Devenir professionnel des diplômés du système universitaire guinéen : étude exploratoire à partir des diplômés de l'Université de Conakry( Télécharger le fichier original )par Mamadou Gando BARRY Université de Montréal - Maîtrise en Sociologie 2003 |
CHAPITRE VI : LES MODALITÉS D'INSERTION SUR LE MARCHÉ DU TRAVAILDans ce chapitre, nous traitons du rôle des stages dans l'obtention de l'emploi, ensuite du poids des relations dans le contexte guinéen, plus spécifiquement du rôle des réseaux. 6.1 LE RÔLE DES STAGES DANS L'OBTENTION DE L'EMPLOIPendant longtemps, l'État guinéen était le principal, si non l'unique employeur des diplômés. Or, aujourd'hui la recherche de l'emploi est du ressort des diplômés. C'est pourquoi, dans le contexte guinéen, comme d'une part, la fonction publique recrute rarement ou pas du tout depuis plus d'une décennie, d'autre part, le taux très faible d'embauche dans le secteur privé, les stages et formations complémentaires sont devenus des étapes incontournables dans le processus d'accès à l'emploi. Par rapport au rôle des stages dans l'obtention de l'emploi, les avis des répondants sont partagés. La grande majorité des interviewés trouvent que les stages constituent un moyen d'insertion efficace sur le marché de travail comme l'explique HLE3 : «A mon avis, les stages jouent un rôle de premier plan. C'est d'ailleurs grâce au premier stage que j 'ai fait auprès d'un professeur du lycée que j 'ai réussi à postuler pour l 'enseignement secondaire. Ensuite grâce au stage que j 'ai fait au centre Guinée-écologie association Internet, que j 'ai réussi à traiter mon thème de mémoire. Donc c 'est d'abord les stages ensuite les stages. Avec les stages, on a l 'expérience». Dans une certaine mesure, les répondants estiment que faire le stage permet de casser certaines barrières dans l'accès à l'emploi comme les offres d'emploi qui nécessitent une expérience de travail d'au moins deux à trois ans. Pour cette catégories de diplômés, à défaut d'un emploi dès la sortie, il faut nécessairement passer par un stage afin d'enrichir son expérience et pouvoir accéder à certaines catégories d'emploi notamment avec les institutions comme le PNUD, l'UNICEF qui sont des employeurs potentiels des diplômés universitaires. Enfin, pour certains répondants même si le stage ne donne pas directement accès à l'emploi, il faut le faire car il peut servir dans le futur à décrocher un emploi ou tout au moins à avoir des contrats de courte durée qui constitueront des sommes d'expériences, et en même temps enrichiront leur curriculum vitæ pour d'éventuelles offres d'emplois. L'extrait ci-dessous illustre l'intérêt de faire les stages pratiques dans le contexte guinéen : ' A travers un stage au Centre Hospitalier Universitaire de Donka, j 'ai décroché un contrat de 90 jours. il y avait une enquête en cours qui demandait des laborantins et heureusement c 'est à travers le stage que j 'ai eu à faire, j 'étais en mesure de faire des prélèvements sanguins. Je faisais partie des laborantins, mon travail consistait à faire le prélèvement lors de cette enquête » (FSC36). Si la grande majorité des interviewés pensent que les stages constituent un moyen d'insertion efficace dans la mesure où les diplômés qui réussissent à faire un stage quelque part ont plus de chances d'être retenus dans leur lieu d'apprentissage. Une minorité des répondants jugent que le stage ne permet pas touj ours de décrocher un emploi. Au contraire ils jugent que cela contribue à enliser davantage le diplômé. D'ailleurs, certains interviewés disent rester dans un stage plus de deux ans dans l'espoir d'être embauchés un jour. Mais malheureusement beaucoup finissent par ne pas être employés. Dans une telle situation, les stagiaires se retrouvent à la case de départ. En effet, il faut le souligner, les employeurs profitent quelques fois de la main-d'oeuvre abondante pour renouveler les stagiaires et faire fonctionner leurs entreprises sans recruter d'autant plus que les stagiaires ne sont pas rémunérés. Ainsi, les diplômés passent d'un stage à un autre pendant plusieurs années comme le montre l'extrait suivant : ' Il y a de lieux de stage où tu peux faire 6 à 7 mois, quelque fois même des années, tu ne seras pas employé. L 'exemple le plus frappant en Guinée c 'est la Radio Télévision Guinéenne, il y en a qui ont fait déjà 10 ans de stage ils ne sont pas employés» (HLE19)8. Même si les répondants n'apprécient pas tous le fait de faire de stages pour trouver de l'emploi, cependant, ils aperçoivent qu'il serait mieux, à défaut d'un emploi dès la fin des études, de faire un stage ou des formations complémentaires. Ils justifient ce besoin par le fait que, les universités guinéennes en général et celle de Conakry en particulier ne 8 En Guinée, il y a une seule station de Radio télévision, ce qui explique que les stagiaires n'ont pas de choix que de rester dans cette situation. En réalité, ils vivent de cadeaux que certains organismes ou personnes satisfait de leur travail leur offre. forment pas de spécialistes mais au contraire de généralistes. Cela traduit le phénomène de l'inadéquation formation/emploi, une tare majeure des système s éducatifs africains en général et celui de la Guinée en particulier C'est pourquoi, il est fréquent de voir un diplômé faire un travail non relié à son domaine d'étude. Ainsi, pour mieux faire valoir son travail, il lui faudrait faire d'autres formations complémentaires ou un stage dans un centre spécialisé à son domaine de travail. Par ailleurs, les répondants insistent sur le fait que les stages sont aussi essentiels que les formations additionnelles pour décrocher un emploi en Guinée. En plus, ils affirment que dans la plupart des stages effectués, il arrive le plus souvent que l'expérience acquise concoure non seulement à enrichir leur curriculum vitæ mais aussi à faciliter leur recrutement au niveau du lieu de stage comme en témoigne l'extrait ci-dessous : «Le stage est très intéressant pour tous les jeunes diplômés, c 'est lui qui facilite l'obtention d'un emploi. C'est pourquoi, il faut nécessairement faire des stages, c 'est très avantageux pour les jeunes qui viennent fraîchement de sortir de l'Université de Conakry» (FSE29). Si les stages constituent un moyen d'insertion professionnelle, les diplômés déplorent que l'accès à ces derniers soit difficile pour eux. Certains disent rencontrer des obstacles tels que le refus catégorique de certaines entreprises de les prendre, le manque d'attention à l'égard des stagiaires par les maîtres de stage. Les diplômés disent que s'ils ne rencontraient pas une certaine hostilité de la part de certaines entreprises, les stages peuvent bien favoriser l'accès à l'emploi. Mais le constat est que les étudiants qui sortent maintenant éprouvent de plus en plus de difficultés dans ce sens. Par exemple il arrive qu'un diplômé présente officiellement une demande de stage à une institution et qu'il se voit refuser l'accès. Et même accepté, en pratique il ne fait absolument rien, souvent il traîne toute la journée et finit par se lasser. Sur la base des données colligées, il apparaît que le stage donne une aptitude pour la recherche de l'emploi dans la mesure où dans certains ministères ou offices, on embauche le diplômé, parce qu'il a fait deux ans de stage et connaît bien le travail. Et même les milieux de stage qui n'ont pas la possibilité d'embaucher, les stages sont considérés comme indispensables par les répondants dans l'accès à l'emploi. Car selon eux, la compétence apprise peut toujours permettre d'avoir autre chose ailleurs. Ainsi, le stage permet de décrocher un emploi même si ce n'est pas sur le lieu de stage préalable. Enfin, il y a lieu de souligner qu'en dehors des stages et des formations, certains diplômés utilisent d'autres procédés pour accéder à l'emploi. Il s'agit par exemple de l'expérience de travail accumulée pendant les études. Rappelons qu'il s'agit de rares étudiants qui allient études et travail généralement dans une entreprise familiale. À la sortie de l'université, cette catégorie d'étudiant trouve très tôt de l'emploi car disposant déjà d'une expérience de travail recherchée par les employeurs. En somme, il ressort que les stages, les formations complémentaires et l'expérience de travail pendant les études constituent les premiers recours dans le processus d'accès à l'emploi des diplômés en Guinée. L'analyse des résultats de l'étude sur le rôle des stages dans l'obtention de l'emploi permet de comprendre que la valorisation des stages par les répondants va en conformité avec les perceptions des employeurs qui privilégient ces aspects chez eux. L'importance accordée au stage trouve sa justification par le fait que depuis plus d'une décennie, les entreprises guinéennes préfèrent employer des diplômés ayant déjà une expérience de stage. En fait, les possibilités d'embauches étant très faibles sur un marché de travail guinéen déprimé, les répondants préfèrent passer par les stages pour accéder aux emplois; pour cela, ils font tout ce qu'il faut pour augmenter leurs chances d'insertion. De cette manière, ils agissent en conformité avec les attentes de leurs employeurs potentiels. La valorisation du stage qui se manifeste tant chez le diplômé que chez l'employeur potentiel s'explique en grande partie par le fait que cette main d'oeuvre participe à la bonne marche des entreprises mais aussi le stage facilite l'insertion professionnelle des diplômés. Le stage présente des retombées non seulement pour le diplômé, mais également pour l'employeur d'autant plus que nous l'avons dit plus haut, certains employeurs profitent de la main d'oeuvre abondante pour faire fonctionner leurs sociétés sans pour autant faire de recrutement. Le statut du diplômé au sein de l'entreprise est donc défini en grande partie par ses capacités à contribuer à rentabiliser l'entreprise où il fait son stage. Pour le cas des entreprises guinéennes, un ensemble de conditions sont là pour garantir son embauche définitive. Entre autres on peut retenir : l'acquisition de l'expérience à travers le stage, la compétence, la maîtrise des nouvelles technologies de l'informatique etc. De plus sans avoir reçu d'avertissement de mauvaise conduite durant toute la période de stage. C'est dire contrairement à ce qu'on est porté croire à première vue, l'insertion professionnelle des diplômés de l'Université de Conakry n'est pas aisée. Des situations similaires à celle existant à l'Université de Conakry ont été observées dans certains pays industrialisés notamment européens tels la France et l'Allemagne. Parlant de la situation française, D'Iribarne (1990 : 175), fait le constat suivant : « Dans les pays industrialisés, on pourrait être porté à penser, à première vue, que les diplômés universitaires, étant donné leur niveau de scolarité élevé ou la sélection dont ils ont fait l'objet, rencontrent peu de problèmes d'insertion professionnelle. Ils ont en effet un avantage relatif sur le marché du travail. Mais il importe, pour apprécier cet avantage, de replacer celui-ci dans la perspective du secteur public qui constituait le principal débouché de l'enseignement supérieur. En effet, le secteur public a subi, au cours des années 80, suite aux pressions sur les dépenses publiques, des transformations telles qu'il n'offre plus les mêmes possibilités de recrutement alors que l'enseignement supérieur a continué de se développer. Ces contraintes s'avèrent encore plus vives dans le contexte de la récession économique du début des années 90, et sont de nature à modifier profondément les débouchés pour les diplômés de l'enseignement supérieur. [...] Le décalage entre l'offre et la demande se traduit par une dégradation des conditions d'insertion et le sous-emploi des diplômés ». Enfin, pour comprendre de manière plus large l'influence des stages, on ne saurait se limiter aux considérations socio-économiques. Il importe en outre de tenir compte des programmes d'ajustement structurel mise en oeuvre sous l'égide du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui touche de manière toute particulière la capitale Conakry, lieu de concentration des entreprises susceptibles d'offrir des emplois aux diplômés. On peut à juste titre rappeler ici l'existence d'un dicton très popularisé au niveau des interviewés et dans lequel, ils donnent l'importance des stages dans l'obtention du premier emploi : "on ne recrute jamais sans stage, c 'est d'abord les stages ensuite les stages". Dans le cas de HLE1 0, la richesse de son expérience en matière de stages et de travail9, lui a permis de décrocher un emploi dès sa sortie de l'Université devant des spécialistes du poste demandé. A ce niveau, on peut dire que l'accumulation de stages a été en conformité avec les perceptions des employeurs, qui disent qu'ils recrutent de préférence des diplômés ayant déjà une expérience en stage ou en emploi. Ceci nous fait dire que le recrutement de HLE10 est en conformité avec les conceptions qu'ont les employeurs dans le marché de travail guinéen. Plus le diplômé a une grande expérience de stage et de formations complémentaires, plus il a de "chances" de décrocher un emploi par rapport à celui qui n'a pas fait encore de stage. Dans certains cas, le diplômé combine stage et réseau relationnel afin de trouver un emploi, c'est l'exemple de FSE30 où le réseau relationnel a largement joué lors de l'obtention de son emploi. Au départ, son intention était de faire un stage, c'est cette intention qui lui a permis de décrocher un emploi. C'est dire que même si FSE30 déclare n'avoir pas eu recours seulement à un stage, il reconnaît que c'est par l'intermédiaire de ce dernier que le travail a été obtenu, même si le réseau relationnel a davantage de liens directs avec l'embauche. Il est vrai que d'un certain point de vue, ce sont les relations qui semblent avoir davantage d'influence lors de la recherche de l'emploi. Toutefois, une analyse basée uniquement sur les niveaux d'intensité des relations ne suffit pas pour comprendre les démarches qu'un diplômé entretient avec son réseau relationnel en ce qui concerne l'insertion professionnelle. En effet, il faut prendre également en considération les rapports d'amitié qui existent entre le diplômé et ses collègues de 9 «Depuis ma classe de 12ème année (équivalent au niveau collégial), compte tenu de ma situation, il fallait que j'ai de l'emploi pour pouvoir subvenir à mes besoins. Alors j'ai commencé très jeune, j'ai travaillé dans les usines de plastique où je faisais des dessins, où j'imprimais de la peinture, c'est à dire mettre un peu d'art sur les chaussures pour que ça soit bien vendu. Après la 12ème année, j'avais mon grand frère qui avait un atelier de sérigraphie, c'est un atelier qui fait, l'impression des images sur les tricots, qui fait des banderoles, qui fait des panneaux publicitaires pour les sociétés. J'ai toujours gardé le contact travailleur et commercial. J'allais voir les sociétés, leur proposer les produits que nous faisions. Donc elles (les sociétés) m'ont connu dans ce sens. Quand elles avaient besoin de moi, elles m'appelaient et je faisais leur boulot. J'ai toujours gardé ce même boulot (travail) jusqu'à l'université. A l'université, à mes débuts, je suis passé par la Shell où j 'avais été pompiste pendant six mois, et après ma période de six mois, j'ai été le responsable d'une station service. Et quand les études ça ne marchait pas bien, j'ai démissionné du travail. Quand j'étais en dernière année d'études universitaires, j'ai organisé une quinzaine commerciale avec un monsieur qui venait d'ouvrir un centre commercial. Et ce monsieur m'a proposé le poste d'assistant. A ce poste, je m'occupais de tout ce qui était gestion des boutiques, gestion des commerçants et tout ce qui est administration : payer les impôts, l'électricité, l'eau, le personnel. J'ai passé pratiquement trois ans là. C'est la somme de tous ces petits boulots qui m'a permis de connaître pas mal de personnes dans le milieu de travail». promotion. En effet, FSE30 a réussi son insertion suite à une recommandation du père de son amie de classe. Dans le cas de FSE30, qui a obtenu son emploi sans durer dans le stage, l'influence du réseau relationnel est assez perceptible. Par conséquent on peut établir un lien entre le rôle des stages et les appuis des amis dans les embauches. Il arrive souvent que des diplômés combinent stages et réseau dans le but de décrocher un emploi. La combinaison de ces différents paramètres pour leur insertion est la conséquence de l'inadéquation formation/emploi qui caractérise les pays africains. Par exemple, l'étude de Lachaud (1994), réalisée au Mali, indique que le déséquilibre formation/emploi affecte le marché du travail de sorte qu'il n'absorbait au cours des années 1990 qu'entre 30 et 50 pour cent des diplômés de l'enseignement supérieur. Les plus faibles taux d'absorption étant relatifs aux formations générales, encore que certaines formations techniques ne soient pas épargnées. Comme c'est le cas en particulier des diplômés de la Faculté des Sciences de l'Université de Conakry où l'insertion sur le marché de travail est problématique. A titre d'illustration, dans notre étude, les diplômés de la Faculté des Sciences sont les plus touchés par le chômage. Par exemple sur les 20 diplômés de cette Faculté, 5 seulement sont en emploi (soit 25 % des répondants de ladite Faculté. Alors que 75 % sont encore à la recherche de leur premier emploi. Tandis qu'en Faculté des Lettres, sur les 20 diplômés retenus, 75 % ont un emploi. Habituellement, on est porté croire que les diplômés des sciences ont plus de possibilités d'insertion sur le marché de travail. Cependant, dans notre étude, les résultats des données indiquent que les répondants qui ont fait Lettres s'insèrent mieux. A notre entendement, cela pourrait s'expliquer à deux niveaux. Le premier est qu'en Guinée, les laboratoires de biologie, de chimie ou de physique sont peu développés sinon inexistants. Par conséquent, les diplômés des sciences éprouvent de difficultés d'insertion. Le second s'explique par le fait que, la plupart des ONG (employeurs potentiels) intervenant en Guinée s'intéressent beaucoup plus dans le domaine des sciences sociales. Cette situation caractérisant la Guinée est présente ailleurs au Québec où l'insertion de certains diplômés est à plusieurs égards problématique, du moins elle est devenue en cette fin de siècle plus complexe dans la mesure où les rapports formation/emploi se sont transformés de différentes manières (Trottier, Diambomba et Perron, 1995 : 196). Pour ces auteurs, souvent, la formation initiale universitaire ne peut trouver à s'actualiser, au moins sur le court terme. Tel est par exemple la situation au Québec où des proportions de diplômés de l'enseignement supérieur ne trouvent que des emplois précaires ou encore sans rapport avec leur formation10 On peut donc conclure à propos du rôle des stages que dans certains cas les perceptions des diplômés sont en conformité avec les réalités du marché de l'emploi guinéen. Sans stage, il est très difficile de faire son insertion professionnelle sur le marché de l'emploi. Toutefois, lorsque le diplômé a des relations, il peut être employé sans passer par un stage. Ainsi, on peut dire qu'un stage appuyé par un réseau relationnel conduit à une insertion facile. |
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