5.6. DISCUSSION
En passant en revue les publications américaines et
européennes sur les atteintes cardiaques associées au SIDA,
Anderson et Virmani rapportent que 6 à 7% des patients infectés
par le VIH présentent des affections cardiaques patentes faites de
tamponnade, CMD, d'arythmies, d'infiltration néoplasique du coeur, etc.
(ANDERSON D.W., VIRMANI R., 1990). La fréquence de ces anomalies
cardiaques du SIDA est de l'ordre de 28 à 73% (REILLY J.M. et al., 1988
; BAROLDI G. et al., 1988).
L'amélioration du traitement des patients avec
infection VIH prolonge la vie de ces patients (CLIFFORD C.D., 1990). Les
anomalies cardiaques sont les causes de décès de 1,1 à
6,3% des sujets (ANDERSON D.W., VIRMANI R., 1990).
En Europe, l'observation de l'infection VIH a montré un
taux de 40,2% des patients décédés ; le
décès est dû à une complication cardiaque dans 13,7%
des cas (DE CASTRO S. et al., 1992). La même constatation a
été faite en Afrique (BERTRAND Ed., 1992) où 6 à
16% des patients sont décédés de causes cardiaques. La
présence des signes cardiaques assombrit le pronostic du noir africain :
près de 50% des décès en moins de 6 mois (BERTRAND Ed.,
1992).
L'objectif de la présente étude a
été de comprendre le rôle de l' association entre le stade
SIDA de l'infection VIH avec atteinte cardiaque et certaines variables
cliniques, biologiques et échocardiographiques sur la survie. Nous
notons une fréquence masculine plus importante que celle des femmes (sex
ratio 1,5) alors que le sex ratio dans la population globale en Afrique est de
1 (QUINN T.C. et al., 1986).
Certains signes cliniques, biologiques et
échocardiographiques ont été reconnus comme marqueurs de
mauvais pronostic accélérant la progression de l'état VIH
positif vers le stade SIDA (FAHEY J.L. et al., 1990 ; SAAH A.J. et al., 1992 ;
SAAH A.J. et al., 1994 ; CURRIE P.F. et al., 1994). Dans ces dernières
études longitudinales, la diminution du nombre absolu de CD4
associée à d'autres facteurs cliniques est le facteur
déterminant de pronostic d'une progression rapide vers le stade SIDA de
l'infection VIH. Malheureusement il n'a pas été clairement
démontré que ces facteurs étaient autant capables de
prédire le pronostic des patients après leur passage au stade
SIDA.
En Angleterre, la cardiomyopathie dilatée au cours de
l'infection VIH est étroitement associée à une
déplétion de CD4 (< 100/mm3) et à une
très courte survie de l'ordre de 101 jours (I.C. 95%, 42-146 jours) en
comparaison avec les autres atteintes cardiaques ou ceux ayant un coeur normal
(CURRIE P.F. et al., 1994).
Nous avons donc soupçonné 7 facteurs avec valeur
potentielle de pronostic sur l'évolution des atteintes cardiaques et de
l'infection VIH du noir africain après passage au stade SIDA.
Au cours de l'infection VIH, les complications cardiaques de
87 noirs du Zaïre sont accompagnées d'une survie moyenne de 4 ans
(médiane 3 ans) après le diagnostic du stade SIDA,
espérance de vie plus longue que la survie moyenne de 1 an
décrite chez le noir africain sans atteintes cardiaques (RYDER R.W. 1988
; MANN J. et al., 1992). Ce travail montre que le noir du Zaïre, une fois
passé au stade SIDA avec une cardiomyopathie dilatée et moins
avec une péricardite, n'évolue pas rapidement à la mort.
L'explication la plus vraisemblable de ce phénomène est que ces
patients, sans traitement antirétroviral (AZT),
bénéficient d'une qualité de soins pour leurs affections
opportunistes et un suivi cardiologique à Lomo Médical de
Kinshasa comparables à ceux des patients européens ou
américains.
L'âge médian des patients au moment du diagnostic
du stade SIDA est de 32 ans. Cet âge jeune (< 40 ans) noté
également au Congo-Brazzaville (BOURAMOUE C. et al., 1992), en Italie
(DE-CASTRO S. et al., 1992) et en Angleterre (SAAH A.J. et al., 1994) s'est
montré un bon facteur prédictif d'une plus longue survie chez les
patients passés au stade SIDA avant 32 ans que ceux âgés
plus de 32 ans, confirmant ainsi d'autres études menées en Europe
(FRIEDLAND G.H. et al., 1991 ; PEDERSEN C. et al., 1990 ; SAAH A.J. et
al., 1994).
Le sexe et la dysfonction diastolique (VE/VA < 1)
n'exercent aucun effet sur le cours de l'état SIDA de ces patients. La
répartition de la survie médiane hommes-femmes atteint
pratiquement l'unité (3/4 ans) et correspond à une transmission
hétérosexuelle de l'infection VIH en Afrique sub-saharienne. Une
étude réalisée à Kinshasa a montré que
l'âge et le sexe étaient étroitement liés à
la séroprévalence VIH (RYDER, W.R. et al., 1987). Entre 25 et 35
ans autant d'hommes que de femmes sont infectés par le VIH et
après 35 ans ce rapport s'inverse au détriment des hommes, car
à l'âge identique ici les hommes sont deux fois plus
touchés (hommes/femmes = 1,5). On a essayé de spéculer
qu'un index anormal de la fonction diastolique servirait à identifier
tout patient exposé à développer des anomalies systoliques
et donc de la dysfonction ventriculaire gauche. La valeur prédictive
des index anormaux de la fonction diastolique n'est pas encore
explicitée. La majorité de patients (75%) présentent
avant l'installation du stade SIDA une diminution du rapport VE/VA en-dessous
de l'unité (altération du remplissage diastolique) qui n'influe
pas sur l'évolution VIH.
Si globalement les complications cardiaques associées
au SIDA manifestent une survie plus longue que les affections opportunistes du
SIDA des africains en général, la comparaison des
catégories révèle que la péricardite est
entachée d'une surmortalité sur 7 ans (93%) par rapport à
la cardiomyopathie dilatée (83%). La survie médiane des patients
avec cardiomyopathie dilatée (3 ans, 2-4) à Kinshasa est 12
à 6 fois plus longue que celle rapportée aux Etats-Unis et en
Amérique (CURRIE P.F. et al., 1994 ; HIMELMAN R. et al., 1989 ;
FACTOR S.M., 1989). L'explication est que la moyenne du nombre de CD4 chez les
patients de Kinshasa avec cardiomyopathie dilatée est supérieure
à 400/mm3. Certains médicaments administrés
aux patients avec SIDA (anthracycline, pentamidine, etc.) toxiques pour le
myocarde et l'effondrement du taux de CD4 associé aux cardiomyopathies
dilatées en Europe et aux Etats-Unis ont été
rapportés (CURRIE P.F., 1994). L'azothymidine (AZT), traitement
antiretroviral, ne diminue pas la prévalence des cardiomyopathies
dilatées ni la mortalité pour certains (HIMELMAN R. et al.,
1989), mais influe favorablement sur le pronostic du SIDA en retardant le
décès pour d'autres (FISCHL M.A. et al., 1987 ; VOLBERDING P.A.
et al., 1990). Nous avons noté une prévalence de
cardiomyopathies dilatées de 52% en association avec l'infection VIH,
taux supérieur à ceux rapportés par Corallo (41%) et Kau
(30 à 40%) en occident (CORALLO S. et al., 1988 ; KAUL S. et al.,
1991).
En analyse multivariée, le nombre de CD4 est
resté avec la péricardite le meilleur facteur de pronostic de
survie des patients zaïrois au stade de SIDA et maintenant sa
signification statistique très haute. Le risque de
décéder au stade SIDA est 3,4 fois plus élevé chez
les Zaïrois avec CD4 < 400/mm3 que chez celui avec CD4 >
400/mm3 (p = 0,0000). Comparée à la cardiomyopathie
dilatée, la péricardite présente un risque relatif de
décès égale à 2.
Le bénéfice du modèle de
régression de Cox réside dans l'utilisation adéquate de
l'information sur la survie de chaque patient, même les patients
restés en vie et dans la possibilité du calcul simultané
de l'effet de tous les facteurs potentiels de risque tout en contrôlant
la covariance entre les variables.
Plusieurs facteurs pronostiques ont été
retrouvés chez les patients sidéens des pays
industrialisés du Nord. Il s'agit entre autres du nombre absolu de
lymphocytes CD4 inférieur à 400/mm3 comme mauvais
pronostic. Quelques publications ont démontré une
corrélation entre le stade du SIDA et la probabilité de trouver
une atteinte cardiaque (LASSAIGNE D. et al., 1991). Le comptage des CD4 a
servi de paramètre dans l'étude de la survie (DE JONG M.S., 1992
; LEVY W.S. et al., 1989 ; MONSUEZ J. et al., 1988).
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