1.2.2 LA FAMILLE
Parsons, dans ses ouvrages de 1953 et 1970, abonde dans le
même sens. Pour cet auteur, le sous-système familial exerce une
fonction essentielle dans le processus de génération des
inégalités en modelant les ambitions de chaque membre de la
famille au statut social de la famille. La famille détermine ainsi, en
première instance, qui va à l'école et pendant combien de
temps et l'école fournit, à son tour, des compétences,
sélectionne les individus et les oriente vers les positions sociales
existantes.
L'étude de Girard et Clerc (1989c) en France, montre
par exemple, que la réussite scolaire variait, à niveau de revenu
égal, avec le niveau culturel des parents, mesuré sur la base du
diplôme le plus élevé détenu par l'un ou l'autre des
parents. Il est surtout apparu que la relation entre héritage culturel
et réussite scolaire est plus manifeste dès le jeune âge au
moment où, précisément, le langage (vocabulaire, syntaxe
et niveau d'abstraction) est affecté par le milieu familial. C'est sur
la base de cette théorie que Boudon se (1973 : 60) résume aux
propositions suivantes :
1. Le développement linguistique est influencé
par le milieu social ;
2. Le développement verbal à une incidence forte
sur les performances intellectuelles en particulier l'aptitude à
manipuler l'abstraction ;
3. La structure des relations familiales varie selon le milieu
social ; ces relations sont plus simples, plus directes, plus autoritaires dans
les classes sociales inférieures ;
4. La syntaxe des relations familiales exerce une influence sur
la syntaxe linguistique de l'enfant.
La notion d'héritage familial (capital, symbolique et
autres) a été élargie par Girard (1989c) en prenant en
compte le nombre d'enfants dans la famille. Pour cet auteur, la
probabilité pour un enfant d'atteindre un niveau élevé
dans le système éducatif est très fortement
affectée par le nombre d'enfants dans la famille.
Bernard et Renaud (1976), réfléchissant sur cet
héritage familial qu'un fils peut recevoir de ses parents, arrivent
à la conclusion que d'une génération à une autre il
y a deux types de biens qui peuvent être transmis :
· Les biens inclusifs ;
· Les biens exclusifs.
Les biens inclusifs sont ceux qu'un père peut
léguer à son fils sans s'en priver. Sur cette longue liste de
biens, il semble, selon ces auteurs, que les aptitudes linguistiques, l
'éducation et les relations personnelles sont les plus importantes.
Les biens inclusifs sont ceux qui ne peuvent être détenus que
par une personne à la fois, de sorte qu'un père en est
privé s'il les donne. Le capital, les terres et d'autres biens
d'ordre économique sont de cet ordre. Cependant, certaines
fonctions politiques (chef, maire, roi) et certains rôles
économiques (gérant d'entreprise familiale) ont, selon ces
auteurs, les mêmes caractéristiques que le capital. Ces biens sont
ceux qu'un père lègue à sa mort ou à sa
retraite.
Pour Bernard et Renaud (1976) le fait de n'accéder
à ces biens exclusifs par le fils que tard dans sa vie explique les
effets différés de l'origine familiale sur le statut. Cette
conclusion est significativement nuancée par Kelley (1976) en mettant de
l'avant trois considérations. D'abord, il y a le fait que certains biens
inclusifs procurent des avantages non seulement au début mais bien tout
au long de la carrière du fils. C'est le cas de
l'éducation qui facilite non seulement l'obtention du
premier emploi mais donne un coup de pouce supplémentaire réel
à toutes les étapes de la carrière. Ensuite, cet auteur
fait remarquer que le devenir d'un individu peut aussi être
affecté par celui de l'entreprise où l'on sert. Certaines
entreprises sont en déclin d'autres sont en expansion. Certaines
personnes sont ambitieuses, entreprenantes d'autres le sont moins. Ces
paramètres joueront d'une certaine façon sur la carrière
des individus. Enfin, cet auteur fait remarquer qu'un père peut
transmettre des biens exclusifs à un fils avant même d'aller
à la retraite. Car tout père, argumente Kelley, attache un
certain prix au succès et au bien être de son fils. De sorte qu'il
est possible pour un père de se priver pour un fils. Surtout que,
défend-il, l'argent à une utilité marginale
décroissante «les derniers cent dollars d'un important revenu ne
seront pas aussi bénéfiques que les premiers cent dollars»
(Kelley, 1976 : 101). Pour Kelley, l'origine familiale reste
l'élément déterminant dans la mobilité des
individus :
G'est un avantage permanent que de naître dans une
famille ayant un statut élevé. Get avantage se manifeste à
l 'école et lors de l 'obtention du premier emploi, ce qui a pour la
suite des effets durables sur la carrière d'une personne (Kelley, 1976
:99).
En effet, un fils, selon Kelley, qui vient d'une famille d'un
statut élevé obtient des ressources économiques dont il se
sert pour acquérir une éducation et de l'équipement. Ce
qui est impossible pour un fils dont le statut de la famille est moins
élevé. Cet auteur en arrive à conclure que
l'éducation contribue non seulement à obtenir un premier emploi
enviable mais fournit aussi un avantage supplémentaire réel
à toutes les étapes de la carrière. L'explication par
l'héritage culturel transmis à l'enfant par sa famille est en
opposition avec l'explication par la position sociale.
En Afrique, les écrits sur la valeur de l'enfant se
présentent autrement. Dans ces sociétés pauvres,
l'abondance d'enfants procurait traditionnellement aux parents
considération, source de main-d'oeuvre de travail, respect,
sécurité relative et espoir pour les vieux jours. Aujourd'hui, du
fait de la rareté des emplois et de l'existence d'un système de
sécurité sociale digne de ce nom, l'une des plus grosse amertumes
qu'un individu puisse avoir est d'atteindre ses vieux jours sans avoir des
enfants capables de prendre la relève
(Ouedrago, 1994). Au regard des parents, et plus
particulièrement de ceux des classes pauvres, maximiser le nombre
d'enfants survivants permet de maximiser la probabilité que l'un ou
l'autre de ces enfants "réussisse dans la vie" et cette réussite
est d'autant plus souhaitable que les règles de solidarité
commandent encore une certaine redistribution sociale des richesses
individuellement acquises. Cependant, les transformations
socioéconomiques récentes d'une part et, de l'autre, les crises
économiques et les programmes d'ajustement structurels ont
profondément marqué les jeunes à la recherche de
l'emploi.
Les enquêtes de Charmes (1994) au Mali et en Mauritanie
à propos du chômage révèlent que ce sont les jeunes
qui payent le plus lourd tribut. Dans les deux pays, le taux de chômage
des diplômés est relativement élevé : plus de 58 %
des actifs de 15-19 ans étaient au chômage en Mauritanie en 1988,
et près de 41% des 20-24 ans, ces taux étant passés de
58,8% et 41% en 1992. Au Mali, en 1990, c'est chez les 20-24 ans et surtout les
25-29 que les taux de chômage étaient les plus
élevés : 8,2 % et 8,5 % (Charmes, 1994). A Dakar, selon Bocquier
(1991), ils étaient 67% demandeurs de premier emploi et l'étude
concluait que "entre un tiers et un quart des jeunes nés après
l'indépendance n'obtiendront pas un emploi avant l'âge de 30 ans.
Tandis qu'en Guinée, plus des 2/3 des jeunes diplômés de
l'enseignement supérieur, situés dans la tranche 20-29 ans, sont
au chômage (Lachaud, 1994).
Eu égard à toutes ces difficultés
d'insertion, de nos jours, les stratégies des jeunes
diplômés consisteraient à entreprendre des formations
complémentaires et des stages et surtout à faire recours aux
réseaux de relations lors de la recherche de l'emploi. Ce sont ces
réseaux que nous verrons dans les lignes qui suivent.
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