S'agissant de l'opposabilité de cette
personnalité aux Etats tiers, il faut rappeler la jurisprudence de la
Cour internationale de justice dans son avis sur la
« Réparation des dommages subis au service des Nations
Unies », où elle « constate que la Charte a
conféré à l'Organisation des droits et obligations
distincts de ceux de ses Membres... la Cour est d'avis que les Membres des
Nations Unies ont créé une entité qui possède une
personnalité internationale objective, c'est-à-dire comme une
unité possédant la personnalité internationale et non pas
seulement une personnalité reconnue par eux seuls142(*)».
Les membres de l'OTAN ont voulu mettre en place une
organisation internationale et le fait de traiter avec les tiers confirmerait
sa personnalité objective.
2. b. Le contrôle effectif des
forces
S'agissait de savoir si l'OTAN avait elle-même
engagé l'action militaire ou si les Etats membres avaient utilisé
ses structures revient à répondre aux questions de savoir
« qui a mené l'action militaire, qui a évalué la
situation, qui a pris les décisions, qui a donné les
ordres...143(*) » et qui a un contrôle effectif sur
les forces armées.
Cette question est importante parce que la Cour
européenne des droits de l'homme, citant sa jurisprudence dans
l'arrêt « Loizidou », a
considéré que « compte tenu de l'objet et du but de la
Convention, une Partie contractante pouvait voir sa responsabilité
engagée lorsque, par suite d'une action militaire - légale ou non
-, elle exerçait en pratique son contrôle sur une zone
située en dehors de son territoire national. Elle estima que
l'obligation d'assurer dans une telle région le respect des droits et
libertés garantis par la Convention découlait du fait de ce
contrôle, qu'il s'exerçât directement, par
l'intermédiaire des forces armées des Etats concernés, ou
par le biais d'une administration locale subordonnée144(*) ».
En effet, «l'existence de sa personnalité
juridique pourrait être contestée à raison du
contrôle que les Etats membres exerceraient sur son
fonctionnement145(*) ». Déjà en 1955, M. Flory
avait dit que « les pouvoirs militaires appartiennent à
l'O.T.A.N.146(*)»
et que sa force « est placée sous l'autorité d'un
commandant suprême nommé par l'O.T.A.N. et assisté d'un
état-major international dans lequel sont représentés tous
les pays signataires du traité147(*) ».
Il faut noter que l'engagement des forces armées a
été pris au niveau politique par une décision unanime du
Conseil de l'Atlantique Nord.
Concernant le contrôle effectif des forces, il convient
de remarquer que «la titularité de droits et d'obligations, ainsi
que la responsabilité pour les actes illicites reposent, dans l'ordre
juridique international très largement sur le critère du
contrôle effectif...148(*) » et que celui-ci «s'apprécie
en fonction de divers critères, la chaîne de commandement,
l'allégeance réelle, le statut disciplinaire, l'acceptation de
fait de la responsabilité, la prise en compte de celui qui fournit du
matériel militaire ou paie la solde, etc.149(*) ».
La structure militaire intégrée de l'OTAN se
compose de forces militaires mises à sa disposition par les Etats
membres qui font partie à l'opération. Ces forces militaires sont
soumises cependant à «des commandements internationaux, qui
exercent, sur des forces armées nationales, un pouvoir de commandement
effectif150(*) ». Comme le dit M. Kolb, «ce qui est
décisif, c'est le contrôle principal, non un contrôle
exclusif inexistant151(*) ».
Selon M. Cohen-Jonathan, «l'OTAN est une organisation
internationale ... mais qui dans sa fonction opérationnelle est
tributaire des apports nationaux...qui laisse place à une plus large
autonomie des Etats...152(*) ». Mais il poursuit en disant que «le
principe général demeure cependant celui de la
responsabilité internationale de l'organisation... l'OTAN n'est qu'une
organisation à base de coopération...153(*) ».
En effet, «les Etats membres de la structure de
commandement intégrée ne disparaissent pas entièrement
dans la conduite des opérations militaires, mais ils se soumettent
partiellement à l'Organisation qui prend sa place, quant à elle,
au centre du système de ceux-ci154(*) ». Ce qui conduit à dire que
«l'OTAN était bien partie au conflit contre la RFY en tant que
telle. Elle ne l'était pas seule, mais elle l'était à
côté des Etats membres155(*) ».
3. La question de justiciabilité de
l'OTAN
Il sied d'examiner brièvement comment l'OTAN peut-elle
être justiciable devant la Cour européenne des droits de l'homme
et devant la Cour internationale de justice. « Il n'est pas rare que
la mise en oeuvre de la responsabilité - contractuelle ou
extra-contractuelle - d'une organisation se heurte à l'immunité
de juridiction dont cette dernière bénéficie dans les
ordres juridiques internes ou à l'impossibilité d'attraire
l'organisation devant une juridiction internationale, telle la Cour
européenne des droits de l'homme ou de la Cour internationale de
justice156(*) ».
D'une part, la Cour européenne des droits de l'homme
est chargée d'assurer le respect des engagements résultant pour
les Hautes Parties contractantes de la convention européenne des droits
de l'homme157(*). Or,
l'OTAN n'est pas signataire de cette convention et, par conséquent, elle
ne peut pas être justiciable devant la Cour européenne des droits
de l'homme.
D'autre part, s'agissant de la procédure contentieuse,
seuls les Etats ont la qualité pour se présenter devant la Cour.
Dans cette procédure, les organisations internationales publiques ne
peuvent être entendues par la Cour que pour donner des renseignements
relatifs aux affaires portées devant elle de leur propre initiative ou
à la demande de la Cour internationale de justice158(*). Il s'ensuit que, dans une
procédure contentieuse, l'OTAN ne peut pas être partie devant la
Cour internationale de justice159(*).
Devant ces obstacles, les tiers lésés n'ont
qu'à mettre en cause la responsabilité directe des Etats membres
pour les actes accomplis par l'organisation internationale. « La mise
en oeuvre de la responsabilité directe des Etats membres pour des faits
de l'organisation, en pratique, conduit à un échec160(*) ». C'est ainsi que
«confrontés à cet obstacle que semble constituer la
personnalité morale de l'organisation internationale, les
requérants victimes d'une violation de leurs droits par celle-ci se
voient donc dans l'obligation d'user d'un moyen détourné,
à savoir la mise en cause de la responsabilité des Etats membres
pour leurs faits propres161(*) ». Ici, les requérants tentent de
prouver que les agissements des Etats membres ont conduit l'organisation
internationale à commettre ou à accomplir des actes qui leur sont
dommageables. Tels étaient les arguments tendant à
démontrer le rôle déterminant qu'ont joué les
membres dans le cadre des affaires mettant en cause la responsabilité du
Conseil international de l'étain et de l'Organisation du Traité
de l'Atlantique Nord. Parlant de l'OTAN, M. Geslin dit que « en
apparence, la RFY avait pris soin d'attraire les Etats pour leurs faits
propres et non en tant que membres de l'OTAN162(*) ».
Comme on l'a vu tout au long de ce travail, l'existence de la
personnalité juridique de l'organisation internationale rend toute mise
en cause de la responsabilité des Etats membres - en leur seule
qualité de membre - inefficace. La question de l'imputabilité qui
a demeuré sans réponse dans les deux cas jurisprudentiels
étudiés en dépend plus largement. Il est vrai que «le
problème central autour duquel s'articule la question de la
répartition de la responsabilité entre l'organisation et ses
membres est celui de la personnalité juridique internationale de
l'organisation ou, plus précisément encore, celui de
l'opposabilité de la personnalité morale de
l'organisation163(*) ».
Donc, il en ressort que la responsabilité des Etats
pour les actes de l'organisation internationale dont ils sont membres
dépend principalement de sa personnalité juridique
internationale.
RURAMIRA Bizimana
Zébédée
DES en droit international et européen
Option droit international
* 142 Cour internationale de justice,
Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, Avis
consultatif du
11 avril 1949, le Site
www.icj-cij.org/cijwww/cdecisions/csummaries/cisunsommaire490411.htm,
paragraphe 8 et 13.
* 143 Alessandro Buzzi,
op. cit., p. 160.
* 144 Recueil des
arrêts, Cour européenne des droits de l'homme, 2001-XII, Bankovic'
et autres c. Belgique et autres,
décision du 12 décembre 2001, p. 384,
paragraphe 69.
* 145 Albane Geslin, op.
cit., p. 565.
* 146 Maurice Flory, les
bases militaires à l'étranger, AFDI, 1955, p. 9.
* 147 Ibidem.
* 148 Robert Kolb, droit
humanitaire et opérations de paix internationales, Bruylant, Bruxelles,
2002, p. 22.
* 149 Idem, pp. 22-23.
* 150 Alessandro Buzzi,
op. cit., p. 163.
* 151 Robert Kolb, op. cit.,
p. 24.
* 152 Gérard
Cohen-Jonathan, Cour européenne des droits de l'homme et droit
international général, AFDI, 2000,
p. 631.
* 153 Ibidem.
* 154 Alessandro Buzzi,
op. cit., p. 164.
* 155 Idem, p. 170.
* 156 Albane Geslin, op. cit.,
p. 543.
* 157 Article 19 de la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre
1950 telle qu'amendée par le protocole n°
11.
* 158 Article 34 § 1
et 2 du Statut de la Cour internationale de justice du 26 juin 1945.
* 159 Certains Etats
notamment le Portugal soutient « que la Cour ne pourrait jamais
statuer sur la responsabilité du
Portugal sans que, au préalable, elle se soit
prononcée sur la licéité du comportement de
l'OTAN » (Cour
internationale de justice, Affaire relative à la
licéité de l'emploi de force (Yougoslavie c. Portugal), compte
rendu
de l'audience publique tenue le lundi 19 avril 2004, point
4.8.)
* 160 Albane Geslin, op. cit.,
p. 543.
* 161 Idem, p. 548.
* 162 Idem, p. 557.
* 163 Idem, p. 562.
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