'opérations de la BCEAO