II Le système bancaire et financier depuis la crise
des années 80 1 Les faillites bancaires des années 80
L'Union Monétaire Ouest Africaine14 a
été secouée dans les années 1980 par une grave
crise économique qui a eu des répercussions négatives sur
le secteur sensible de la banque. Outre les causes macro-économiques, la
réglementation bancaire et le cadre comptable qui comportaient de
multiples défauts, la mauvaise gestion des établissements de
crédit et
14 L'UEMOA n'existait pas encore à cette
époque.
l'interventionnisme des Etats sont les principaux facteurs qui
expliquent cette situation (Powo, 2000).
1.1 Etendue de la crise
Tous les pays de l'Union15, à des
degrés divers, ont été touchés par la crise
(tableau 1) . Seul, le Mali n'a pas connu de situation de faillite. La
Côte d'Ivoire et le Sénégal ont enregistré le plus
grand nombre de faillites avec respectivement 8 et 7 disparitions
d'établissements bancaires. En Côte d'Ivoire, quatre grandes
banques totalisant 90% du portefeuille de crédit ont été
affectées par la crise (Caprio et Klingebiel, 1996). Sur les 27
établissements disparus du paysage bancaire de l'Union, 15
étaient publiques. Cela traduit, le rôle de l'Etat dans la
déliquescence du secteur.
Tableau 1 : Nombre de faillites bancaires de 1980
à 1995 dans l'UEMOA
|
Bénin
|
Burkina Faso
|
Côte d'Ivoire
|
Mali
|
Niger
|
Sénégal
|
Togo
|
Total
|
Faillite
|
4
|
1
|
8
|
0
|
3
|
7
|
4
|
27
|
(dont banque d'Etat)
|
2
|
1
|
6
|
|
2
|
3
|
1
|
15
|
Fusions/Absorptions
|
0
|
1
|
1
|
0
|
1
|
0
|
0
|
3
|
Total
|
4
|
2
|
9
|
0
|
4
|
7
|
4
|
30
|
|
Source : BCEAO repris par Powo (2000)
Plus que tous les autres pays, le Bénin, avec 80% du
portefeuille de crédit bancaire de mauvaise qualité (Caprio et
Klingebiel, 1996), a été particulièrement touché
par cette crise qui a consacré la disparition de toutes les banques de
la place. La Banque Béninoise de Développement (BBD) a
fermé en 1989 suivie un an plus tard de la Banque Commerciale du
Bénin (BCB) et de la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA).
Quant à la Banque Méridien BIAO-Bénin qui a obtenu son
agrément le 5 décembre 1994, elle n'a jamais
démarré ses activités.
Les établissements financiers non bancaires ont
été également touchés par la crise avec vingt cinq
faillites enregistrées dans la période 1980-1993 (BCEAO repris
par Powo (2000)).
15 La Guinée-Bissau qui a adhéré à
l'UEMOA en 1997 n'est pas concerné.
1.2 Conséquences de la crise
Au niveau macro-économique, cette faillite
généralisée a eu des conséquences très
néfastes sur le système économique des pays
touchés. Caprio et Klingebiel (1996) évaluent à 95
milliards CFA le montant cumulé des pertes financières pour le
Bénin, soit 17% de son PIB d'alors. Ce taux représente
également l'ampleur du désastre économique
enregistré par le Sénégal. Quant à la Côte
d'Ivoire, ses pertes sont estimées à 677 milliards CFA, soit 25%
du PIB.
Au niveau micro-économique, les faillites ont
entraîné la ''perte'' des avoirs de nombreuses familles qui se
sont vues d'un jour à l'autre, dépossédées de leurs
épargnes, entamant durablement leur confiance dans le secteur bancaire.
Powo (2000) parle de ''fuite devant les institutions financières'' pour
expliquer l'impact de cette crise sur le développement important de la
finance informelle et sur le faible taux de bancarisation dans l'Union.
2 Nouvelles surveillance et orthodoxie bancaire 2.1
Nouveau dispositif de surveillance bancaire
Le cadre réglementaire inadapté des
années 80 a été souligné par Powo (2000) comme
étant un facteur ayant contribué significativement aux faillites
bancaires qui ont secoué la sousrégion. Dès 1989, une
vaste restructuration du secteur bancaire a été initiée
par la Banque Centrale visant d'une part à restaurer la
solvabilité et la liquidité des établissements de
crédit et d'autre part à organiser un désengagement
progressif de l'Etat du capital et de la gestion des institutions
financières (BCEAO, 1998).
Un nouveau dispositif de surveillance bancaire a
été mis en place avec:
· la convention portant création de la Commission
Bancaire, entrée en application le 1er octobre 1990 ;
· la loi cadre portant réglementation bancaire du
1er octobre 1990;
· le dispositif prudentiel applicable aux banques et
établissements financiers de l'UMOA;
· le décret relatif au classement, à la forme
juridique et aux opérations des établissements financiers (pris
entre 1984 et 1992, selon les pays de l'UMOA) ;
· le nouveau plan comptable bancaire ou PCB, entré
en vigueur le 1er janvier 1996.
Toutes ces dispositions ont pour objectif d'assainir le
paysage, d'assurer la solvabilité et la liquidité des
établissements de crédit vis-à-vis des déposants et
des tiers, ainsi que l'équilibre de leur structure financière.
La loi bancaire distingue deux catégories
d'établissement de crédit à savoir les banques et les
établissements financiers. Au plan réglementaire, c'est la notion
de « banque universelle » qui prime. La réglementation ne fait
aucune distinction entre les banques. Une banque agréée au sein
de l'Union peut mener toutes les activités bancaires qu'elle jugera
nécessaire à son développement. Certaines institutions
choisis sent volontairement et pour des raisons stratégiques de se
focaliser sur une activité donnée. Ainsi, il existe des banques
de l'habitat, du commerce, de l'investissement, etc.
En dehors de ces deux catégories, il y a trois autres
types d'établissements qui sont régis par une
réglementation spécifique. Il s'agit des caisses
d'épargne, des banques islamiques et des systèmes financiers
décentralisés (microfinance).
La Commission Bancaire de l'UMOA a remplacé les
organismes nationaux de surveillance avec de réels pouvoirs de
contrôle et de décision. Elle effectue des contrôles sur
pièces et sur sites. En cas de non respect de la réglementation
par un établissement, la Commission peut prendre toute mesure
contraignante qu'elle jugera nécessaire. Cela va du simple avertissement
à la mise sous administration provisoire et au retrait d'agrément
dans le cas ultime.
2.2 Nouvelle orthodoxie bancaire
Un guide du banquier de l'UMOA a été
édité par la Commission Bancaire pour aider les dirigeants des
établissements de crédit à mieux cerner leurs
responsabilités au regard de la réglementation en vigueur dans
les pays membres.
L'appareil judiciaire a été renforcé
(BCEAO, 1998) avec une simplification des procédures de recouvrement et
un meilleur dispositif des incidents de paiement.
Pour prévenir toute nouvelle crise et compte tenu de
l'hécatombe observée au niveau des banques publiques, une
limitation de la participation de l'Etat (25% maximum du capital) a
été érigée en règle (BCEAO,1998).
3 Reconstruction du paysage bancaire et financier 3.1 Les
établissements de crédit
Suite aux réaménagements du dispositif de
surveillance, le paysage bancaire sousrégional s'est reconstruit
progressivement grâce à l'initiative privée.
Conformément aux
prescriptions, l'emprise des pouvoirs publics sur le secteur
bancaire s'est effritée au profit des investisseurs privés
nationaux et surtout étrangers. L'actionnariat est dominé par les
capitaux privés non-nationaux. Le tableau 2 ci-dessous donne la
situation à fin décembre 2005.
Tableau 2: Le paysage bancaire de l'UEMOA
Désignation (**)
|
Nombre d'établisse- ments
agréés
|
Ré- seaux (*)
|
Nombre de
Comptes
|
Montant du
Capita
(a
|
Répartition du Capital en % (b)
|
Nationaux
|
NonNationaux
|
Etat
|
Privés
|
Bénin (1)
|
14
|
51
|
245 552
|
41 810
|
6,24
|
25,49
|
68,27
|
Burkina-Faso (2)
|
16
|
108
|
778 789
|
31 907
|
23,58
|
20,35
|
56,07
|
Côte d'Ivoire
|
19
|
157
|
812 181
|
119 595
|
20,99
|
20,88
|
58,13
|
Guinée-Bissau (1)
|
3
|
2
|
10 551
|
3 343
|
0,00
|
14,60
|
85,40
|
Mali (1)
|
16
|
176
|
438 537
|
47 017
|
23,57
|
16,81
|
59,62
|
Niger (2)
|
12
|
36
|
78 456
|
20 423
|
22,82
|
10,98
|
66,20
|
Sénégal (4)
|
20
|
167
|
517 691
|
45 784
|
8,97
|
32,64
|
58,39
|
Togo
(dont 3 en arrêt d'activité)
|
14
|
71
|
187 233
|
32 927
|
14,71
|
12,73
|
72,56
|
Total
|
114
|
768
|
3 068 990
|
342 806
|
17,48
|
20,97
|
61,55
|
(a) : Les montants sont en millions de FCFA
(b) : Le pourcentage remplace les montants bruts dans le tableau
original (*) : Nombre d'agences et de bureaux constituant le réseau
(* *) : Nombre d' établissements non opérationnels
au 31/12/2005 Source: CB-UMOA(2006)
L'UEMOA dispose d'un tissu bancaire et financier de 114
établissements agréés dont 100 réellement en
activité au 31 décembre 2005. Les réseaux de guichets sont
très peu densifiés avec une couverture bancaire moyenne de
110.677 habitants pour un guichet. En comparaison, la norme internationale
communément admise est de 5.000 habitants par guichet.
L'actionnariat public représente une faible proportion
des capitaux investis. Il varie entre
0% pour la Guinée-Bissau et 23,58% pour le Burkina-Faso
avec une moyenne de 17,48% pour l'Union. Cette faible présence
étatique dans l'actionnariat bancaire tient à la
mésaventure des années 80. Mais elle a pour conséquence
directe, la liberté assez poussée dont bénéficient
les établissements de crédit dans la définition de leur
politique commerciale qui n'obéit qu'au seul critère de
rentabilité économique et financière. Les pouvoirs publics
ne peuvent imposer aucun objectif social au secteur bancaire à moins
d'en assumer le coût.
3.2 Les institutions financières à statut
particulier
La loi bancaire soumet en son article 43, le Trésor
public et les services financiers de la poste des Etats membres au
contrôle exercé par la BCEAO et la Commission bancaire sur le
secteur financier sous-régional. En outre, il existe un cadre
spécifique qui a été conçu pour réglementer
les institutions de microfinance.
3.2.1 Le Trésor Public
Le Trésor constitue le bras financier par excellence de
l'administration publique. Il assure dans chacun des pays, la gestion du
budget, la rentrée des recettes et le règlement des
dépenses. Il gère les comptes des institutions et
établissements publics et dans certains pays de l'Union, ouvre des
comptes aux fonctionnaires publics. A ce titre, il constitue un acteur de la
bancarisation qu'il faut considérer comme tel, même si de par son
statut particulier, il ne peut offrir l'ensemble des services financiers
proposés par les banques.
3.2.2 La Poste
La Poste dispose certainement, dans chacun des Etats membres, du
réseau de guichets le plus dense. En effet, elle gère les caisses
d'épargne et les centres des chèques postaux.
Les caisses d'épargne ouvrent des comptes de
dépôt aux particuliers qui disposent d'un livret leur permettant
de faire des opérations de dépôt et de retrait de monnaie
fiduciaire. Elles ne gèrent pas des instruments scripturaux de
paiement.
Quant au centre des chèques postaux, il ouvre des comptes
chèques aux particuliers et met à leur disposition des
instruments scripturaux de paiement.
3.3 Les institutions financières
informelles
En dehors des institutions formelles décrites
ci-dessus, il existe dans l'UEMOA une multitude d'établissements
informels fonctionnant sur les principes de mutuelle, de solidarité et
de tontine. Le développement de ces institutions est favorisé par
la structure de l'économie de l'Union qui est caractérisée
par la présence d'un secteur informel florissant.
4 Le cadre juridique de la promotion de la
bancarisation
Dans le soucis d'une activité bancaire saine et
prospère, les autorités ont initié un projet de
modernisation des systèmes et moyens de paiement (annexe 7). Les deux
premiers volets (STAR-UEMOA et SICA-UEMOA) sont déjà
déployés. La monétique interbancaire est en phase de
déploiement dans les pays pilotes. Cette réforme repose sur un
cadre juridique spécifique destiné, entre autres, à
promouvoir la bancarisation et les moyens scripturaux de paiement.
Mais certaines dispositions des textes composant le cadre
juridique sont difficiles à appliquer. Par exemple, l'article 4 de la
directive n°08/2002/CM/UEMOA indique entre autres, que les salaires des
fonctionnaires doivent être payés par des moyens scripturaux.
Cette disposition est difficile d'application en raison de la faible
densité du réseau bancaire. Un fonctionnaire qui touche le
SMIC16 ne peut pas se payer un déplacement lointain vers une
agence bancaire à chaque fin de mois.
Il y a également la notion du « droit au compte
» instaurée par le R1 5 qui fait obligation aux banques d'ouvrir un
compte à toute personne physique ou morale possédant un revenu
régulier (périodicité mensuelle, bimensuelle,
trimestrielle, semestrielle voire annuelle) de 50.000 FCFA. Si au bout de trois
tentatives, aucune banque ne s'exécute, la Banque Centrale pourra
désigner d'office une banque pour ouvrir le compte avec un service
bancaire minimum. L'objectif de cette disposition est de rendre le compte
accessible à tous. Mais, il n'est pas évident pour un plaignant
de se faire délivrer des attestations de refus par les banques. En
outre, la justification du revenu régulier est une contrainte difficile
à surmonter pour nombre de personnes; tant l'informel et le travail au
noir sont prédominants. Par ailleurs, quelque soit le mode de saisine,
il serait compliqué pour un citoyen ordinaire de surmonter les
difficultés psychologiques créées par le refus de trois
banques successives pour se référer à une institution
aussi prestigieuse et peu ouverte au public que la Banque Centrale. Il serait
intéressant d'avoir les statistiques des plaintes
16 Salaire minimum interprofessionnel de croissance
déjà enregistrées pour juger de la
pertinence de cette disposition.
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