Afin de déterminer le système monétaire
dont dépendent la BCEAO et la BEAC, nous procéderons par
élimination en commençant par celui qui semble avoir le moins de
similitudes avec la zone Franc.
C.1-Le système de change flottant
:
Selon S. HANKE49, dans ce système, les
autorités nationales déterminent leurs objectifs de politique
monétaire de manière autonome, et laissent le marché des
changes s'ajuster librement. Ils abandonnent toute gestion de la valeur externe
de leur monnaie. En conséquence, le rythme de croissance des
agrégats monétaires résulte de décisions politiques
purement nationales. La banque centrale peut faire ce qu'elle veut - par
exemple fixer le niveau des taux d'intérêt -, mais sa
liberté d'action reste contrainte par les répercussions
immédiates que ses choix internes ont sur la tenue de son taux de change
externe.
Il parait évident que le système dont
dépendent la BCEAO et la BEAC ne sont pas des systèmes de change
flott ant, eu égard aux analyses faites plus haut et aux dispositions
des différents accords passés entre la République
Française et les Républiques membres des différentes
unions monétaires africaines50.
C.2-Le système de change fixe :
Avec le système des parités fixes, c'est
l'inverse : les autorités se donnent pour objectif de maintenir une
certaine parité externe et gèrent leur politique monétaire
de manière à empêcher le taux de change du marché de
diverger. Dans ce cas, la politique monétaire est totalement asservie
à l'objectif de change. Il n'y a plus de politique monétaire
interne autonome. La croissance des agrégats est
déterminée de manière exogène par les mouvements de
la balance des paiements. Quand les réserves de devises du pays
augmentent, la base monétaire s'accroît, et l'inverse si les
réserves en devises se contractent. Dans le cas des deux banques
centrales, le taux de change des monnaies est fixé par rapport à
la monnaie de référence servant d'étalon
49Steve HANKE « La crise asiatique et le
système monétaire international » :
http://www.euro92.com/new/article.php3?id_article=641
(février 2006).
50 L'accord de coopération entre la République
Française et les Républiques membres de l'Union monétaire
ouest africaine du 4 décembre 1973 et la convention de
coopération monétaire entre les Etats membres de la BEAC et la
République française est signée le 23 novembre 1972
à Brazzaville.
d'ancrage51. Ainsi, en cas de baisse
prévisible du cours de la monnaie communautaire (le Franc CFA dans notre
cas), la BC intervient sur le marché de change pour acheter sa propre
monnaie avec les devises étrangères qu'elle a déjà
accumulées. Cette intervention des BC est telle que le cours du Franc
CFA préalablement défini demeure touj ours fixe. Dans le cas
contraire d'une hausse du cours du Franc CFA, la BC vend sa monnaie. Cette
vente est une augmentation de l'offre du Franc CFA dont la valeur est
orientée à la baisse pour atteindre le cours d'équilibre
fixé auparavant.
<< Dans la réalité, c'est la Banque de
France52 qui achète et vend quotidiennement les devises sur
le marché des changes pour le compte des Institutions monétaires
africaines>>.
Ainsi, l'analyse des institutions monétaires
africaines pourrait laisser croire qu'elles dépendent d'un
système de change fixe. Les hommes politiques africains et les plus
hautes autorités des BC semblent en être convaincus. Nous en
voulons pour preuve, la controverse ayant existée entre Monsieur Mamadou
Koulibaly, ministre ivoirien de l'Economie en 2000 (aujourd'hui
Président de l'assemblée nationale de la Côte d'Ivoire) et
le Gouverneur de la BCEAO, Monsieur Charles Konan Banny (aujourd'hui premier
ministre du même pays). Mamadou Koulibaly s'était en effet
prononcé pour un CFA "flottant" avec un taux de change flexible par
rapport au FF et à l'Euro et préconisait une révision des
accords liant la Côte d'Ivoire à la France. Ce qui n'était
pas l'avis du gouverneur de la BCEAO pour qui << Tout ce qui flotte n'est
pas certain et crée de l'incertitude >>, ajoutant que << la
monnaie a un prix qui doit être stable et ne pas fluctuer au gré
des humeurs des politiques >>.53
Cependant, la présence dans le système du
mécanisme dit de compte d'opération fait que nous pouvons dire
qu'il ne s'agit pas d'un système de change fixe pur, mais le rapproche
de celui dit des caisses d'émission.
C.3-Le système de caisse d'émission ou
« currency board »:
Pour les tenants du <<currency board>>,
l'avantage du système est de mettre la monnaie hors du contrôle de
l'Etat54. D'après << l'instigateur >> du
<<currency board>> Steve Hanke, il s'agit << d'une
institution qui émet des billets de banque et des pièces de
monnaie convertibles à taux
51 1 Euro = 6,55957 FF = 655,957 Franc CFA.
52 Rapport d'information numéro 2907 produit par
l'assemblée Nationale de France le 09 juillet 1992.
53 Interview de M. Charles Konan BANNY par l'Agence France
Presse 06/10/2000 :
http://www.bceao.int/internet/bcweb.nsf/pages/cpr046
.(juin2006)
54 <<currency board>> : théorie, Olivier
BERTRAND / Nicolas BOUZO, article publié dans la revue Labyrinthe
d'automne 1999, No.4.
fixe et à vue dans une monnaie de réserve
étrangère >>. La monnaie est uniquement créée
en contrepartie des réserves figurant à l'actif du
<<currency board>>. Celui-ci n'accepte pas de dépôts.
Ses réserves sont constituées d'obligations de haute
qualité et à rendement élevé, libellées dans
la monnaie de réserve. Ses profits proviennent de la différence
entre l'intérêt gagné sur les obligations qu'elle
détient, et le coût de circulation des billets et des
pièces. Le <<currency board>> n'a pas de pouvoir
monétaire discrétionnaire. Seules les forces du marché
déterminent l'évolution de l'offre de monnaie. Il s'agit d'une
véritable dénationalisation de la monnaie. En effet, la seule
politique monétaire consiste à échanger à taux fixe
ses billets et pièces contre la monnaie de réserve.
Le <<currency board>> s'articule autour de trois
principes55:
- La fixité du taux de change de la monnaie nationale
avec la monnaie d'ancrage choisi ; - La convertibilité intégrale
de la monnaie émise par l'institut d'émission ;
- La garantie de cette convertibilité intégrale
par une couverture au moins égale à 100% de la base
monétaire par les réserves officielles de change du
<<currency board>>.
La BC soumise aux règles du <<currency
board>> n'est plus en mesure de mener une politique monétaire et
n'est plus en me sure d'as surer les fonctions de prêteur en dernier
ressort.
Une analyse des principes ci-dessus semble
révéler un élément de différence entre ce
système et les principes régissant le fonctionnement des banques
centrales de la zone Franc. Il s'agit du troisième principe qui impose
une couverture au moins égale à 100% de la base monétaire
par les réserves officielles de change. En effet, comme le fait
remarquer S. HANKE, << pour l'émission des francs CFA il n'y a
jamais eu de règle imposant aux banques d'émission de la Zone
Franc une contrainte de réserve à 100 % en francs
français.>>56.
Cet avis qui semble assez pertinent donne à
réfléchir, lorsqu'on prend la peine d'analyser plus en
profondeur, le fonctionnement des mécanismes régissant la zone
Franc.
En effet, le seul point de différence entre un
<<currency board>> pur et le système monétaire dont
dépend la zone Franc serait l'obligation d'une couverture au moins
égale à 100% de la base monétaire par les réserves
officielles de change. Or comme nous l'avons relevé
précédemment, dans les faits, les accords liant les Etats membres
de la BCEAO et de la BEAC à la France leur imposent de déposer
65% de leurs avoirs extérieurs sur les comptes d'opérations
ouverts auprès du Trésor français et 35% sous la forme de
dépôts en compte auprès de la Banque des Règlements
Internationaux (BRI) ou d'instituts d'émission étrangers
55 Jérome BLANC / Jean François PONSOT, <<
Crédibilité et Currency Board : le cas Lituanien >>, Revue
d'Economie Financière N°75, Pages 113 à 127.
56Steve HANKE, << La crise asiatique et le
système monétaire international >>:
http://www.euro92.com/new/article.php3?id_article=641
(Février 2006).
ou encore sous la forme de bons non négociables. Ce qui
équivaut bien à 100% des réserves de change.
A ce stade de notre analyse, reprenons donc les principaux
éléments caractérisant le <<currency board>>
afin de les confronter à la réalité du fonctionnement des
deux BC objet de notre étude :
A l'analyse, ces six points semblent parfaitement
caractériser le système monétaire dont dépendent la
BCEAO et la BEAC qui pour nous dépendent en fait d'un système de
<<currency board>>, même si rien, ni dans les textes
officiels ni dans les déclarations des autorités des deux zones
monétaires ne l'affirme. Qui plus est, la principale et la plus
récurrente critique
faite aux responsables politiques des pays membres de ces
deux BC est l'absence de souveraineté monétaire et
d'indépendance vis-à-vis de la France. Chose qui serait normale,
si on considère être dans un système de <<currency
board>>.
La controverse est nourrie par l'attitude des dirigeants
africains qui se défendent d'une telle dépendance
vis-à-vis de la France et clament leur totale autonomie. Ils avancent
comme preuve de cette indépendance entre autres, la politique <<
d'Africanisation >> des cadres des deux BC menée depuis les
années soixante-dix et l'organisation institutionnelle de l'UEMOA et de
la CEMAC. En effet, conformément aux textes régissant le
fonctionnement des deux unions monétaires et comme nous l'avons
mentionné dans le premier chapitre de cette étude, il est du
ressort du conseil des ministres de définir la politique
monétaire et de crédit de l'Union.
Si ce dernier argument milite en faveur de la thèse de
l'indépendance des deux BC, il est cependant intéressant de
relever le contrôle que continue d'exercer la France sur les politiques
monétaires de la BCEAO et de la BEAC grâce à sa
présence au sein de leurs instances dirigeantes.
Nous en voulons pour preuve, la possibilité qu'a la
France de mettre un veto lors de la prise de certaines décisions
capitales par l'entremise des règles de majorité grâce
à sa présence aux conseils d'administration des deux
banques57. Ainsi par exemple, tant que le rapport entre le montant
moyen des avoirs extérieurs de la BCEAO et le montant moyen des
engagements à vue demeure égal ou inférieur à
20%58, les décisions supplémentaires du conseil
d'administration en matière d'escompte ou de réescompte d'effets
publics à dix ans au plus doivent être arrêtées
à l'unanimité59. De même au niveau de la BEAC,
le Gouverneur de la Banque est nommé par la Conférence des Chefs
d'Etat de la CEMAC, sur proposition du Conseil d'Administration statuant
à l'unanimité.60
Indépendantes ou pas, la meilleure façon de s'en
convaincre est de confronter la BCEAO et la BEAC aux critères
d'indépendance d'une BC.
57 Article 29 des statuts de la BEAC et 49 des statuts de la
BCEAO
58 Article 51 Alinéa 4 des statuts de la BCEAO
59 Article 52 Alinéas 3 et 8 des statuts de la BCEAO
60 Article 40 Alinéa 1 des statuts de la BEAC