3.3. DISCUSSION
Toutes les tuniques cardiaques présentent des anomalies
au cours de l'infection par le VIH (BLANC P. et al., 1990 ; D'IVERNOIS C. et
al., 1991 ; FRANCIS C.K., 1990 ; CAMMAROSANO C., 1985 ; FINK et al., 1984
; REITANO et al., 1984 ; COHEN I.S. et al., 1986).
Plusieurs facteurs étiologiques interviennent
isolément ou conjointement dans les myocardites et les cardiomyopathies
au cours de l'infection VIH. Près de 80% de ces atteintes cardiaques
épousent une allure primitive (idiopathique). Au point de vue
étiologique, plusieurs hypothèses peuvent être
envisagées : le virus VIH lui-même (GRODY W.W. et al., 1990 ;
CALABRESE L.H. et al., 1987 ; HO D.D. et al., 1987 ; HERSKOWITZ A. et al.,
1992), des virus opportunistes comme le cytomégalovirus (PARRAVICINI et
al., 1992 ; WI T.C. et al., 1992), des réactions auto-immunes (GRODY
W.W. et al., 1990 ; TURNICKY R.P. et al., 1992), l'effet toxique des
catécholamines, des anthracyclines, de l'interféron alpha
(BAROLDI G. et al., 1988 ; REILLY J.M. et al., 1988 ; DEYTON L.R. et al.,
1989) et des carences vitaminiques ou nutritionnelles par déficit en
sélénium ou en L-carnitine (COTTON P., 1990 ; DE SIMONE C. et
al., 1992 ; DWORKIN B.M. et al., 1989 ; KAVANAUGH-MAC et al., 1989 ;
LAFONT A. et al., 1989), des agents infectieux comme le Mycobacterium
tuberculosis, le Mycobacterium avium intracellulaire (MAIL), le toxoplasme
gondii, le cryptococcus neoformans et l'actinomycète (ANDERSON E.L. et
al., 1989 ; BAROLDI G. et al., 1988 ; BERTRAND Ed., 1992 ; COX J.N. et al.,
1990 ; BAUDET B. et al., 1988 ; HOFFMAN P. et al., 1990 ; KAPILA R., 1985
; LUCAS S. et al., 1992 ; SCHONHEYDER H. et al., 1992). Mais il faut souligner
que dans plusieurs cas, aucune étiologie n'a été
retrouvée (BERTRAND Ed., 1992 ; CORBOY J.R. et al., 1987).
Le rôle du VIH est de plus en plus cité comme
facteur étiologique des myocardites et des cardiomyopathies
dilatées (BERTRAND Ed., 1992 ; BOURAMOUE C. et al., 1992 ;
CALABRESE L.H. et al., 1987 ; CENACCHI G. et al., 1990 ; FLOMENBAUM M. et al.,
1989 ; GRODY W.W. et al., 1990). Le VIH a été isolé dans
le myocarde d'un patient avec cardiomyopathie dilatée (CALABRESE L.H. et
al., 1987).
Nous avons examiné 83 patients infectés par le
VIH dont 49 hommes et 34 femmes. Le sexe ratio est de 1,4 en faveur du sexe
masculin. L'infection VIH touche indistinctement les deux sexes dans notre
étude menée au Zaïre, observation déjà
publiée par d'autres auteurs (COLEBUNDERS R. et al., 1986 ; ODIO W. et
al., 1985 ; PIOT P. et al., 1984). La moyenne d'âge des patients de
notre série est de 33,16 + 8,09 ans (extrêmes 15 et 52
ans). Il n'y a pas de différence statistiquement significative entre
l'âge moyen des hommes (34,46 + 8,024 ans) et celui des femmes
(31,26 + 7,91 ans). La maladie touche l'adulte jeune. Ceci confirme
les constatations antérieurement faites sur le Zaïre (COLEBUNDERS
R. et al., 1986 ; ODIO W. et al., 1985 ; PIOT P. et al., 1984). La même
tranche d'âge (34,6 + 5,4 ans) a été
rapportée aussi en Italie (DE CASTRO S. et al., 1992).
La maladie demeure de transmission
hétérosexuelle dans notre étude (54% des
célibataires, 42% des mariés et 4% des veufs dont les conjoints
sont décédés de l'infection VIH), contrairement aux
milieux occidentaux où les homosexuels et les drogués constituent
des groupes à haut risque (COLEBUNDERS R. et al., 1986 ; GENTILINI M. et
al., 1988 ; ODIO W. et al., 1985 ; PIOT P. et al., 1984 ; DE CASTRO S. et al.,
1992 ; VAN HOEVEN K.H. et al., 1990 ; KAUL S. et al., 1991 ; AKHRAS F. et
al., 1994 ; HECHT S.R. et al., 1989). La fréquence des atteintes
cardiaques au cours de l'infection VIH est difficile à apprécier,
elle varie d'un auteur à l'autre en fonction de la définition
donnée et de la nature des séries qui sont autopsiques ou
échocardiographiques (BERTRAND Ed., 1992 ; D'IVERNOIS C. et al., 1991 ;
FRANCIS C.K., 1990). Selon les séries autopsiques, le coeur est atteint
dans 25 à 72% des cas (ANDERSON D.W. et al., 1988 ; BAROLDI G. et al.,
1988 ; BERTRAND Ed., 1992 ; BLANC P. et al., 1990 ; FRANCIS C.K., 1990 ;
HOFFMAN P. et al., 1990 ; LUCAS S. et al., 1992 ; VULLIEMIN P. et al., 1993 ;
MARTIN R.P. et al., 1980 ; FINK L. et al., 1984 ; MONSUEZ J. et al., 1988).
371 autopsies effectuées chez des noirs ivoiriens
décédés de SIDA montrent 36,6% d'atteintes myocardiques,
28,8% d'atteintes péricardiques, 6,95% d'atteintes néoplasiques
et 2,96% d'atteintes endocardiques (BERTRAND Ed., 1992).
Notre série étudie les aspects cliniques,
électrocardiographiques, radiologiques et échocardiographiques.
Chez 54,2% des patients symptomatiques (45,8% asymptomatiques), la
symptomatologie au plan cardiovasculaire est dominée par la
dyspnée (stades II-IV NYHA) et la tachycardie alors que l'examen
clinique montre seulement 13,3% des cas d'insuffisance cardiaque globale et
rarement un frottement péricardique, un assourdissement des bruits
cardiaques ou une tamponnade. L'électrocardiogramme effectué
chez nos patients dessine un tracé normal chez 40 patients (48,2%) et
des altérations atypiques chez 43 patients (51,8%) avec
prédominance d'une tachycardie sinusale. A l'échocardiogramme,
nous notons 23 cas (27,7%) de péricardite liquidienne, 14 cas (18,1%) de
cardiomyopathie dilatée avec un effondrement de la fonction systolique
chez tous les patients et 1 cas d'endocardite infectieuse (1,2%). Dans
d'autres villes africaines, la fréquence des lésions cardiaques
est plus élevée en tout ou en partie : 61% des cas de
cardiomyopathie dilatée, 35,1% des cas de péricardite liquidienne
et 3,9% des cas d'endocardite infectieuse à Brazzaville (BOURAHOUE C. et
al., 1992) ; 26,6% des cas de cardiomyopathie dilatée et 10% des
cas de péricardite liquidienne à Ouagadougou (BOGUI-FERRONA et
al., 1992) et une fréquence égale de 23% pour les cas de
cardiomyopathie dilatée et de péricardite liquidienne à
Abidjan (BERTAND Ed., 1992). Mais la fréquence des complications
cardiaques dans notre série se rapproche de celle des pays occidentaux
avec 23% des cas de péricardites en général (MARTIN R.P.
et al., 1980 ; REILLY J.M. et al., 1988 ; ANDERSON D.W. et al., 1988 ;
CAMMAROSANO C. et al., 1985 ; FINK L. et al., 1984 ; MONSUEZ J. et al., 1988 ;
KAUL S. et al., 1991 ; LEVY W.S. et al., 1989 ; BLANCHARD D.G. et al., 1991 ;
CORALLO S. et al., 1988 ; STEFFEN H.M. et al., 1991 ; HIMELMAN R.B. et al.,
1989 ; KINNEY E.L. et al., 1989) et 26% des péricardites chez les
homosexuels de New-York (HECHT S.R. et al., 1989). Dans la présente
étude, 19% de nos patients avec péricardite liquidienne patente
à l'échocardiographie présentent une silhouette cardiaque
normale à la radiographie du thorax à incidence de face.
La fonction systolique du ventricule gauche est
effondrée chez tous nos patients avec cardiomyopathie dilatée.
Doit-on considérer le virus VIH responsable des lésions
cardiaques rencontrées ? Des réserves sont permises dans
l'établissement des liens de causalité entre la présence
du VIH et les lésions découvertes in situ. Certains auteurs sont
affirmatifs en attribuant toutes les lésions myocardiques au virus VIH
(GRODY W.W. et al., 1990 ; FLOMENBAUM Metal, 1989 ; CALABRESE L.H. et al.,
1987).
La littérature européenne rapporte aussi comme
nous la rareté des endocardites infectieuses au cours du SIDA, sauf chez
les toxicomanes qui présentent une prévalence très
élevée de l'ordre de 31% (D'IVERNOIS C. et al., 1991 ; VULLIEMIN
P., 1993 ; MINARDI G. et al., 1991). Ces endocardites infectieuses sont
déterminées par l'Aspergillus fumigatus, les Listeria
monocytogenes et par la Salmonella thyphimurium (ACIERNO L.J., 1989 ; BERTRAND
Ed., 1992 ; BOURAMOUE C. et al., 1992).
Le seul cas d'endocardite infectieuse à Salmonella
enteritidis rapporté par notre travail confirme la rareté de la
détermination endocarditique de la Salmonella comme déjà
signalée dans la littérature (PITCHENIK A.E. et al., 1983).
Contrairement aux patients africains ne recevant pas de traitement
antiretroviral ; les batériémies à Salmonelles non
typhiques sont fréquentes chez les américains ou européens
traités par la Zidovudine (SALMON C.D. et al., 1992 ; SMITH P.D. et al.,
1985). A l'autopsie, l'endocardite thrombotique abactérienne
(marastique) est souvent observée chez 5 à 7% des
immunodéprimés VIH (LEWIS W., 1989 ; CAMMAROSOANO C., LEWIS W.,
1985).
Tous nos patients sont au stade A de l'infection par le VIH
selon les critères du CDC (1993), fait confirmé par De Castro S.
et al ailleurs (DE CASTRO S. et al., 1992).
Ce travail a établi le rôle de l'infection VIH
sur l'excès des atteintes cardiaques observées ces dix
dernières années en Afrique subsaharienne. En comparant 166
patients cardiaques infectés par le VIH à 38 cardiopathes VIH
négatifs, nous trouvons 28,3% d'anomalies échocardiographiques
avec dilatation du VG à tous les stades de l'infection par le VIH contre
13% chez les séronégatifs (p = 0,035), proportion identique
à celle de Lipman en milieu londonien (28,3%) mais deux fois
inférieure à celle de Caggese (56%) selon Lanfranchi (LANFRANCHI
J. et al., 1993).
La symptomatologie cardiovasculaire est plus présente
chez les cardiaques infectés par le VIH que chez les cardiaques
séronégatifs : la dyspnée fonctionnellement comprise entre
les classes II et IV de la NYHA est retrouvée chez 40,4% de sujets
infectés par le VIH et chez 13% de non infectés. Sans
préciser la classe fonctionnelle de la dyspnée, Akhras retrouve
comme nous 40% des patients dyspnéiques parmi les sujets homosexuels
infectés par le VIH à Londres (AKHRAS F. et al., 1994).
La prévalence de la dilatation et de
l'altération de la fonction ventriculaire gauche varie avec le stade
définitif de l'infection VIH chez le noir africain. Comme le montre ce
travail, l'augmentation du diamètre télédiastolique est
plus marquée chez les cardiaques infectés par le VIH (VIH+ et
SIDA) que chez les cardiaques indemnes ; la fraction de raccourcissement est
inférieure à 26% chez les cardiaques passés au stade C3
SIDA, mais reste de manière isolée intacte chez les cardiaques
VIH positifs encore au stade A. La diffusion de l'infection VIH en Afrique
explique la prépondérance de la dysfonction ventriculaire gauche
parmi les patients VIH positifs par rapport aux cardiopathes
immunocompétents. Ces complications cardiaques se manifestent sous
l'aspect des cardiomyopathies dilatées liées à l'infection
VIH bien connues aux Etats-Unis et en Europe (LANFRANCH J. et al., 1993 ; COHEN
et al., 1986 ; AKHRAS F. et al., 1994).
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