LA CONCLUSION GENERALE
Les cas jurisprudentiels de la responsabilité des Etats
du fait des actes des organisations internationales dont ils sont membres sont
très limités. Il convient de noter que dans les deux cas
examinés dans ce travail les juridictions internationales - la Cour de
justice des communautés européennes, la Cour européenne
des droits de l'homme et la Cour internationale de justice - n'ont pas pu se
prononcer au fond.
A. Le Conseil international de
l'étain
S'agissant du Conseil international de l'étain, les
juridictions britanniques - même s'il s'agit des actions internes - ont
écarté la responsabilité de ses membres au motif pris
principalement qu'il a une personnalité juridique propre et distincte de
celle de ses membres.
La Cour de justice des communautés européennes
ne s'est pas prononcée au fond de l'affaire. A son avis, comme nous
l'avons mentionné précédemment, l'Avocat
général a soutenu que le Conseil international de l'étain
apparaît bien comme une entité distincte de ses membres dont
l'imputation de ses comportements à l'un de ses membres serait
méconnaître l'individualisation de l'organisation par rapport
à ces derniers.
Il est fort probable que la Cour de justice eut pu suivre
l'avis de l'Avocat général et décider de la non
imputabilité des actes du Conseil international de l'étain au
Conseil et à la Commission des Communautés européennes et
au Royaume-Uni.
B. L'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord
Concernant la responsabilité des Etats membres de
l'OTAN, nous essayerons d'aborder trois questions : la personnalité
juridique internationale de l'OTAN, le contrôle effectif des forces mises
à sa disposition et la question de justiciabilité de l'OTAN
devant la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour
internationale de justice.
1. La personnalité juridique de
l'OTAN
Il est question de savoir si « l'OTAN est-elle
assez différenciée des Etats qui l'ont créée et la
composent ? Son caractère juridique, sa gestion, les
intérêts qui lui sont confiés revêtent-ils un
caractère collectif distinct du caractère individuel de ceux des
Etats membres ? Jouit-elle d'un patrimoine suffisamment indépendant
pour bénéficier d'une personnalité juridique?127(*) ».
Il est vrai que le traité signé à
Washington, le 4 avril 1949, dit « Organisation du Traité de
l'Atlantique Nord » ne contient aucune disposition expresse sur la
personnalité juridique de l'OTAN. Mais , la Convention sur le Statut de
l'Organisation du Traité, des Représentants Nationaux et du
personnel international, spécialement l'article 4128(*), confère à
l'OTAN une personnalité juridique. Une certaine doctrine soutient que
cette personnalité « n'englobe pas les troupes
dépendant de l'O.T.A.N.129(*) » et que « d'une part,
l'Organisation elle-même; d'autre part, les Commandements Suprêmes,
sont investis de la personnalité morale pour tout ce qui regarde
l'exercice de droits privés130(*) ». M. Geslin citant M. Verhoeven131(*) qui
« considère que l'OTAN ne dispose pas de la
personnalité juridique internationale132(*) », dit que de ce fait, « la RFY
pouvait valablement imputer les actes en cause aux différents
Etats ».
Par ailleurs, s'agissant des objets du Traité, les
Etats membres n'ont pas entendu conférer à l'OTAN une partie de
leurs compétences créant une personne indépendante. Deux
raisons principales sont invoquées : « l'Organisation
n'est investie d'aucune autorité supranationale; les décisions
qui sont prises au Conseil Atlantique n'engagent les Gouvernements que dans la
mesure où ils sont unanimes...133(*) ». M. Delmac pense que les Etats membres
de l'OTAN n'ont pas aliéné une part de leur souveraineté
au profit d cette organisation et que, par conséquent, « un
certain libre arbitre ...est laissé aux Etats membres...mais chaque
partie reste, en droit, maître de son action, et dès lors de son
devoir politique et militaire et des moyens à utiliser pour
rétablir la paix et la sécurité134(*)».
Donc, cette tendance soutient que l'OTAN n'a pas
été investie d'une personnalité juridique de droit
international public mais, au contraire, de celle limitée sur le plan
du droit privé.
Contrairement à cette position, la jurisprudence a
confirmé depuis longtemps la qualité de sujet de droit
international de l'OTAN.
Dans l'affaire Branno v. Ministry of war, la Cour de cassation
italienne a jugé, s'agissant de l'OTAN, que « it is an
international organization, its main purpose being the mutual defence of its
members. The North Atlantic Treaty Organization is, therefore, a subject of
international law, and it is autonomous with respect to each and all of the
member contries 135(*)».
L'OTAN « n'est pas seulement une alliance militaire
conclue en vue de prévenir l'agression ou de la repousser si elle devait
avoir lieu ; il prévoit également une action commune et
permanente dans les domaines politique, économique et social136(*) ».
Selon M. Pellet, «l'OTAN est une organisation
internationale et, à ce titre, elle bénéficie de la
personnalité juridique internationale. Il est vrai qu'il s'agit
d'une organisation un peu particulière, don l'institutionnalisation a
été empirique et progressive. Il n'en reste pas moins
qu'elle est dotée d'organes permanents, qu'une mission propre lui a
été assignée, et qu'elle a une capacité juridique
et des privilèges et immunités, autant d'éléments
qui ont conduit la Cour internationale de Justice, s'agissant de l'Organisation
des Nations Unies, à conclure, dans son avis du 11 avril 1949
relatif aux Réparations des dommages subis au service des
Nations Unies, que celle-ci était une personne
internationale137(*) ».
Dans le même sens, Alessandro Buzzi soutient que
« l'OTAN est une organisation intergouvernementale
d'intégration des structures militaires de ses Etats membres oeuvrant
à en assurer une plus grande efficacité par une meilleure
coordination138(*) ».
L'O.T.A.N. ne peut pas être considérée
« ni comme la mise en oeuvre d'une alliance militaire,
interprétation contredite par le fait que le Conseil atlantique prend
ses décisions à l'unanimité et exprime par
conséquent une volonté commune ; ni comme une institution
dépourvue de personnalité juridique mais dotée d'organes
propres, l'existence d'une telle personnalité internationale
résultant au contraire des articles 5,6, 7, 8 et 11 de la convention
d'Ottawa du 20 novembre 1951 relatifs aux immunités de l'O.T.A.N. et de
l'article 25 de la même convention concernant le droit pour le Conseil
agissant au nom de l'Organisation de conclure des accords
complémentaires de cette convention ...139(*) ». Cela signifie
que la personnalité juridique suppose « son autonomie
juridique, en ce sens qu'il exprime sa propre volonté et non celle de
ses membres140(*) ».
M. Dailler et M. Pellet pensent « que les actes de
création soient silencieux sur ce point n'autorise pas à mettre
en doute la possession d'une personnalité juridique internationale.
Celle-ci résulte implicitement mais nécessairement des besoins
exprimés par les Etats fondateurs à l'occasion de
l'établissement de l'organisation internationale141(*) ».
Les contours de la personnalité juridique
internationale se définissent par les pouvoirs attribués, peu
importe qu'il n'y ait pas de disposition expresse ou que cette dernière
soit lacunaire.
Il convient de se référer au critère de
la volonté des Etats de mettre en place une institution permanente sans
qu'il soit obligatoire d'insérer une disposition attribuant
expressément une personnalité juridique internationale.
* 127 C.L.B.V., La
personnalité juridique de l'O.T.A.N., AFDI, 1955, p. 471.
* 128 L'article dispose
que « l'Organisation possède la personnalité
juridique ; elle a la capacité de contracter, d'acquérir
et d'aliéner des biens mobiliers et immobiliers,
ainsi que d'ester en justice ».
* 129 C.L.B.V., op. cit.,
p. 472.
* 130 C.L.B.V., op. cit.,
p. 474.
* 131 Joe Verhoeven, droit
international public, Precis de la Faculté de droit de Louvain, Larcier,
Bruxelles, 2000, p.
613.
* 132 Albane Geslin, op.
cit., p. 557.
* 133 C.L.B.V., op. cit.,
p. 474.
* 134 Claude Delmac,
L'OTAN, 4è ed., PUF, Paris, 1975, p.38.
* 135 International law
Reports, 1958, volume 22, Part IX, International organization and
administration, p. 756.
* 136 OTAN-Documentation,
service de l'information, Bruxelles, 1969, p.23.
* 137 Alain Pellet,
«L'imputabilité d'éventuels actes illicites
- Responsabilité de l'OTAN ou des Etats membres», Kosovo
and the International Community, dir. de publ.,
Christian Tomuschat, Martinus Nijhoff Publishers, 2002, p. 198.
Cité par la Cour internationale de justice, Affaire
relative à la licéité de l'emploi de force (Yougoslavie c.
Portugal),
compte rendu de l'audience publique tenue le lundi 19
avril 2004, point 4.6.
* 138 Alessandro Buzzi,
L'intervention armée de l'OTAN en République
fédérale de Yougoslavie, Cedin Paris I,
perspectives internationales, n° 22, éditions
Pedone, Paris, 2001, p. 159.
* 139 Charles Rousseau,
droit international public, Tome II, les sujets de droit, Sirey, Paris, 1974,
pp. 686-687.
* 140 Albane Geslin, op.
cit., p. 563.
* 141 Patrick Dailler et
Alain Pellet, op. cit., p. 593.
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