5.2 SITUATION DE L'EMPLOI
Du point de vue de l'emploi, sur un total de quarante
interviewés, près de la moitié est au chômage. Les
plus touchés sont les diplômés de la Faculté des
Sciences. Vu du Canada (voir Audet, 1995) cela peut paraître
étonnant mais dans un pays comme la Guinée, les biologistes, les
chimistes, les physiciens tout comme les mathématiciens ont du mal
à s'insérer sur le marché de travail. Cela peut
s'expliquer par le fait que laboratoires et industries ne sont pas très
développés en Guinée. Il y a là un
phénomène important que d'autres études devraient
approfondir. Par ailleurs, parmi les diplômés qui ont un emploi,
douze effectuent un travail à contrat renouvelable chaque année
dans le secteur public. Tandis que les neuf autres font un travail à
durée indéterminée. Parmi ces derniers, huit
évoluent dans le secteur privé et un dans le secteur public.
Par ailleurs, il faut noter qu'une grande proportion (62 %)
des répondants qui occupent un emploi, (qu'ils soient dans le secteur
privé ou public), font un travail dans un secteur non relié
à leur domaine d'études universitaires. Par exemple sur un total
de 21 diplômés en emploi, il résulte que seulement huit (38
%) ont un travail relié à leur domaine d'étude. Ils sont
quatre en provenance de la Faculté des Sciences et quatre de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Tandis que les 13 autres
occupent un emploi non relié à leur domaine d'études
universitaires. Cette situation peut s'expliquer par le fait que les
diplômés sont confrontés à un marché du
travail guinéen déprimé et par une demande moins
spécialisée d'experts qui valorisent les formations
complémentaires.
D'ailleurs, très souvent, les diplômés
suivent les formations en fonction des offres d'emploi et non en fonction de
leurs formations de base. Dans un marché d'emploi
déprimé comme celui de la Guinée,
où l'accès à un emploi est très rare, ce qui compte
pour les diplômés, c'est l'acquisition d'un emploi, le lien avec
le domaine d'étude vient au second rang.
5.3 ORIGINE SOCIALE
Du point de vue de l'origine sociale des répondants,
les interviewés sont majoritairement fils et filles de fonctionnaires
(soit 55 % de l'échantillon total) dont onze de la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines et onze de la Faculté des Sciences, soit un
total de vingt deux sur quarante diplômés retenus. Les
fonctionnaires en Guinée, ont, par rapport aux autres catégories,
l'avantage statutaire de la stabilité de l'emploi et de la
rémunération. Parmi eux, il faut cependant distinguer les cadres
et professionnels et les semi-professionnels. Les diplômés qui ont
des parents cadres et professionnels sont au nombre de treize, tandis que neuf
diplômés ont des parents semi-professionnels. Ceux qui ont des
parents commerçants sont au nombre de huit (dont 6 de la Faculté
des Lettres et Sciences Humaines et 2 de la Faculté des Sciences). Sept
des interviewés ont un père cultivateur (dont 3 de la
Faculté des Lettres et 4 de la Faculté des Sciences), alors que
cette catégorie compte pour 60 % de la population guinéenne.
Seulement trois ont des parents ouvriers ou artisans et ils ont tous
fréquenté la Faculté des Lettres et Sciences Humaines.
Tableau 1 : Profession du père et
situation des diplômés par rapport au marché de l'emploi
Profession du père
|
En emploi
|
Au chômage
|
Total
|
Fonctionnaire6 dont :
|
11
|
11
|
22
|
- Cadre ou professionnel
|
8
|
5
|
13
|
- Semi-professionnel
|
3
|
6
|
9
|
Commerçant
|
5
|
3
|
8
|
Cultivateur
|
4
|
3
|
7
|
Ouvrier/artisan
|
1
|
2
|
3
|
Malgré les limites dues à la nature exploratoire
de notre étude, on peut penser à partir des chiffres
présentés dans le tableau 1 que les enfants issus de familles
modestes ont de la difficulté à entrer à
l'université. Ceci est cohérent avec les résultats de la
plupart des études sur les populations étudiantes qui ont
indiqué que l'origine sociale a un effet reconnu sur la capacité
à entrer à l'université. Les résultats sont
marqués par la spécificité du statut relativement
avantageux des fonctionnaires en Guinée et le très faible nombre
de fils d'ouvriers et artisans et en proportion de fils de cultivateurs.
La question est alors de savoir si l'effet de l'origine
sociale comme l'ont affirmé plusieurs auteurs (Bourdieu et Passeron,
1970; Kelley, 1976) continue à se manifester dans l'obtention d'un
emploi et nous en avons fait une de nos hypothèses. Malgré une
fois encore les limites de nos données, nos résultats ne semblent
pas corroborer clairement cette hypothèse. On observe en effet que sur
les 22 diplômés fils et filles de fonctionnaires, la moitié
est au chômage, et apparemment en proportion, n'ont pas le même
taux de réussite que les fils de commerçants et les fils de
cultivateurs. Il faut dire ici que le statut des commerçants est plus
précaire et moins aisé que celui des fonctionnaires. Deux
éléments viennent cependant tempérer quelque peu la mise
en question du lien origine sociale-emploi. D'abord le fait que deux parmi les
trois enfants d'ouvriers ou artisans n'ont pas d'emploi et ensuite qu'au sein
des enfants des
6 Dans le contexte guinéen, comprendre par
fonctionnaires, les employés de la fonction publique que nous avons pris
soins de regrouper en deux catégories : - en cadres et professionnels
regroupant des administrateurs, des cadres supérieurs, des professeurs
d'université;
-en semi-professionnels regroupant les enseignants du niveau
secondaire et primaire, des adjoints administratifs, des infirmiers.
fonctionnaires, les fils et filles des semi-professionnels
sont eux aussi nettement moins bien placés par rapport à la
catégorie supérieure des fonctionnaires.
Ces résultats sur un échantillon dont la
représentativité n'est pas contrôlée ont
évidemment une portée limitée. Néanmoins, dans ce
cas, l'origine sociale n'a pas d'effet clairement observable sur l'obtention
d'un emploi et ces résultats font douter de l'hypothèse initiale.
Ceci peut s'expliquer de la façon suivante. L'origine sociale a un effet
reconnu sur la capacité à entrer à l'université.
Cette variable n'aurait-elle pas lorsque l'on parle des diplômés,
déjà pleinement exercé son effet antérieurement,
laissant place à d'autres facteurs.
Nous montrerons un peu plus loin le rôle des
réseaux, des stages et des formations complémentaires. On
pourrait alors se demander si l'effet de l'origine sociale ne se manifesterait
pas de façon indirecte dans l'utilisation des réseaux sociaux ou
des formations complémentaires. Nous avons donc cherché à
éclairer ces sous-hypothèses à partir des tableaux 2 et 3.
En ce qui concerne les réseaux, la configuration de leur utilisation ne
coïncide pas avec l'idée que les catégories les plus
aisées seraient celles qui les utiliseraient le plus avec
succès.
Parmi les fonctionnaires, les fils de cadres ou de
professionnels utilisent peu les réseaux et les fils de
semi-professionnels n'ont pas grand succès pour trouver un emploi par ce
moyen. En revanche les fils de commerçants et de cultivateurs sont parmi
ceux qui les utilisent le plus avec succès. Là encore
l'hypothèse de l'effet de l'origine sociale montrant un avantage des
catégories les plus aisées en termes de réseaux pour
l'accès à l'emploi n'est pas cohérent avec les
résultats de ce petit échantillon.
Près de la moitié de nos interviewés ont
utilisé leur réseau. Le taux de succès des réseaux
est très bon, puisque douze sur dix huit (66,66 %) des répondants
ont obtenu un emploi par ce moyen. Parmi ceux qui n'ont pas utilisé les
réseaux ou qui n'ont pas de réseaux, le taux de succès est
inversé, neuf sur vingt deux seulement ont obtenu un emploi sans
utilisation des réseaux. Il faut préciser que parmi les neuf,
deux ont postulé directement.
Tableau 2 : Utilisation ou non du réseau
et profession du père
Profession du père
|
En emploi
|
Au chômage
|
|
Ont utilisé les
réseaux
|
N'ont pas utilisé les réseaux
|
Ont utilisé les réseaux
|
N'ont pas de réseaux7
|
Cadres et professionnels
|
2
|
6
|
2
|
3
|
Semi-professionnels
|
-
|
3
|
4
|
2
|
Commerçants
|
5
|
-
|
-
|
3
|
Cultivateurs
|
4
|
-
|
-
|
3
|
Ouvrier/artisan
|
1
|
-
|
-
|
2
|
Toutefois, si les réseaux sont utilisés
fréquemment par les diplômés, il faut préciser que
tous les réseaux de relations ne sont pas efficaces pour permettre de
décrocher un emploi en Guinée. Il arrive que des réseaux
soient plus forts que d'autres. En Guinée, les réseaux deviennent
faibles le plus souvent quand la personne qui soutient le diplômé
dans ses démarches est soit à la retraite, soit n'occupe plus une
fonction permettant d'influencer le réseau de relations. Sur dix neuf
diplômés en chômage, 6 ont essayé d'utiliser leur
réseau sans obtenir un emploi, tandis que les 13 autres ne disposent
d'aucune possibilité de recourir aux réseaux pour
s'insérer sur le marché de travail guinéen.
Le tableau 3 montre le lien entre formation
complémentaire et la profession du père. Ce qui frappe, c'est que
les formations complémentaires sont avant tout utilisées par les
fils de cadres et professionnels et quelque peu par les fils de
semi-professionnels alors que les autres catégories les utilisent de
façon marginale ou jamais comme pour les fils d'ouvriers. Ceci montre en
même temps l'efficacité d'insertion de ces formations puisqu'aucun
des diplômés ayant suivi de telles formations n'est en
chômage. Même ceux qui ont eu directement un emploi ont aussi suivi
une formation complémentaire.
On peut alors conclure que si l'origine sociale jouait un
rôle dans l'insertion en emploi, ce serait par le biais des formations
complémentaires. Ceux qui seraient les plus à l'aise
financièrement utiliseraient les formations complémentaires qui
supposent d'ailleurs un
déboursé ou l'aide d'une relation. En revanche, les
fils de commerçants et de cultivateurs feraient appel beaucoup plus
souvent aux réseaux.
Tableau 3 : formation complémentaire et
profession du père
Profession du père En emploi Au
chômage
|
Avec formation complément aire
|
Sans Avec
formation formation
complémentai complément
re aire
|
Sans formation complément aire
|
Cadres et professionnels
|
8
|
|
5
|
Semi-professionnels
|
3
|
|
6
|
Commerçants
|
1
|
4
|
3
|
Cultivateurs
|
1
|
3
|
3
|
Ouvrier/artisan
|
|
1
|
2
|
Après la présentation du profil et l'origine
sociale des répondants, nous allons dans les lignes qui suivent aborder
d'abord le rôle des réseaux de relation dans l'accès
à l'emploi, ensuite les formations complémentaires et leur
rôle dans l'accès à l'emploi des diplômés.
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