De la contribution de la jurisprudence du TPIR à l'incrimination du crime de génocide( Télécharger le fichier original )par Jean de Dieu SIKULIBO Université nationale du Rwanda - Licence 2007 |
SECTION II : Le crime de génocide à travers ses éléments constitutifsL'article 2 du Statut du TPIR reprend textuellement les articles II et III de la Convention sur le génocide. À la lecture de cet article, il ressort que le crime de génocide se compose principalement de trois éléments, notamment l'intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe protégé (mens rea) (§I), la nature du groupe protégé par la Convention (§II) et la perpétration d'un ou plusieurs des actes énumérés au paragraphe 2 de la disposition (actus reus) (§III). Ainsi, l'incrimination du génocide définit un aspect intrinsèque et un aspect extrinsèque du crime. La disposition vise dans son élément matériel les atteintes aux biens juridiques individuels et dans son élément moral les atteintes aux biens de droit collectifs. La jurisprudence du TPIR considère que l'incrimination du génocide suppose que l'auteur ait commis au moins un des actes énumérés à l'article 2(2) du Statut et qu'il doit avoir eu, en plus d'une simple intention de réaliser l'acte en question, l'intention de détruire en toute ou en partie le groupe protégé en tant que tel62(*). Le crime de génocide est réalisé si l'auteur a commis l'un des actes constitutifs de génocide en étant habité du dol spécial. Le génocide appelle par conséquent une analyse en deux parties, d'une part les actes incriminés, et de l'autre part l'intention spécifique ou dolus specialis, lequel réside dans l'intention de détruire un groupe protégé63(*). § I : L'appréciation de l'intention requise ou la mens rea applicableA. Dol spécialLe dol spécial constitue un élément très spécifique du génocide. Les juges du TPIR définissent ce dol spécial comme l'intention précise, chez le criminel, de provoquer le résultat incriminé, à savoir la destruction, en tout ou en partie, un groupe protégé64(*). L'établissement de cet élément du dol spécial présente des difficultés sur le plan de la structure du crime en tant que crime collectif ou «mass crime». En effet, la question qui se pose est de savoir si l'existence du dol spécial doit être établie au niveau de la politique génocidaire et/ou au niveau de l'agent individuel. Dans sa jurisprudence, le TPIR a adopté une double approche en établissant l'intention génocidaire dans la politique menée ainsi que l'intention individuelle de l'accusé65(*). B. Les facteurs à considérer pour la détermination du dol spécialLa pratique jurisprudentielle du TPIR a permis d'identifier certains éléments susceptibles de démontrer l'intention spécifique de détruire un groupe protégé comme tel en considérant, d'abord, que l'intention est un facteur d'ordre psychologique qu'il est difficile, voire impossible, d'appréhender avec certitude. Par sa nature même, l'intention spécifique n'est pas toujours susceptible de preuves directes. Seul l'accusé lui-même est conscient de son intention spécifique. Les juges du TPIR l'ont déduit tantôt au niveau de l'auteur présumé, tantôt en l'analysant dans le contexte de la perpétration des crimes et des éléments indicateurs de l'existence de cette intention spécifique66(*). Ainsi, ils ont considéré qu'à défaut d'aveu de la part de l'accusé, son intention peut se déduire d'un certain nombre de faits, comme la perpétration d'autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, l'échelle des atrocités commises, le fait de délibérément et systématiquement choisir les victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, tout en excluant les membres des autres groupes. Il y a aussi la doctrine générale du projet politique inspirant les actes susceptibles de relever de la définition du génocide, la répétition d'actes de destruction discriminatoires, la perpétration d'actes portant atteinte au fondement du groupe, ou à ce que les auteurs des actes considèrent comme tels, actes qui ne relèveraient pas nécessairement eux-mêmes de l'énumération de la Convention mais qui sont commis dans le cadre de la même ligne de conduite67(*). Il ressort de la jurisprudence du TPIR qu'en plus du contexte général de l'acte, la façon dont les différents actes ont été perpétrés, ainsi que le comportement de l'auteur avant et après la commission de l'acte, fournissent des indices relatifs à la perception de l'auteur68(*). Ce sont surtout non seulement les actes et omissions de l'auteur mais aussi ses propos qui peuvent constituer des indices permettant d'apprécier la perception accompagnant l'acte69(*). Pour cette question des éléments de preuve pouvant être considérés pour déterminer l'intention spécifique de l'accusé, la Chambre d'appel dans l'affaire Ngeze et consorts a jugé que, pour une infraction comme l'incitation directe et publique à commettre le génocide, il est loisible de considérer des événements qui se sont produits avant le 1er janvier 1994 pour établir la mens rea de l'accusé70(*). * 62 Cfr. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 497. Voir également Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 89 ; Procureur c. Ignace Bagilishema, Affaire no ICTR-95-1A-T, (Chambre de première instance) Jugement du 7 juin 2001, par. 55, Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 154. Voir aussi dans le même sens Georges E. Rutaganda c. Procureur, Affaire no ICTR-96-3-A, (Chambre d'appel) Arrêt du 26 mai 2003, par. 523 ; Eliezer Niyitegeka c. Procureur, supra note 58, pars. 51-53 ; Procureur c. Emmanuel Ndindabahizi, Affaire no ICTR-01-71 (Chambre de première instance) Jugement du 15 juillet 2004, pars. 453-454 ; Procureur c. Aloys Simba, Affaire no ICTR-01-76-T (Chambre de première instance) Jugement du 15 décembre 2005, par. 412. * 63 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, pars. 498 et 517. Voir aussi Procureur c. Elizaphan et Gérard Ntakirutimana, Affaire no ICTR-96-10&ICTR-96-17-T, (Chambre de première instance) 21 février 2003, par. 784 ; Procureur c. Laurent Semanza, Affaire noICTR-97-20-T, (Chambre de première instance), 15 mai 2003, par. 311 ; Georges E. Rutaganda c. Procureur, supra note 62, par. 524 ; Sylvestre Gacumbitsi c. Procureur, Affaire noICTR-01-64 (Chambre d'appel) Arrêt du 7 juillet 2006, par. 39 * 64 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 498. Il est à noter que cette définition a été reprise et appliquée dans d'autres jugements, citons entre autres Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, pars. 91 et 92 ; Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, pars. 59-63 ; Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, pars. 164-167 et Procureur c. Ignace Bagilishema, supra note 62, pars. 60-65. * 65 Voy. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 523. Voir également Georges E. Rutaganda c. Procureur, supra note 62, pars. 526-530 ; Sylvestre Gacumbitsi c. Procureur, supra note 63, par. 44 ; Clément Kayishema et Obed Ruzindana c. Procureur, Affaire noICTR-95-1-A, (Chambre d'appel) Arrêt du 1 juin 2001, par. 158. * 66 Cfr. Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 523. Voir aussi dans le même sens Procureur c. Sylvestre Gacumbitsi, Affaire noICTR-01-64, (Chambre de première instance) Jugement du 17 juin 2004, par. 252 ; Procureur c. André Ntagerura, Emmanuel Bagambiki et Samuel Imanishimwe, Affaire no ICTR-99-46 (Chambre de première instance) Jugement du 25 février 2004, par. 663 ; Procureur c. Juvénal Kajelijeli, Affaire noICTR-98-44A, (Chambre de première instance) Jugement du 1 décembre 2003, pars 804, 805 ; Clément Kayishema et Obed Ruzindana c. Procureur, supra note 65, par. 164. * 67 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, pars. 523-524. Voir également Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 166 ; Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, pars. 93 et 527 ; Procureur c. Laurent Semanza, supra note 63, par. 313 ; Procureur c. Jean de Dieu Kamuhanda, Affaire no ICTR -99-54, (Chambre de première instance) Jugement du 22 janvier 2004, par. 623 ; Sylvestre Gacumbitsi c. Procureur, supra note 63, pars. 40, 41 ; Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 159 ; Muhayimana Mikaël c. Procureur, Affaire no ICTR-95-1B-A (Chambre d'appel) Arrêt du 21 mai 2007, par. 31. * 68 Procureur c. Jean Paul Akayesu, supra note 8, par. 533 ; Voir également Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 63. Procureur c. Georges Rutaganda, supra note 8, pars. 61-63 ; Procureur c. Alfred Musema, supra note 8, par. 167 ; Procureur c. Laurent Semanza, supra note 63, par. 313. * 69 Procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, supra note 8, par. 527 ; Procureur c. Sylvestre Gacumbitsi, supra note 66, par. 252 ; Jean de Dieu Kamuhanda c. Procureur, Affaire no ICTR-99-54A-A, (Chambre d'appel) Arrêt du 19 septembre 2005, pars. 80, 82 ; Georges Rutaganda c. Procureur, supra note 62, par. 525 ; Laurent Semanza c. Procureur, Affaire no ICTR-97-20, (Chambre d'appel) Arrêt du 20 mai 2005, pars. 261-262 ; Procureur c. Aloys Simba, supra note 62, par. 413. * 70 Hassan Ngeze et Ferdinand Nahimana c. Procureur, Affaire no ICTR 97-27-AR72&ICTR96-11-AR72 (Chambre d'appel) Décision sur l'appel interlocutoire, le 5 septembre 2000. Dans ce cas d'espèce, la défense demandait le rejet des accusations au motif que le TPIR n'avait pas compétence pour juger l'accusé puisque les événements allégués par le Procureur s'étaient produits avant le 1er janvier 1994, date du début de la compétence rationae temporis du Tribunal. |
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