La fin du siècle dernier a été
marquée dans le monde par le chômage et la précarité
de l'emploi. Si la situation est variable d'un continent à l'autre d'un
pays à l'autre, il n'en demeure pas moins que l'époque est
marquée par une situation d'emploi difficile et souvent instable.
D'après d'Iribarne (1990), dans les pays industrialisés, on
pourrait être porté à penser, à première vue,
que les diplômés universitaires, étant donné leur
niveau de scolarité élevé ou la sélection dont ils
ont fait l'objet, rencontrent peu de problèmes d'insertion
professionnelle. Ils ont en effet un avantage relatif sur le marché du
travail. Mais il importe, pour apprécier cet avantage, de replacer
celui-ci dans la perspective du secteur public qui constituait le principal
débouché de l'enseignement supérieur. En effet, le secteur
public a subi, au cours des années 80, suite aux pressions sur les
dépenses publiques, des transformations telles qu'il n'offre plus les
mêmes possibilités de recrutement alors que l'enseignement
supérieur a continué de se développer. Ces contraintes
s'avèrent encore plus vives dans le contexte de la récession
économique du début des années 90, et sont de nature
à modifier profondément les débouchés pour les
diplômés de l'enseignement supérieur. L'expansion du
secteur privé n'a pas été suffisante pour compenser
l'absence de croissance du secteur public, et le décalage entre l'offre
et la demande se traduit par une dégradation des conditions d'insertion
et le sousemploi des diplômés.
D'après Fournier et al. (2000), en Europe, il
existe une incertitude quant à l'avenir professionnel des jeunes, avec
des conséquences semblables à celles constatées en
Amérique du Nord, que relèvent des auteurs comme Benedetto
(1995), Demazière (1995, 1996), Dubar (1996), Galland (1996),
Nicole-Drancourt et Rouleau-Berber (1995), Werquin (1996) et White et McRae
(1988). Cette transition difficile de la formation à l'installation dans
un emploi satisfaisant, marquée par la mouvance et
l'insécurité, que l'on peut désigner par l'expression
précarité d'insertion s'inscrit dans un contexte global de
transformation de l'emploi qui affecte la majorité des travailleurs.
L'OCDE (1992), qui publie les taux de chômage
standardisés pour les pays appartenant à cette organisation,
abonde dans le même sens en indiquant que les contrastes entre les
évolutions des taux de chômage de 1973 à 1988, dans les
divers pays, sont spectaculaires. Aux États-Unis, après avoir
crû vivement entre 1973 et 1982, le chômage a presque
retrouvé en 1988 son niveau d'avant la crise (passant au total de 4,8%
à 5,4 %). Il est resté faible au Japon (passant de 1,3% à
2,5 %). Par contre, sa croissance sur l'ensemble de la période a
été très forte dans la plupart des pays de l'Union
Européenne et en particulier en France (de 2,6% à 10,3 %).
Cependant, il faut rappeler qu'il y a eu regain de l'emploi à la fin des
années 90 et début 2000.
Selon le Conseil Supérieur de l'Éducation (CSE,
1997), au Canada, en 1997, chez les jeunes de 15 à 24 ans, le taux de
chômage des personnes qui détenaient un grade universitaire
était de 4,8 %. L'étude de Sales et al. (1996), a
souligné aussi le haut taux de chômage au Québec chez les
jeunes de 15 à 24 ans. Il était estimé par Statistique
Canada à 11,8 % en 1996 et 9,8 % en 1997. Tandis que le taux de
chômage des diplômés universitaires âgés de 20
à 24 ans était en 1991, de 13,2 %. L'inquiétude des jeunes
face à la crise de l'emploi et à leur avenir professionnel
incertain n'a cessé de grandir. En plus, une partie non
négligeable des jeunes (22,1 % des hommes et 31,8 % des femmes
âgés de 20 à 24 ans) ne trouvent que du travail à
temps partiel dans de <<très petites entreprises>> de moins
de 20 employés (CSE, 1997).
Cependant, Sales (1997 : 13) dans son article :
"Marchés du travail des agents du savoir formel et défis dans
une économie en restructuration" atténue cette situation en
précisant : << A première vue, et contrairement à la
vision pessimiste des étudiants, la situation de l'emploi entre 1982 et
1994 ne s'est pas détériorée. On constate que le taux de
placement général s'est maintenu. Apparemment élevé
(88,6%), il laisse cependant deux ans après l'obtention du diplôme
de premier cycle plus de 11% des individus en chômage >>. Pour cet
auteur (1997), on pourrait s'en accommoder sachant que cinq ans après
être sortis de l'université, les diplômés voient leur
taux de chômage diminuer de moitié. Mais il n'est pas dit qu'il
s'agisse de "bons" emplois dits primaires en adéquation avec le niveau
et le domaine d'études. Cette situation est imputée parfois
à la disponibilité d'individus "surqualifiés" qui pour les
employeurs se combine à une
mauvaise image des non ou des peu formés dans un
contexte de détérioration de la situation de l'emploi, pour
entraîner un relèvement des niveaux de recrutement et une
déqualification des individus dans leurs postes par rapport à
leur formation (d'Iribarne, 1990 cité par Sales) qui mène en fait
au sous-emploi et qui n'est au fond qu'un déclassement. Sur des
ensembles nombreux, cette tendance pourrait conduire à une diminution du
niveau d'emploi moyen et des salaires afférents (OCDE, 1993).
"Jusqu'à présent, les marchés du travail hautement
qualifiés étaient réputés moins sensibles aux
fluctuations de la conjoncture parce que les diplômés
étaient fréquemment employés dans les services et
particulièrement les services publics (OCDE, 1993:105). En revanche, les
coupures massives réalisées dans le secteur public ont
montré leur sensibilité aux tendances structurelles, le cas le
plus fréquent dans plusieurs pays étant celui des enseignants".
Enfin, Sales conclut que les taux de chômage ne sont pas obligatoirement
le meilleur signe de la situation de l'emploi à cause des effets de
substitution mentionnés plus haut.
Dans le cas des pays africains, le chômage des jeunes
urbains est beaucoup plus grave et constitue une préoccupation constante
des gouvernements africains en général et ceux de l'Afrique
sub-saharienne en particulier. En effet, les jeunes de moins de 15 ans forment
entre 40 et 60 % de la population de cette partie du continent (Bocquier, 1994)
et, en vieillissant, ils viennent augmenter chaque année la masse de la
main-d'oeuvre potentielle sur le marché de l'emploi. En
conséquence, l'absorption des premiers demandeurs d'emploi sur les
marchés du travail urbains est rendue plus difficile.
Comme les jeunes de moins de 30 ans sont les plus nombreux
dans la population des actifs, les taux de chômage sont
particulièrement élevés en Afrique sub-saharienne. Ils
seraient de 22,8 % en 1986 à Abidjan, 24,4 % à Dakar en 1991,
14,8 % à Bamako en 1992, 24,6 à Yaoundé en 1992 et 35 %
à Conakry en 1998. A partir de ces pourcentages, Bocquier, (1994) estime
qu'au moins un quart de la population active en Afrique subsaharienne est au
chômage, dont environ deux tiers sont des jeunes de moins de 30 ans, pour
la plupart à la recherche de leur premier emploi. Ainsi, au fil des ans,
les jeunes diplômés vont se transformer en une catégorie
sociale revendiquant le statut de chômeur et exigeant des mesures
spécifiques d'insertion sur le marché de l'emploi. Si le
chômage
des jeunes en général constitue une
préoccupation des gouvernements africains, celui des
diplômés de l'enseignement supérieur demeure
particulièrement préoccupant.
En Afrique sub-saharienne, la situation du chômage des
diplômés de l'enseignement supérieur remonte aux
années 80 avec la crise économique alors que les systèmes
éducatifs des pays africains continuaient à produire des
diplômés dans des spécialités relativement
saturées (Lachaud, 1994 :16). Au cours de ces dernières
années, il semble que plusieurs ajustements structurels aient
été réalisés sur le marché du travail urbain
de la plupart des pays d'Afrique subsaharienne et que le taux de chômage
urbain a considérablement augmenté. Il a doublé entre 1975
et 1990, passant de 10 à 20% environ. En plus, dans cinq pays sur six
enquêtés (Mali, Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Cameroun et la
Guinée), au moins 70 % des individus au chômage recherchaient un
travail pour la première fois.
La même étude indique qu'en Guinée,
l'incidence des restructurations et des liquidations d'entreprises publiques
sur les pertes d'emploi a été plus accentuée que partout
ailleurs en Afrique et que la situation de l'emploi est particulièrement
préoccupante. Situation due à la suppression de l'embauche
automatique, au blocage des recrutements des jeunes diplômés.
Ainsi, la garantie d'un emploi en fin d'études ayant été
abolie en 1985 et les embauches dans la fonction publique gelées, des
milliers de jeunes diplômés sont au chômage. Pendant ce
temps, le secteur privé, sur lequel repose l'espoir du gouvernement pour
résorber ce monde de chômeurs, est en gestation avec une
capacité d'embauche très limitée. Selon Lachaud (1994
:71), en Guinée, le chômage concerne plus particulièrement
deux catégories de personnes : les membres de ménages pauvres,
surtout lorsqu'ils sont chefs de ménage, et les jeunes de la tranche
20-29 ans lorsque ces derniers sont des diplômés de l'enseignement
supérieur.
Dans le cas de la Guinée, le changement de
régime politique en 1984 marque un tournant important dans le domaine de
l'éducation. Au cours de la période de 1958- 1965, la politique
éducative visait essentiellement la formation d'agents devant remplacer
les fonctionnaires coloniaux ayant quitté le pays après
l'indépendance. A partir de 1966 jusqu'en 1984, la politique
éducative était fondée sur l'instauration d'un
système d'enseignement de masse avec une
généralisation de l'utilisation des langues nationales.
Suites aux conférences nationales tenues à
Conakry en mai et juin 1984 et en avril 1985 les objectifs de
l'éducation ont été redéfinis pour assurer
l'amélioration de la qualité de l'enseignement par la formation
des enseignants, l'introduction du français comme langue d'enseignement
et la réouverture des écoles privées. Depuis 1986, la
Guinée a connu une hausse générale de la scolarisation
à tous les niveaux. Par exemple à l'Université de Conakry
qui fait l'objet de notre étude, les effectifs sont passés de
1500 étudiants en 1986 à 9 722 en 1998. Cette hausse des
effectifs combinée avec le changement de politique économique
(restructurations et liquidations des entreprises publiques, du fait des
exigences des programmes d'ajustement structurels : désengagement de
l'État, assainissement des finances publiques) a entraîné
la suppression de l'embauche automatique par l'État, et par
conséquent, le blocage du recrutement des jeunes
diplômés.
D'après Diallo et al. (1996), le taux de
chômage global en Guinée serait de 18% pour les titulaires d'un
diplôme universitaire et de 17% pour ceux ayant accédé
à l'enseignement technique et professionnel. Ce taux serait de 7% pour
les individus ayant un niveau d'instruction équivalent au secondaire; de
3% pour les individus dont le niveau d'instruction n'excède pas le
primaire. Selon les évaluations de l'Association Nationale des
Diplômés sans Emploi de Guinée (ANDISEG, 1997), 75 000
diplômés du système éducatif guinéen seraient
sans emploi. De ces diplômés, 25 000 seraient des titulaires de
diplômes universitaires. Soit 33% de l'effectif global des chômeurs
du système éducatif guinéen. Même parmi les 436
titulaires d'un doctorat, 54 seraient au chômage (PADES, 1998).
Le chômage des diplômés de l'enseignement
supérieur en Guinée semble donc être une tendance majeure,
sans perspective d'amélioration à court terme. Cette situation
suscite chez les diplômés un sentiment d'injustice et une
exaspération croissante. En fait, la Guinée semble se trouver
dans une situation de crise marquée par la supériorité de
l'offre par rapport à la demande. Une situation observée aussi
dans d'autres pays africains, que Belloncle (1984) et Ki-Zerbo (1990) appellent
la "sur-scolarisation" et que Furter (1977)
décrit par la stagflation. C'est-à-dire une
situation économique où stagnent les offres d'emploi pour
diplômés mais où augmentent de façon inflationniste
les effectifs et les coûts scolaires.
Devant l'ampleur du chômage, des réflexions et
quelques réformes ont été entreprises en Guinée. On
peut noter la création de cycles universitaires plus courts comme les
premiers cycles au niveau des Facultés des Sciences, des Lettres et
Sciences Humaines et plus adaptés au besoin du marché de travail
comme les filières professionnalisantes (Aménagement, Tourisme,
Archives et Documentations, Journalisme et Animation culturelle). Toutes ces
réformes visent à répondre aux modifications qui affectent
le marché de l'emploi et surviennent à l'heure des interrogations
sur le rôle de l'Université dans la recherche de solutions au
problème du chômage.
Cependant, aucune étude, à notre connaissance,
n'a été menée pour indiquer le processus d'insertion des
diplômés de l'enseignement supérieur. Aux réponses
de nature politique sur l'insertion, nous proposons une réflexion
centrée sur deux interrogations :
· a)-les diplômés de l'Université de
Conakry parviennent-ils à s'intégrer au marché de
l'emploi, sous quelle condition, moyennant quels délais, aux prix de
quelles difficultés ?
· b)-quels sont les atouts dont disposent certains
diplômés qui accèdent à l'emploi plus facilement que
la majorité des autres diplômés, dont l'accès au
premier emploi demanderait plus de deux ans ?
La plupart des études portant sur l'insertion ont
été conçues principalement pour répondre à
des besoins de gestion et de planification des instances gouvernementales et
des établissements d'enseignement. Plusieurs ont été
réalisés en vue de mesurer l'adéquation entre
formation/emploi (Trottier et al. 1995). Cependant, la crise
économique des années 80 a remis en question ce postulat. Ainsi,
depuis cette période, nombre d'auteurs sonnent l'alarme par rapport aux
difficultés qu'éprouvent les jeunes diplômés
à se tailler une place dans le monde du travail.
En Guinée, l'école en général, et
l'enseignement supérieur en particulier, était avant 1984 un
moyen sûr d'insertion professionnelle et de mobilité sociale. Au
contraire, les quelques données disponibles sur la Guinée
actuellement font ressortir une insertion professionnelle des
diplômés du supérieur plutôt difficile. L'objet
principal de cette recherche est de comprendre cette situation à travers
la collecte, le traitement et l'interprétation des données
portant sur le devenir professionnel de certains diplômés du
système universitaire guinéen formés à
l'Université de Conakry. Pour att eindre cet objectif, notre recherche
sera structurée autour de trois hypothèses.