II. Les théories biologiques ou
héréditaires:
Dès sa naissance, la criminologie fut confrontée
à la question de savoir si l'hérédité n'avait pas
une quelconque influence sur le comportement délictuel des criminels.
Le
8 Gabriel Tarde (1843G1904), psychologue social et
criminologue français. Principaux ouvrages: les Lois de l'imitation
(1890), la Logique sociale (1895) et l'Opposition universelle (1897). À
la différence de Durkheim, à qui il s'opposait, il définit
le fait social comme la conjugaison d'un fait primordial, qui est l'imitation,
et d'un fait moins important, l'invention. Pour lui, l'invention est la
combinaison originale et individuelle d'imitations antérieures.
L'imitation produit d'abord la différence sociale (entre modèle
et copies), puis entraîne l'homogénéisation,
résultat inéluctable de la contagion imitative.
9 On entend ici par "coutumes acceptées" juste le sens
terminologique abstrait du terme et non le sens communément admis qui
vise les bonnes valeurs.
10 G. Tarde, 1890.
vieil dicton "tel père tel fils" incitait à
opérer des recherches poussées dans cette direction.
A. Théorie de la "perversité constitution
nelle" de DUPRE:
En 1912 déjà, le professeur DUPRE,
impressionné par les travaux du psychiatre Allemand KROEPLIN, va
développer en France sa théorie de la "perversité
constitutionnelle" qui peut être schématisée ainsi :
- L'individu atteint par l'hérédité de la
perversité constitutionnelle présente des anomalies dans l'un de
ses trois instincts essentiels, à savoir : la conservation, la
reproduction et l'association.
Etant constitutionnelles, ces anomalies restent
irréductibles et tout effort curatif est vain. Cette théorie a
trouvé un large écho en Allemagne entre les 2 guerres et on
connaît aujourd'hui les tristes applications qui en ont été
faites et les résultats qui en ont découlé.
La plupart des manuels de criminologie font une large place
à l'hérédité et illustrent les
développements y relatifs par le cas de la famille"JUKE".
Issue il y a cent ans d'un père alcoolique, cette famille
a pu fournir à elle seule: - 77 délinquants
- 202 prostituées et souteneurs
- 142 vagabonds.
Cependant, l'ignorance dans laquelle on se trouve
vis-à-vis des conditions sociales de cette famille, nous empêche
d'imputer scientifiquement le comportement antisocial de ses membres à
l'hérédité. (Pas que d'éminents criminologues n'ont
pas hésité à franchir).
Dans ces conditions, on ne peut que soupçonner cette
transmission de père en fils sans la prouver, et il est difficile de
trancher sur la question du diagnostic héréditaire. En effet, bon
nombre d'honorables pères de famille ont donné naissance à
des délinquants, et à l'inverse, de grands criminels ont eu pour
progéniture des citoyens modèles.
Aujourd'hui, le problème de
l'hérédité criminelle, quoique toujours
d'actualité, semble en voie d'être dépassé sans pour
autant être résolu. Il y a trop de coïncidences pour parler
de simple hasard et aucun facteur positif pour incriminer une transmission
héréditaire de la délinquance!
Durant les années 60, certaines découvertes vont
tendre à localiser les recherches sur l'une des 42 paires de
chromosomes, à savoir le chromosome sexuel.
En 1968, un criminel notoire aux tendances suicidaires va
attirer l'attention du Docteur HIVERT, Chef de l'Annexe Psychiatrique de la
prison de la Santé à Paris. Il fera examiner son caryotype qui
révélera la présence d'un chromosome sexuel su
pplémentaire.
Au lieu d'une paire (XY), il possédait une trisomie
(XYY). Cette découverte aura été sans intérêt
si quelque temps auparavant, la même anomalie n'avait été
observée chez un sujet Américain qui avait assassiné en
1966 huit élèves infirmières dans un grand hôpital
de Chicago.
Déjà en 1965, un médecin anglais,
Patricia JACOB et son équipe avaient découvert sept cas de
trisomie (XYY) parmi 197 délinquants d'une prison pour détenus
dangereux, puis 9 parmi 315 soit 2,8 %.
Les proportions des cas de trisomie sexuelle étaient 6
à 7 fois supérieure à celle constatée chez un
groupe témoin de 1935 sujets où un seul cas a été
dépisté, soit 0,05 %.
Une des études les plus frappantes, fut publiée
en 1973 par le Docteur JARVIC, de l'institut de psychiatrie de New York.
Pour estimer la proportion de trisomie (XYY) et (XXY) dans la
population totale, il se réfère à une étude faite
sur les nouveaux-nés Américains qui constituent un
échantillon très représentatif. Sur 9904
nouveaux-nés de sexe masculin, on découvrit 13 cas de trisomie
(XYY) et 14 (XXY) soit 0,13 % et 0,14 %. Par ailleurs, il synthétisa une
vingtaine d'études sur des délinquants, synthèse qui a
révélé 61 cas sur 4293 délinquants, soit 1,4 %,
donc 10 fois plus que dans la population générale prise comme
groupe de contrôle. L'expérience menée par cet homme de
science dans un hôpital psychiatrique a révélé 1,4 %
de cas.
Les congressistes des 1ères journées de
l'institut de criminologie de Paris, tenues en Mai 1973 estimèrent qu'il
n'y avait pas statistiquement une chance sur 100 que ces observations soient
toutes le fait du hasard. Fallait-il cependant incriminer le chromosome
supplémentaire et en faire le"chromosome du crime", à
défaut d'un "virus du crime"?
Des avocats français y ont trouvé un
système de défense pour leurs clients. Les juges ont fait appel
aux lumières du corps scientifique pour les éclairer sur la
question, afin de déterminer le degré de responsabilité
des délinquants qu'ils avaient à juger et qui étaient
porteurs de cette erreur dans leur matériel génétique.
Leurs rapports furent très nuancés. Pour le
Docteur LAFFON, Médecin-chef, "L'aberration chromosomique, c'est
à dire la présence d'un chromosome "Y" supplémentaire,
n'est pas la détermination, mais une sorte de facilitation du crime.
Tant qu'on n'aura pas découvert le mécanisme de cette anomalie,
le porteur du chromosome supplémentaire présentera un danger
potentiel".
La génétique qui est encore dans sa jeunesse
livrera peut être un jour le secret de l'inadaptation sociale de certains
individus.
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