2.3. DISCUSSION
En Afrique subsaharienne, la fréquence
élevée des péricardites liquidiennes associées
à l'infection VIH est de plus en plus rapportée au cours du
temps. Ce type de péricardites survient aux stades précoces de
l'infection VIH dans la majorité des travaux réalisés en
Afrique noire (MALU K. et al., 1988 ; CEGIELSKI J.P. et al., 1990 ;
TAELMAN H. et al., 1990 ; KAGAME et al., 1991). Mais deux études, une
première menée au Congo (BOURAMOUE C. et al., 1992) et une
deuxième au Zaïre (TONDUANGU K. et al., 1995), ont
révélé la survenue des péricardites liquidiennes au
stade SIDA (CDC, 1993) chez le Noir africain.
En étudiant de manière rétrospective les
aspects cliniques et étiologiques des péricardites aiguës
chez 34 patients zaïrois infectés par le VIH admis entre 1985 et
1986, nous avons noté leur prévalence portée à
12,4%, taux six fois plus élevé que celui d'avant
l'épidémie du SIDA à Kinshasa (BEHEYT et al., 1977 ;
MBARAGA N. et al., 1984) et taux tendant au double de celui observé en
1968 (7%) à Abidjan (BERTRAND Ed. et al., 1968).
Au plan étiologique des péricardites, le
Mycobacterium tuberculosis qui dominait le tableau étiologique de ces
affections chez le sujet noir masculin avant l'explosion des cas
infectés par le VIH, a cédé la place au rôle
probable du VIH au stade aigu de la péricardite associée aux
stades précoces de l'infection VIH. Aussi 50% de péricardites
rapportées en 1988 par le Zaïre (MALU K. et al., 1988) et 72% en
1990 par la Tanzanie (CEGIELSKI J..P. et al., 1990) sont étroitement
associées à la présence de l'infection VIH. Cependant, au
fur et à mesure que l'infection VIH progresse en Afrique, l'association
de la tuberculose et de l'infection VIH devient on ne peut plus significative.
Parmi les péricardites tuberculeuses confirmées, il a
été noté 91% de cas chez des sujets rwandais au stade non
défini de l'infection VIH (KAGAME et al., 1991), 72% (60% à
l'état non précisé de l'infection VIH et 12% au stade SIDA
de CDC 1993) chez des patients de Tanzanie (CEGIELSKI J.P. et al., 1990) et
91,3% chez des patients au stade SIDA du Zaïre (TONDUANGU K. et al.,
1995).
Dans le milieu hospitalier du Zaïre, cette forme de
péricardite-VIH semble frapper surtout le sujet du sexe féminin.
Elle passe inaperçue pour un clinicien non averti. L'amaigrissement
dans 100% des cas, la fièvre dans 88,2%, la pneumopathie à
pneumocystis carinii dans 29,4% et la candidose buccopharyngée dans
29,4% constituent le tableau clinique de l'infection à VIH. Les
aspects échocardiographiques de ces péricardites-VIH montrent un
espace clair postérieur ne dépassant pas 5 mm.
Aux Etats-Unis, la péricardite avec ou sans signes de
tamponnade a été la première manifestation cardiaque
rapportée chez les patients atteints de SIDA (HERSKOWITZ A.H. et al.,
1989) comme nous l'avons noté aussi. Le mérite des études
américaines réside dans le fait d'avoir isolé plusieurs
agents étiologiques :
- cancers (CAMMAROSANO C. et al., 1985)
- cyptococcus neoformans (BRIVET F. et al., 1987)
- mycobacterium tuberculosis (D'CRUZ I.A. et al., 1986)
- mycobacterium avium-intracellulare (WOODS G. et al.,
1989)
- herpes simplex (FREEDBERG R.S. et al., 1987)
- nocardia asteroides ou actinomycetales (HOLTZ M.A. et al.,
1985).
Notre étude rapporte la présence des
péricardites au cours de l'infection à VIH. Le mécanisme
d'action du VIH sur le péricarde nous paraît obscur. Deux
hypothèses peuvent être avancées : la présence des
infections opportunistes à affinité cardiaque et l'atteinte
immunologique par complexes immuns des tuniques cardiaques. Aucune
péricardite fungique n'a été constatée dans notre
série contrairement à l'atteinte fungique du péricarde des
séries de la littérature (CAMMAROSANO C. et LEWIS, 1985 ;
OLUWOLE et al., 1985 ; ACIERNO L.J., 1989). Il n'a pas été
possible d'isoler certains virus opportunistes tels que le cytomegalovirus. Le
cytomegalovirus a été incriminé comme agent
étiologique d'une péricardite avec tamponnade au cours du SIDA en
Amérique (NATHAN P.E. et al., 1991). L'invasion néoplasique par
le sarcome de Kaposi généralisé a été
observée chez deux de nos patients. Le liquide péricardique est
stérile chez 100% de nos patients comme l'a rapporté aussi
Auringer (AURINGER S.T. et al., 1993).
Au plan clinique, la douleur thoracique atypique (94%), la
fièvre (88%), l'amaigrissement (100%) et le frottement
péricardique (59%) sont des signes habituellement
présentés par les patients.
L'hypothèse de travail de la partie prospective
menée de 1991 à 1994 était de démontrer que la
recrudescence des péricardites liquidiennes était liée
à l'augmentation de l'incidence de la tuberculose en association avec
l'infection VIH dans les pays en voie de développement en
général et dans les pays africains en particulier (BLASER M.J.,
1986 ; QUINN T.C. et al., 1986) et que la prévalence des cas de
tuberculose extra-pulmonaire était la plus élevée parmi
les sujets infectés par le VIH (CHAISSON R.E. et al., 1987 ; PITCHENIK
A.E. et al., 1984 ; PITCHENICK A.E. et al., 1987 ; NOBLE O., FOWLER, 1991
; DALLI E. et al., 1987 ; TONDUANGU K. et al., 1995). Cette hypothèse
demeure spéculative à l'état actuel de nos connaissances
sur le VIH et surtout de l'infrastrusture sanitaire défavorisée
de l'Afrique noire incapable d'évaluer l'étiologie exacte de ces
péricardites. En relation avec la misère de la population
africaine aggravée par l'infection VIH ne permettant pas à
l'Afrique subsaharienne de poser souvent le diagnotisc indirect
(sérologie VIH par ELISA, Radio-immunoprécipitation ou RIPA,
Western Blot) ou le diagnostic direct (détection des antigènes
VIH par PCR) de l'infection par le VIH et en prenant le nombre de CD4 comme
référence, de nouveaux facteurs pronostiques de la biologie
sanguine de très bon marché ont été
recherchés dans la péricardite associée à
l'infection VIH.
Le tableau clinique des péricardites associées
à l'infection par le VIH diffère de celui des péricardites
survenant chez des sujets séronégatifs : apparition aux stades
précoces de l'infection VIH de sudations nocturnes et d'une dilatation
du ventricule gauche. La radiographie du thorax (peu sensible) et
l'électrocardiogramme (peu sensible) sont superflus dans l'exploration
fonctionnelle d'une péricardite associée à l'infection par
le VIH ; mais ces examens détectent comme d'habitude la
cardiomégalie (radiographie du thorax) et le sus-décalage du
segement ST avec concavité supérieure (ECG) dans la
péricardite survenue chez les séronégatifs pour le VIH.
Les facteurs étiologiques des péricardites
associées au VIH varient selon le temps et le degré du
déficit immunitaire : aux stades pre-SIDA d'infection par le VIH
(IVA-IVB), le VIH (65,7%) et la tuberculose (25%) en sont les principales
causes alors qu'au stade CDC du SIDA la tuberculose (90,5%) en est presque
l'unique cause. Le sarcome de Kaposi détermine la péricardite
associée au VIH dans des proportions similaires dans l'état
d'infection VIH (9,3%) et dans l'état de SIDA (9,5%).
La tuberculose est incriminée dans 75% des
péricardites survenues chez les patients séronégatifs pour
le VIH. La prévalence très élevée (90,5%) de la
tuberculose dans la péricardite associée au SIDA dans la
présente étude confirme par ailleurs certaines études
antérieures menées en Tanzanie, au Rwanda et au Congo (CEGIELSKI
J.P. et al., 1990 ; TAELMAN H. et al., 1990 ; BOURAMOUE C. et al., 1992).
Cette forte prévalence de la tuberculose comme étiologie des
péricardites du Zaïrois avec ou sans SIDA confirme son lien fort
étroit avec l'infection par le VIH comme rapporté aux Etats-Unis
d'Amérique (CDC, 1988 ; HANDWERGER S. et al., 1987) et surtout dans les
pays en voie de développement (BLASER M.J., 1986 ; QUINN T.C. et al.,
1986), tout comme la tuberculose extrapulmonaire est si fréquente chez
les sujets infectés (CHAISSON R.E. et al., 1987 ; PITCHENIK A.E. et al.,
1984 ; PITCHENIK A.E. et al., 1987).
L'ascite a été plus rencontrée (50%) dans
les péricardites tuberculeuses des sujets séronégatifs que
dans celles associées à l'infection par le VIH (10%). Dans ce
contexte l'ascite signe l'apparition de la péricardite constrictive due
à la tuberculose comme souvent rapportée dans les pays en voie de
développement (LORELL B.H., BRAUNWALD E., 1988).
Le fait que 18% des patients infectés par le VIH
développent une anergie tuberculinique, proportion du reste
statistiquement non différente de ceux des patients
séronégatifs pour le VIH (25%) et de la population
générale de l'Afrique noire, suggère que les patients ont
été examinés aux stades précoces de leur
immunodéficience acquise liée au VIH.
Au cours de l'infection par le VIH les péricardites
persistent au-delà d'une moyenne de 10 semaines d'hospitalisation chez
65,7 % de patients infectés au stade de SIDA.
L'évolution des péricardites est stable chez 80%
(17/21 patients) des patients infectés par le VIH et traités par
une quadruple association constituée de Rifampicine, d'Isoniaziole,
d'Ethambutol et de Pyrazinamide pendant deux mois et de la bi-association
Rifampicine et Isoniazide les quatre mois restants.
Il est recommandé de situer le stade de l'infection VIH
en cas de tuberculose afin de rendre efficient le traitement antituberculeux
des patients séropositifs pour le VIH (RUBIN R.H., 1991).
Malheureusement il n'est pas aisé d'obtenir chez tous les patients de
l'Afrique subsaharienne le compte de CD4 qui est étroitement
correlé au degré du déficit immunitaire (STEIN et al.,
1992). Le taux de lymphocytes et le nombre absolu des CD4 restent dans les
limites normales chez les tuberculeurx séronégatifs. Cependant
il est noté une baisse significative des lymphocytes et des CD4 chez les
tuberculeurx infectés par le VIH.
Plusieurs constantes hématologiques sont
altérées d'une manière significative chez les
infectés par le VIH : l'anémie, la diminution des
éosinophiles et des basophiles. Seule la numération des
éosinophiles donne une corrélation positive avec le compte des
CD4 chez les patients avec une infection par le VIH. En Afrique subsaharienne
l'éosinophilie accompagne souvent différentes helminthiases. Les
deux groupes de patients infectés ou non par le VIH sont comparables
devant le risque de l'infestation parasitaire. L'hyperéosinophilie est
plutôt observée dans la tuberculose résistante (YONG A.J.
et al., 1989). La diminution des éosinophiles des patients VIH positifs
serait probablement déterminée par l'infection VIH. Les
éosinophiles seraient probablement de nouvelles cibles du VIH qui in
vitro y subirait une replication (FREEDMAN et al., 1991). En outre, les
cytokines (granulocyte/macrophage colony stimulating factor et interleukin 5 ou
IL-5) jouent un rôle non négligeable dans la physiologie des
éosinophiles (CLUTTERBUCK et al., 1989). L'anomalie de la production de
IL-5 pourrait augmenter le rythme pré-établi de la mort
cellulaire au niveau des éosinophiles de l'homme (STERN M. et al.,
1992). Ainsi, l'infection par le VIH pourrait induire la baisse du nombre des
éosinophiles au niveau du sang périphérique par un
dérèglement de la synthèse des cytokines (CLERICI M.,
1993) ou par une destruction directe des éosinophiles, sinon par les
deux mécanismes. Cette diminution des éosinophiles progresse
avec l'évolution de l'infection à VIH. L'intérêt
des éosinophiles est aussi grand dans l'évaluation du taux de
passage des patients de l'état de séropositif VIH au stade SIDA
en prenant le nombre des CD4 comme référence. La proportion des
patients passés au stade de SIDA selon le taux initial des
éosinophiles (16 patients) est plus importante quand le nombre des
éosinophiles devient inférieur à 250/mm3.
Au cours du temps l'incidence de péricardites
associées à l'infection par le VIH épouse une allure
épidémique alors que celle des péricardites des sujets
séronégatifs tend à décroître. La
mortalité est identique dans les deux types de péricardites.
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