De la contribution de la jurisprudence du TPIR à l'incrimination du crime de génocide( Télécharger le fichier original )par Jean de Dieu SIKULIBO Université nationale du Rwanda - Licence 2007 |
§ III : La complicité dans le génocideA. DéfinitionAlors que dans le Statut du TMI de Nuremberg le principe était déjà admis que la complicité ou le complot dans la commission d'un crime contre la paix, d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, est un crime au regard du droit international et puni en conséquence123(*), la Convention sur le génocide n'a pas retenu la possibilité d'incriminer la complicité dans la tentative de génocide, la complicité dans l'incitation à commettre le génocide ou encore la complicité dans l'entente en vue de commettre le génocide. Ces notions semblaient trop vagues à certains États pour tomber sous le coup de la Convention124(*). Cette lacune a vite été remédiée dans la mise en oeuvre de la répression du génocide rwandais par le TPIR. La notion de complicité n'ayant pas été définie dans l'article 2 du Statut du TPIR, ce dernier a procédé à une interprétation de cet article. Il a retenu la définition de complicité donnée par le code pénal rwandais, ainsi que les trois premières formes de participation criminelle prévues à l'article 91 du même code, en tant que constitutives de complicité dans le génocide125(*). Ces trois formes sont la complicité par fourniture de moyens, la complicité par aide ou assistance sciemment fournie et la complicité par instigation. B. La complicité n'exige pas l'intention spécifique du génocideL'élément moral de la complicité est en effet précisément défini par la jurisprudence du TPIR. L'élément moral de la complicité suppose en général la conscience chez l'agent, au moment où il agit, du concours qu'il apporte dans la réalisation de l'infraction principale126(*). En matière de génocide, l'intention propre au complice est donc bien d'aider ou d'assister, en connaissance de cause, une ou plusieurs autres personnes à commettre un crime de génocide127(*). Les juges du TPIR considèrent que le complice dans le génocide n'a donc pas nécessairement à être lui-même animé du dol spécial du génocide, qui requiert l'intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe protégé, comme tel. Un accusé est complice de génocide s'il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou plusieurs personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l'accusé n'avait pas lui même l'intention spécifique de détruire le groupe visé, comme tel128(*). En somme, pour qu'un accusé soit jugé complice, il n'est pas nécessaire de faire la preuve de ce qu'il est animé de l'intention de détruire en tout ou en partie un groupe protégé, contrairement à l'incitation à commettre le crime de génocide. Il est intéressant de mentionner qu'un complice peut être jugé, même si l'auteur principal de l'infraction n'a pas été retrouvé ou si une culpabilité ne peut pas, pour d'autres raisons, être établie129(*). Aussi, la même personne ne peut être coupable de génocide et de complicité pour le même fait130(*). Enfin, comme nous venons de le voir la contribution du TPIR dans l'interprétation de la Convention sur le génocide est de grande envergure. Mais, le fait que le TPIR soit le tout premier tribunal à avoir procédé à cette interprétation dans le cadre d'un procès pénal international, justifie que soient non seulement relevés mais aussi évalués ses apports à la consolidation et à l'évolution du droit international pénal substantiel sur le génocide en veillant à les replacer dans la perspective du développement jurisprudentiel et de la doctrine pertinente. À ce propos, il faut rappeler que le chapitre suivant va procéder à une évaluation critique de certains développements du TPIR sur le crime de génocide. * 123 Statut du TMI de Nuremberg du 8 août 1945, article 6 «... les dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un quelconque des crimes ci-dessus définis sont responsables de tous les actes accomplis par toutes personnes en exécution de ce plan». * 124 Voy. W. A. SCHABAS, op. cit., note 20, p. 57. * 125 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 537, voir également dans le même sens Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 179 ; Procureur c. Laurent Semanza, supra note 63, par. 395. * 126 Y. JUROVICS, L'appréhension de la notion de génocide, in L. BURGOGUE-LARSEN, La répression internationale du génocide rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 226. * 127 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 540, Elizaphan Ntakirutimana et Gérard Ntakirutimana c. Procureur, Affaire nos ICTR-96-10-A et ICTR-96-17-A, Arrêt du 13 décembre 2004, par. 364. * 128 Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, pars. 181-183 ; Procureur c. Ignace Bagilishema, supra note 62, par. 71 ; Procureur c. Laurent Semanza, supra note 63, par. 394. * 129 Voy. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 531. * 130 Idem, par. 532. Voir également Procureur c. Hassan Ngeze, Jean Bosco Barayagwiza et Ferdinand Nahimana, supra note 80, par. 1056 ; Procureur c. Athanase Seromba, supra note 94, par. 343. |
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