De la contribution de la jurisprudence du TPIR à l'incrimination du crime de génocide( Télécharger le fichier original )par Jean de Dieu SIKULIBO Université nationale du Rwanda - Licence 2007 |
B. Interprétation extensive des actes de génocide prévus par la ConventionQuand on parle du génocide, l'acte le plus évident qui n'appelle guère de commentaires, est le «meurtre de membres du groupe» visé à l'alinéa a) de l'article II de la Convention sur le génocide ainsi que par l'article 2 (2)(a) du Statut du TPIR. Beaucoup d'actes d'accusations ne précisent pas spécifiquement quel sous-paragraphe soutient les accusations. Cela a été cependant spécifié dans les jugements du Tribunal. Le TPIR a surtout analysé le meurtre et l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe en tant qu'actes de génocide. C'est par conséquent sur ces derniers points que le TPIR paraît avoir apporté une contribution significative. L'expression « atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe » à l'alinéa b) du même article désigne également une forme de génocide, bien qu'il subsiste une ambiguïté quant à l'interprétation de cette disposition, en ce qui concerne surtout une atteinte grave à l'intégrité mentale. Le TPIR note que le fait de causer une atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale à des membres d'un groupe ne signifie pas nécessairement que l'atteinte soit permanente et irréversible144(*). Il existe une certaine controverse quant à cette opinion. Les États-unis, au moment de la ratification de la Convention, formulèrent dans une déclaration interprétative l'observation que le terme «atteinte à l'intégrité mentale» prévu à l'article II b) signifie une détérioration permanente des facultés mentales causée par la drogue, la torture ou par des techniques similaires145(*). Dans le projet de Statut de la Cour pénale internationale, le comité préparatoire nota que la référence à une atteinte à l'intégrité mentale devait s'étendre d'une détérioration grave et permanente des facultés mentales146(*). Il faut cependant remarquer qu'aucune exigence de permanence ne se trouve dans les travaux préparatoires de la Convention sur le génocide147(*). Par conséquent et sur ce point, la clarification du TPIR constitue, à notre sens, une contribution valable. De même, concernant l'interprétation que le TPIR opère des actes de génocide, on constate une tendance de sa jurisprudence à inclure dans le champ de protection le groupe en sa qualité de structure sociale. À cet égard les développements de la jurisprudence du Tribunal sur la question de savoir si les crimes de violences sexuelles peuvent être qualifiés des actes du crime de génocide, constituent une contribution majeure significative sur le développement progressif du droit international sur le génocide. En effet, les crimes de violences sexuelles ont souvent été traités du point de vue de la moralité et non comme des atteintes à l'intégrité physique et mentale de la victime148(*). Le TPIR a fondamentalement contribué à l'évolution du droit pénal en affirmant que le viol et d'autres actes de violences sexuelles peuvent être considérés comme une atteinte à l'intégrité physique ou mentale en tant qu'acte de génocide lorsqu'elle est commise avec une intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, le groupe protégé. C'est en se référant donc à l'article 2 (2) (b) que le Tribunal, lors de l'une de ses importantes innovations, indique que les viols et des violences sexuelles, en tant qu'atteintes à l'intégrité physique ou mentale des victimes, peuvent bien être constitutives de génocide, au même titre que d'autres actes, s'ils ont été commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe spécifique ciblé en tant que tel. Cette innovation du TPIR pourrait de prime abord ne pas paraître très importante attendu que, dès lors qu'elle est perpétrée dans le cadre d'un génocide, toute atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale d'une victime expose son auteur à une condamnation pour le fait de génocide. Cependant, la conclusion dégagée par le TPIR tire son importance du caractère particulièrement sensible du viol dans un monde où les droits de la femme ne cessent de s'affirmer. Les femmes réclament une reconnaissance spécifique de leurs droits aussi bien que de leur souffrance. C'est ce que le TPIR a fait en qualifiant le viol, perpétré dans l'intention de détruire le groupe auquel appartient la victime, de crime constitutif de génocide. * 144 Voy. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 502 ; Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 108 ; Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, par. 51 ; Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 156 ; Procureur c. Ignace Bagilishema, supra note 62, par. 59 ; Procureur c. Laurent Semanza, supra note 63, pars. 320-322 ; Procureur c. Juvénal Kajelijeli, supra note 66, par. 815. * 145 Cfr. Texte portant réservation et déclaration des États-Unis sur la Convention de 1948 disponible sur http://www.icrc.org/dih.nsf/NORM/0F926EB9A8084BEDC125643B005D51B4?OpenDocument consulté 30 juillet 2007. * 146 Voy. R. S. LEE, The international criminal court, Ardsley, Transnational Publishers, 2001, p. 50. * 147 R. NEHENIAH, op. cit., note 16, p. 9. * 148 Voy. W. A. SCHABAS, op. cit., note 20, p. 162. Voir également S. BROWNMILLER, Against our will Ó Men, women and rape, New York, Simon and Schuster, 1975, p. 94. |
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