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Devenir professionnel des diplômés du système universitaire guinéen : étude exploratoire à partir des diplômés de l'Université de Conakry

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par Mamadou Gando BARRY
Université de Montréal - Maîtrise en Sociologie 2003
  

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1.2 THÉORIES FACTORIELLES

Dans la littérature sur l'insertion, certaines théories sont dites factorielles, en raison du fait qu'elles mettent de l'avant une série de facteurs pour expliquer la mobilité sociale. Pour Lipset et Bendix (1958), un certain nombre de facteurs influencent positivement ou négativement la mobilité sociale. Parmi ces facteurs, ces deux auteurs mettent l'accent sur le développement économique, l'élévation du taux de scolarisation, l'existence ou la non-existence dans le passé d'un système de stratification sociale. Face aux difficultés d'évaluation du modèle, Lipset introduit, avec l'aide de Zetterberg, l'hypothèse selon laquelle le désir d'ascension sociale des individus est proportionnellement inverse à la visibilité des barrières sociales. Plus les barrières sociales seront invisibles moins sera le désir d'ascension sociale des individus au bas de l'échelle. Devant l'incapacité empirique d'infirmer ou de confirmer le désir d'ascension, les chercheurs se tournèrent vers d'autres formes d'explication de la mobilité sociale. C'est le cas de Boudon (1973), qui considère que la mobilité est le produit d'un processus impliquant simultanément un ensemble de facteurs ou variables. De ce fait, elle doit être vue comme le résultat complexe du filtrage des individus par une suite d'instances d'orientation (selection agencies). Ces instances sont nombreuses et ont pour fonction le maintien de la structure par-delà le mouvement des hommes. Les plus importantes de ces structures sont l'école, la famille et les classes sociales. Mais aujourd'hui, on reconnaîtra que l'école n'a pas pour simple fonction le maintien de la structure mais aussi et surtout sa transformation.

1.2.1 L'ÉCOLE

Pendant longtemps en Occident, dans les théories implicites ou explicites, dans la sociologie académique et spontanée, celle des hommes politiques et des acteurs de terrain, ils se partageaient la proposition selon laquelle la mobilité sociale résulterait du développement de la scolarisation. Une scolarisation qui est corrélative à l'industrialisation et qui devait conduire automatiquement à une égalisation des chances devant l'enseignement et devant l'ascension sociale. Cet optimisme se rattachait explicitement à la théorie de la modernisation qui voyait dans l'industrialisation, l'urbanisation et l'école des vecteurs correcteurs des inégalités et égalisateurs des conditions d'existence. Il était communément admis que, contrairement aux sociétés traditionnelles, dans les sociétés industrielles le statut social, pour reprendre le langage de Parsons, n'est pas imposé (ascribed) ; il est acquis par l'individu (achieved).

Pourtant, les études empiriques menées sur la base de ce postulat produisirent des résultats contraires et la plupart des auteurs relevèrent la persistance et l 'intensité de l 'inégalité des chances scolaires dans les sociétés industrielles. L'école, selon Boudon (1973), en qui l'Occident avait vu un mécanisme correcteur des inégalités dues à la naissance, apparaissait comme incapable de jouer le rôle qu'on attendait d'elle. C'est Lipset et Bendix (1989) qui ébranlèrent les premiers cette croyance largement répandue en arrivant à la conclusion que :

Parmi les diverses formes de l 'inégalité sociale, l 'inégalité des chances est celle qui apparaît, avec les inégalités économiques, comme la plus réfractaire au changement et la plus insensible au développement des sociétés industrielles (Boudon, 1973 : 12).

En tout état de cause, les études portant sur ce champ arrivent à admettre qu'il est possible d'une génération à l'autre de voir apparaître des améliorations quant au niveau de vie sans qu'il n'y ait des modifications dans les chances d'accès à l'enseignement supérieur pour les catégories sociales inférieures. Cette lecture microsociologique est appuyée par Bourdieu et Passeron (1964, 1970) qui précisent que l'égalité d'accès à l'école maintient l'inégalité d'origine sociale, puisque les enfants des classes supérieures ont des moyens culturels et des motivations qui leur permettent de mieux profiter de

l'école que les enfants des classes inférieures (Bourdieu, Passeron, 1970 : 27). Pour ces auteurs, l'école contribue à reproduire l'inégalité sociale observable au sein de la société globale car en venant à l'école, chaque enfant est héritier de sa famille de capitaux (social, culturel, économique, financier, symbolique) et le parcours scolaire de chacun serait équiprobable aux capitaux hérités dans la famille. L'école participe, à sa façon, à ce processus inégalitaire. Et même pour ceux qui arrivent à l'Université, l'intégration ne se fait pas par hasard. Cette lecture sociologique est soutenue par Bourdieu (1970 : 206) lorsqu'il dit :

"L 'école peut contribuer à la reproduction de l 'ordre établi, puisqu 'elle réussit mieux que jamais à dissimuler la fonction dont elle s 'acquitte. Loin d'être incompatible avec la reproduction de la structure des rapports de classe, la mobilité des individus peut concourir à la conservation de ces rapports, en garantissant la stabilité sociale par la sélection contrôlée d 'un nombre limité d 'individus ".

En épousant implicitement cette idéologie comme tant de recherches qui réduisent la question de la reproduction des rapports de classe à la question de la mobilité intergénérationnelle des individus, Bourdieu s'interdit de comprendre tout ce que les pratiques individuelles, et en particulier celles qui contribuent à la mobilité ou qui en résultent, doivent à la structure objective des rapports de classe où elles s'accomplissent.

Toutes ces études mentionnées ci-dessus font date. De nos jours, les études sur l'insertion des diplômés s'interrogent davantage sur le paradoxe des sociétés occidentales où les besoins en personnel hautement qualifié augmentent alors que les jeunes diplômés rencontrent des difficultés d'insertion (Sales et al. 1996). Pour Bernadette (1999), le niveau de qualification et de formation acquis est une variable déterminante dans les chances d'insertion et de stabilisation. La théorie du « capital humain », reflétée dans l'adage qui s'instruit s'enrichit est pertinente. Toujours selon elle, l'absence de diplôme est largement sanctionnée sur le marché de l'emploi.

Trottier et al. (1995) suggèrent que même si le taux de chômage des diplômés universitaires est moins élevé, ils sont néanmoins confrontés à des problèmes d'insertion professionnelle, de précarité d'emploi et de sous-emploi. Ce point de vue est partagé par Sales (1997), dans son article "The Employment Market Challenges of Knowledge

Workers" quand il indique que les diplômés du deuxième et troisième cycles répondent négativement à la question s'ils pensent qu'il sera facile de trouver un emploi après avoir reçu leurs diplômes. Cette population normalement optimiste, qui d'ailleurs est presque unanimement satisfaite de sa condition de vie universitaire, devient cependant inquiète et pessimiste quand l'entretien se tourne vers son futur professionnel (Sales, Drolet, Bonneau, Simard, Kuzminski, 1996).

Dans l'ouvrage les universités et le marché du travail, Alain Charlot (1977), souligne que les différentes populations étudiantes se situent de manière très distincte sur le marché du travail : le processus d'insertion professionnelle est complexe et non linéaire et la diversité des itinéraires procède d'une réalité sociale qui déborde largement le cadre de la simple relation formation/emploi.

A propos du chômage, d'Iribarne (1990), s'interroge sur les effets de l'enseignement sur l'emploi, car pour lui, il est essentiel de bien distinguer deux phénomènes tout à fait distincts : d'une part, les conséquences du niveau de formation d'un individu, le niveau de formation des autres étant supposé donné, sur ses chances de trouver un emploi ; et d'autre part, les conséquences sur le chômage global d'un relèvement général du niveau de formation. Le fait que le premier soit en général favorable n'implique nullement que le deuxième le soit.

Des auteurs contemporains s'interrogent aujourd'hui sur la question de savoir pourquoi certains jeunes diplômés s'en sortent relativement aisément alors que d'autres vont de difficultés en difficultés. Nombre d'entre eux ont apporté des éléments de réponse à cette question en étudiant les facteurs influençant le processus d'insertion. Ainsi, différentes recherches ont mis en évidence des variables de divers ordres (variables personnelles et variables situationnelles) qui jouent un rôle dans le déroulement du processus d'insertion (Riverin-Simard et al., 1992). Par exemple, les individus les plus scolarisés sont habituellement mieux placés dans la course à l'emploi (Gauthier, 1996 ; Limoges, 1998). En Europe, on relève aussi cet impact positif de la scolarité dans l'obtention d'un emploi, d'autant plus que les jeunes les plus scolarisés semblent aussi ceux qui sont les plus favorisés par les programmes d'aide à l'insertion professionnelle (Galland, 1996 ; Nicole-Drancourt et Rouleau-Berger, 1995).

En Afrique en général, en Guinée en particulier, la situation se présente autrement. On constate que le niveau de formation a un effet paradoxal sur l'accès à l'emploi : « plus le niveau augmente, plus le taux de chômage s'élève » (Gérard, 1997). Si le niveau de formation ne peut être retenu comme déterminant, le degré d'adéquation entre système scolaire et marché de l'emploi doit en revanche être examiné : l'évolution de ces deux grands systèmes ou champs et celle de leurs interactions sont en effet nécessairement à l'origine du phénomène de chômage. C'est en tenant compte d'une part, de la particularité du paradoxe entre formation et emploi en Guinée, d'autre part, de l'influence du réseau familial que nous avons élaboré nos hypothèses de recherche.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon