PREMIÈRE PARTIE : EMPLOI, CHÔMAGE ET
INSERTION SOCIOPROFESSIONNELLE
La première partie de ce mémoire recense et
expose la littérature sur l'insertion (chapitre I). La
problématique de l'emploi, du chômage et de l'insertion
socioprofessionnelle présentée de façon diachronique et en
rapport avec des réalités territoriales multiples (Occident,
Afrique et Guinée) et l'analyse conceptuelle sont exposées dans
le chapitre II. Le contexte et le cadre de l'étude sont abordés
dans le chapitre III. Enfin, le chapitre IV présente la démarche
de recherche utilisée pour la collecte des données.
CHAPITRE I : L'INSERTION DANS LA LITTÉRATURE
Dans le domaine de la sociologie, l'insertion des
diplômés se rattache à celui plus globale de la
mobilité sociale. Les recherches qui ont pris pour base les sorties du
système éducatif et l'emploi remontent au début des
années 70. Elles ont été axées principalement sur
:
· les trajectoires suivies par les sortants du
système éducatif lors de leur entrée dans la vie
active;
· leur insertion professionnelle;
· la relation formation/emploi.
Cette revue de la littérature se subdivise en deux
sections qui correspondent grosso modo aux courants de la littérature
sur la question. La première section porte sur le courant descriptif et
la seconde sur les théories factorielles de l'insertion.
1.1 LE COURANT DESCRIPTIF
En France, les travaux du Centre d'études et de
recherche sur les qualifications (CEREQ) réalisés depuis les
années 70 font école à ce sujet, qu'il s'agisse des
enquêtes d'insertion, des enquêtes de cheminement et des bilans
formation/emploi (Teichler, 1989). Au Canada, on aura reconnu les
enquêtes Statistiques Canada (Clark, Laing et Rechnitzer, 1986), et au
Québec, les relances du Ministère de l'éducation et du
Ministère de l'enseignement supérieur et de la science (Audet,
1991, 1993a, 1993b, 1994, Trottier, 1991), de même que celles
d'établissements universitaires (Hamel et al., 1992; Sales et
al., 1996).
En Afrique, la situation du chômage des
diplômés de l'enseignement supérieur remonte à la
décennie 1980-1990 avec une profonde crise économique et sociale.
Tandis que les systèmes éducatifs des pays africains continuent
à produire des diplômés dans des spécialités
relativement saturées (Lachaud, 1994).
Dans le cas de la Guinée, on aurait pu espérer
que l'accroissement du chômage génère une abondante
littérature sur la question. Force est de constater que les
recherches
sociologiques sur ce sujet sont rares. Les quelques
études sur le sujet en Guinée, que nous avons pu consulter, sont
essentiellement descriptives (N'DRI, 1993 ; PADES, 1997, 1998 ;
Ministère de l'Économie et des Finances, 1996; The Economist
Intelligence Unit, 1997-1998; Direction Nationale de la Statistique
Guinée, 1996).
La plus volumineuse de ces études, en rapport avec
l'emploi des diplômés du système universitaire, est celle
portant sur l'efficacité externe des institutions d'enseignement
supérieur. Cette étude avait pour cible les sortants des
institutions d'enseignements supérieurs (IES) des 12 dernières
années (1984-1996) qui ont précédé l'étude
en question. C'est dans les années de sortie 1983-1984, 1984-1985 et
1985-1986 que se retrouve le plus fort contingent de répondants de cette
étude, soit 36 %.
Au total, 1 139 sujets ont été
interrogés, soit 1 026 hommes (90%) et 113 femmes (10%).
Majoritairement, les répondants se retrouvent dans le groupe d'âge
26-30 ans, soit 61%, et 33% se retrouvent dans le groupe de 34 à 41 ans,
les autres soit 6%, se retrouvent dans le groupe des 18 à 25 ans. Les
auteurs de cette étude indiquent que 41% des répondants sont
d'origine paysanne, 30% ont des pères fonctionnaires, 12% sont fils de
commerçants et 17% déclarent avoir un père pratiquant une
fonction libérale ou autre.
Au niveau des enseignements de cette étude, il faut
signaler l'écart constaté entre la sortie de l'Université
et la soutenance du mémoire2. Pour la majorité des
répondants, il s'écoule plus d'une année avant
d'accéder au premier emploi et 41% des répondants n'ont
accédé au premier emploi que 24 mois après la soutenance.
La participation à un stage semble (60% des répondants), pour les
auteurs de cette étude, la voie royale pour obtenir un emploi même
si certains (20%) ont accédé à un emploi par voie de
concours.
Dans l'ensemble, les diplômés des institutions
d'enseignement supérieur en situation de chômage ou pas, jugent
assez positivement la formation. Cette appréciation de la formation
reçue, les répondants la confirment en portant un regard positif
sur la préparation des cours par les enseignants même si la
majorité trouvait la pédagogie mise
en oeuvre peu dynamique et ennuyante. Toutefois, les
répondants à 77% gardent un bon souvenir de leur séjour
sur le campus.
Sur la question de la formation continue, les
répondants font de la maîtrise de l'outil informatique (25%), de
l'anglais (15%) et de l'économie (5%) des priorités. Cependant,
la préférence des répondants semble être la
poursuite des formations complémentaires et le changement de profil
disciplinaire avec un score de 61%. Les auteurs de l'étude en arrivent,
avec ces données, à estimer que la formation continue serait une
avenue intéressante pour les institutions d'enseignement
supérieur de Guinée en raison de la demande et des revenus qu'une
telle formation pourrait générer.
Pour les employeurs, la formation des diplômés du
système universitaire est satisfaisante. Ils sont, en revanche, plus
critiques envers les diplômés de la gestion, des lettres, des
polytechniques et des ingénieurs ruraux. En outre, les employeurs ont
noté certaines faiblesses individuelles de leurs employés,
notamment au plan de la rédaction française, de l'informatique,
de la gestion des ressources humaines, du management, de la gestion
d'unité de travail et autres.
A la suite de cette étude, le programme d'appui au
développement de l'enseignement supérieur (PADES) en a
financé une autre étude en 1998 portant exclusivement sur le
chômage des diplômés des institutions d'enseignement
supérieur. Dans cette étude, il ressort, par exemple, que la
situation du marché de l'emploi en Guinée conduit plusieurs
vagues de diplômés de l'enseignement supérieur à
accepter des emplois et des rémunérations inférieures
à leurs qualifications. Pour les auteurs de cette étude, les
diplômés des quinze dernières années, lorsqu'ils
trouvent un emploi, restent dans une situation précaire et
reçoivent une rémunération nettement inférieure
à celle des employés ayant un niveau de qualification amoindri,
mais plus anciens dans l'entreprise. Cette situation suscite chez les
diplômés un sentiment d'injustice et une exaspération
croissante. Les diplômés sortis des institutions d'enseignement
supérieur ces quinze dernières années ont le sentiment
«d'appartenir> à une «génération
abandonnée>. Les chances d'intégration à la fonction
publique sont quasiment nulles. Les tentatives de création d'entreprise
se heurtent à des obstacles financiers. Les banques exigeant
toujours 30% du capital de la part du promoteur n'arrivent pas
à appuyer les jeunes diplômés.
L'étude du PADES sur l'évaluation de la
situation des diplômés sans emploi (1998), suggère de
façon générale que les causes du chômage des
diplômés du système universitaire guinéen soient
intra et extra. Les causes les plus citées, au niveau intra, sont les
lacunes dans des disciplines majeures comme le français, la
communication écrite (exposé des idées), l'anglais,
l'informatique, l'insuffisance de la diversification des compétences, la
sous-information des diplômés sur les réalités du
marché du travail et la façon de l'aborder. A cela il faut
ajouter le problème de l'orientation généralisante dans le
système éducatif guinéen. Par exemple les
diplômés ayant une formation en littérature, en histoire,
ou en mathématiques, en physique, en chimie etc., se voient
limités à des emplois d'enseignement. Au niveau extra, les
contraintes sont l'interruption du recrutement dans la fonction publique et le
faible nombre d'entreprises privées ou publiques offrant des emplois aux
cadres supérieurs.
Évoquant les causes du chômage des
diplômés du système universitaire guinéen, l'Agence
Guinéenne pour la Promotion de l'Emploi (AGUIPE, 1999), fait remarquer
que l'environnement socio-économique guinéen est
caractérisé, d'une façon générale, par une
détérioration du secteur de l'emploi; les possibilités de
marché de l'emploi en matière d'insertion sont de plus en plus
réduites.
L'étude de Barry (1997), indique que les
diplômés sans emploi issus des institutions d'enseignement
supérieur (IES) ont un âge compris entre 27 et 39 ans. Ce qui
correspond à «l'âge critique» de l'intégration
sociale et de l'insertion professionnelle. L'une des difficultés
d'obtention d'emploi indiquée par cette étude reste liée
au temps mis par les sortants des IES pour faire le mémoire de fin
d'études supérieures. Le manque de moyens financiers suffisant
pour financer leur recherche en est une des causes. Or, l'obtention du
diplôme apparaît très souvent comme un préalable non
moins important à l'acquisition d'un emploi. Aussi, cette étude
révèle-t-elle qu'une fraction importante des répondants,
qui résident tous à Conakry, était constituée de
chômeurs de longue durée. En effet, 36 % d'entre eux avaient 5 ans
et plus de chômage à compter de
la fin de leurs études. Tandis que pour 40 % de
l'échantillon, la durée du chômage varie entre 1 et 4
ans.
Dans l'ensemble, l'interprétation théorique
explicite de l'insertion des diplômés est pratiquement absente de
ces études. Cependant, une lecture poussée de celle-ci permet de
déceler en filigrane l'influence d'une théorie factorielle,
c'est-à-dire des études qui cherchent à identifier des
facteurs affectant l'insertion et donc la mobilité. Cette lecture de
l'insertion s'inspire d'une tradition ancienne dans la littérature
occidentale comme nous allons le voir dans les lignes qui suivent.
|