2 La théorie des barrières à
l'accès
La théorie des barrières à l'accès
a été développée par plusieurs auteurs qui ont
procédé à des études comparatives sur le niveau de
pénétration des services bancaires et financiers dans
différents pays. Certaines de ces études (Caskey et al. (2004);
Chamberlain et Walker (2005); Honohan (2004); Ketley , Davis et Truen (2005);
Peachey et Roe (2004) ) se sont limitées à une analyse
statistique simple tandis que d'autres (Beck , Demirguc-Kunt et Peria (2005 et
2006); Beck et al.(2004)) ont procédé à une analyse
économétrique des phénomènes observés et en
ont déduit les facteurs explicatifs principaux.
2.1 Définition
La notion de barrière à l'accès fait
référence à un ensemble d'obstacles susceptibles de
gêner, voire bloquer le processus de démocratisation des services
bancaires et financiers au sein des populations. Il existe plusieurs sortes de
barrières. Honohan (2004) en identifie trois à savoir la
barrière de prix, la barrière de l'information et la
barrière du produit et du service. Ketley, Davis et Truen(2005)
identifient des barrières pécuniaires et d'autres
non-pécuniaires. Beck, Demirguc-Kunt et Peria (2006) mettent en exergue
des barrières liées à l'accessibilité (physique et
financière) et à l'éligibilité. Ces
différentes distinctions permettent de ressortir les facteurs
explicatifs principaux de la non utilisation des services bancaires et
financiers.
2.2 Détermination des barrières
Les différents auteurs ont mis en exergue plusieurs types
de barrières dont quelques unes sont décrites ci-après.
2.2.1 La barrière physique à
l'accès
Elle mesure la distance parcourue par le client pour
accéder au guichet d'un établissement
teneur de compte (ETC). Beck, Demirguc-Kunt et Peria
(2005)8 ont construit un indicateur composite constitué de
quatre informations à savoir la pénétration
géographique des agences (nombre d'agences bancaires sur 1.000
km²), la pénétration démographique des
agences (nombre d'agences bancaires pour 100.000 habitants), la
pénétration géographique des distributeurs automatiques de
billets ou DAB (nombre de DAB sur 1.000 km²) et la
pénétration démographique des DAB (nombre de DAB pour
100.000 habitants). Beck , Demirguc-Kunt et Peria (2006)9 ont
construit un indicateur qui mesure cette barrière. Il vaut 1 si le
compte ne peut être ouvert qu'au siège de l'établissement,
2 si le compte peut être ouvert au siège ou dans une agence et 3
si le compte peut être ouvert au siège, dans une agence ou
à un point de service. Chamberlain et Walker (2005) mesurent cette
barrière par le coût du transport nécessaire pour joindre
l'agence bancaire la plus proche.
2.2.2 La barrière financière à
l'accès
Elle traduit les conditions d'ouverture et de maintien d'un
compte de dépôt. Elle est évaluée sur la base du
montant minimal d'ouverture et des frais de tenue d'un compte chèque.
Beck, Demirguc-Kunt et Peria (2006) mesurent cette barrière par un
indicateur qui représente la part du PIB/habitant nécessaire
à l'ouverture d'un compte et à son entretien. Chamberlain et
Walker (2005) estiment à 2%, la part maximale de revenu qu'une personne
peut consacrer aux frais bancaires. Au delà, se crée un obstacle.
Ketley, Davis et Truen (2005) insistent particulièrement sur la
barrière financière en détaillant davantage son contenu.
Ils y incluent notamment les charges liées au retrait à un
distributeur automatique (DAB) ou dans une agence, et les charges liées
aux opérations de transfert électronique, aux paiements par
carte, etc.
2.2.3 La barrière de
l'éligibilité
Elle indique les conditions particulières d'ouverture
imposées par les établissements de crédit. Pour Beck,
Demirguc-Kunt et Peria (2006), il s'agit de déterminer le nombre de
documents nécessaires à l'ouverture d'un compte de
dépôt. Parmi ces documents, on peut citer la carte
d'identité nationale, la fiche de paie et la lettre de recommandation
(dans certains cas). Plus
8 Beck T., Demirguc-Kunt A. et Peria M., (2005) ont
travaillé sur les informations bancaires de 99 pays entre 2003 et
2004.
9 Beck T., Demirguc-Kunt A. et Peria M.(2006) ont
travaillé sur les informations de 193 banques réparties dans 58
pays dans le monde.
le nombre de documents demandé est important, plus la
barrière est élevée. Chamberlain et Walker (2005) mesurent
cette barrière par le pourcentage d'agences bancaires n'imposant aucune
de ces conditions.
2.2.4 La barrière de la
réglementation
Elle permet d'apprécier les obstacles
spécifiques auxquels peuvent être confrontés certains
groupes sociaux indépendamment des établissements de
crédit. Chamberlain et Walker (2005) évoquent par exemple le cas
de certains pays où la femme ne peut ouvrir un compte sans le
consentement de son mari.
2.2.5 La barrière des services disponibles et
de leurs caractéristiques
Elle pose le problème de l'offre de services bancaires
et financiers. Cette barrière a été identifiée par
Chamberlain et Walker (2005). Est ce que tous les besoins potentiels des
clients sont couverts par la gamme et la qualité des services
proposés? Si tel n'est pas le cas, il y a une possibilité
d'existence d'obstacle à l'accès.
2.2.6 La barrière de l'information
Honohan (2004) identifie cette barrière en
évoquant le problème de l'asymétrie d'information
notamment dans la distribution des crédits. Mais compte tenu des
imbrications entre instruments de paiement et instruments de crédit
(carte bancaire), cette barrière est valable pour les problèmes
de création de compte et des services de paiement associés. En
plus de l'asymétrie, il nous faut citer l'illettrisme (financier) qui
met les informations hors de portée de certaines personnes.
Le problème de l'illettrisme financier est profond. Il
se pose avec acuité dans les pays en voie de développement et ne
doit pas être confondu avec celui de l'analphabétisme. Il existe
des personnes alphabétisées qui demeurent financièrement
illettrées.
2.3 Les causes des barrières
Les différentes barrières ci-dessus
énumérées ne sont pas exclusives. Certaines d'entre elles
sont liées. Ainsi pour Chamberlain et Walker (2005), la barrière
de l'éligibilité est déterminée par la
barrière financière (dépôt minimal) et la
barrière physique à l'accès (coût du
transport vers l'agence la plus proche). Il existe donc une
corrélation entre ces barrières.
Chacun des auteurs, restant dans la limite des
barrières identifiées et des informations traitées, met en
évidence des relations plus ou moins fortes entre plusieurs
variables.
Beck, Demirguc-Kunt et Peria (2006), qui ont travaillé
sur trois barrières (barrière financière, d'accès
physique et d'éligibilité) montrent une corrélation
négative entre ces barrières et le niveau de développement
économique et financier. En utilisant ensuite un modèle de
régression (Fi,k = âo + â1Bi + â2Ck + ëi,k
où F représente l'indicateur de barrière pour une banque i
dans un pays k, B la matrice des variables de banque et C la matrice des
variables de pays), ils démontrent les causalités suivantes:
· la nécessité d'un montant minimal
d'ouverture et les frais de tenue de comptes chèques constituent un
facteur limitatif de l'accès;
· l'exigence stricte de documents est un facteur
limitatif de l'accès;
· les obstacles spécifiques imposés par
les banques dépendent de leur taille, de la qualité des
infrastructures telles que le réseau électrique, le réseau
de communication, le cadre juridique, l'actionnariat
(étatique/privé, national/étranger), le niveau de
compétitivité, de transparence et d'ouverture économiques.
Ils constituent des facteurs limitatifs de l'accès.
Ces explications confirment celles données par Beck et
al.(2004)10 qui ont utilisé le même modèle
économétrique appliqué à des données
différentes. Ces derniers insistent néanmoins sur le
développement institutionnel global comme principal facteur discriminant
entre les pays.
10Beck T. et al.(2004) ont travaillé sur les
données du World Business Environment Survey (WBES) relatives à
une vaste enquête concernant 80 pays développés ou non sur
la période 1999-2000 menée par la Banque Mondiale.
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