Chapitre4. Traitement du phénomène:
Au moins 5500 mineurs sont en prison au Maroc. Un vaste
chantier, centré sur la réinsertion, est lancé pour
changer des conditions encore scandaleuses, il y a quelques années.
Se servir de la prison à la manière d'un
aspirateur social pour nettoyer les scories des transformations
économiques en cours et faire disparaître de l'espace public les
rebuts de la société de marché -petits délinquants
d'occasion, chômeurs et indigents, sans-abri et sans-papiers,
toxicomanes, handicapés et malades mentaux laissés pour compte
par le relâchement du filet de protection sanitaire et sociale, jeunes
d'origine populaire condamnés à une (sur)vie faite de
débrouille et de rapine par la normalisation du salariat
précaire- est une aberration au sens propre du terme,
c'està-dire, selon la définition du Dictionnaire de
l'Académie française de 1835, un «écart
d'imagination» et une «erreur de jugement» tant politique que
pénale.
I. L'efficacité de la peine d'emprisonnement:
Dans la réalité, la majorité, et donc le
discernement, dépend de plusieurs facteurs qui sont pour le moins que
l'on puisse dire indépendants de la volonté du
législateur. Ces facteurs sont d'ordre biologique, psychologique,
socio-économique et culturel. Or, dans la logique de la loi
pénale, ces facteurs interviendraient de façon identique pour
tous les individus et au même instant! A 16 ans moins un jour, voire une
heure, et l'instant d'après, on franchit le cap de la majorité
avec tout ce qui s'en suit comme responsabilités, sans aucune contre
partie. Qu'est ce qui peut se passer en une nuit et qui fait basculer un
individu du monde délassant des enfants dans celui cruel et sans merci
des adultes? Qu'est ce qui fait qu'un acte catalogué la veille comme une
"faute" d'enfant mineur, nécessitent l'application de mesures de
protection et d'éducation se transforme le lendemain en crime ou
délit "prévu" et "sanctionné" par la loi?
A. La peine d'emprisonnement:
Jeunes adultes, adolescents, enfants. Ils représentent
10 à 12% de la population carcérale du pays, selon l'Observatoire
marocain des prisons (OMP), qui évalue à environ 55.000 le nombre
total de prisonniers au Maroc44. Qui sont-ils, où sont-ils
incarcérés, dans quelles conditions, dans quel but? Des questions
simples pour soulever un problème douloureux et complexe.
1. Aperçu de l'ampleur du fléau:
Beaucoup de mineurs sont donc incarcérés dans des
prisons non spécifiques. Or, l'univers pénitencier au Maroc
brille par sa précarité: surpeuplement, état sanitaire
44 Statistiques générales du 31.12.2001.
très insuffisant, locaux menaçant ruine,
insécurité ambiante, insuffisances quantitatives et qualitatives
de personnels. Certes, la loi impose qu'ils soient strictement maintenus
à l'écart des adultes, mais tel n'est pas toujours le cas, comme
l'a déjà dénoncé la Commission d'observation et de
suivi de l'OMP, faisant état en 2001 de "violences, d'abus sexuels et de
viols". Toutes ces anomalies au sein des pénitenciers, exposent le
mineur à des dangers dont l'impacte sur sa mentalité
négative envers la société sera plus important que nulle
part ailleurs dans les rues. Chose qui remet totalement en question
l'efficacité de la peine d'emprisonnement des mineurs en conflit avec la
loi. C'est pour cela que les textes internationaux font de la privation de
liberté une mesure de dernier ressort et pour une durée aussi
brève que possible. En Hollande, un jeune qui commet un délit a
le choix entre suivre des cours de civisme fixés par un magistrat dans
un centre ou aller en prison. S'il est assidu, il est libre. Ici au Maroc, on
peut voir un gamin de 14 ans prendre 6 mois pour vol, et rallongement de peine
pour un malheureux incident comme "bonus".
2. Critiques:
Même dans les pays ou la majorité pénale a
été fixée à 18, 20 ou 21 ans, les sociologues ont
formulé des critiques de ce genre contre la rigidité de la loi
pénale, en soulignant que les individus n'atteignent pas l'âge
adulte à la même échéance ou dans les mêmes
conditions.
Ainsi, on peut rencontrer en prison des enfants qui n'ont pas
réalisé la portée de leur acte délictuel et qui ne
peuvent pas comprendre cette brusque sévérité des adultes
à leur égard, ni ce traitement réservé aux grandes
personnes "méchantes" qu'on leur inflige.
En outre, et selon un sénateur britannique45
"l'efficacité de l'approche punitive du droit pénal ne touche pas
aux causes de la criminalité, ce qui la met en cause".
La prison, de nos temps, est qualifiée comme
aberration, parce que la criminologie comparée établit qu'il
n'existe nulle part, dans aucun pays et à aucune époque, de
corrélation entre le taux d'emprisonnement et le niveau de la
criminalité.
En tout état de cause, la prison ne traite dans le
meilleur des cas qu'une partie infime de la criminalité, même la
plus violente : aux Etats-Unis, qui pourtant disposent d'un appareil policier
et carcéral grotesquement surdimensionné, du fait de
l'évaporation cumulative aux différentes étapes de la
chaîne pénale, les quatre millions d'atteintes les plus
sérieuses contre les personnes détectées en 1994 par les
enquêtes de "victimisation" (homicides, coups et blessures
aggravés, vols avec violence, viols) ont donné lieu à
moins de deux millions de plaintes à la police, qui ont motivé
780000 arrestations, qui elles-mêmes n'ont conduit, en fin de course,
qu'à 117000 entrées en prison, soit ne sanctionnant que 3% des
actes perpétrés, ce qui fait du recours réflexe à
l'incarcération pour maîtriser les désordres urbains un
remède qui, dans bien des cas, ne fait qu'aggraver le mal qu'il est
censé guérir.
B. Les peines alternatives a la prison:
Les exemples suivants sont puisés dans le système
judiciaire anglais et/ou néerlandais.
45 W.D. Morrison, "juvenile offenders", 1896,
réimpression: Montclair, NJ, Paterson Smith, 1975.
1. Les admonestations et les mises en garde:
Elles sont adressées aux mineurs en fonction de
l'importance de l'infraction qu'ils ont commise: une admonestation s'il s'agit
d'une première infraction peu importante, une mise en garde pour une
infraction plus importante ou si le jeune a déjà reçu
précédemment une admonestation ou une mise en garde depuis plus
de deux ans, mais que l'agent de police considère que l'infraction ne
justifie pas une inculpation.
Les admonestations et les mises en garde sont données
au poste de police. Si le mineur a moins de dix-sept ans, la présence
d'un adulte est requise. Il peut s'agir d'un parent ou d'un tuteur, voire d'un
travailleur social ou d'un représentant d'une organisation
bénévole si le mineur a été confié à
une telle organisation.
L'officier de police doit expliquer au mineur, si ce dernier a
plus de dix-sept ans, ou à l'adulte qui l'accompagne, s'il a moins de
dix-sept ans, dans un langage clair, les conséquences d'une
admonestation ou d'une mise en garde.
Après avoir délivré la mise en garde,
l'officier de police doit confier le mineur à l'équipe de prise
en charge des jeunes délinquants qui détermine s'il est utile de
lui imposer un programme de réinsertion et de prévention de la
récidive.
Lorsqu'un jeune commet une nouvelle infraction dans le
délai de deux ans, ou si l'infraction est trop importante pour
n'être passible que d'une admonestation ou d'une mise en garde, le
tribunal ne peut le dispenser de peine. Il doit le condamner au minimum
à une peine avec sursis.
2. Les ordonnances de reparation:
Le but des ordonnances de réparation est de faire
prendre conscience au jeune délinquant des conséquences de ses
actes. Une telle ordonnance consiste à condamner le mineur à
effectuer des réparations au profit de la victime de l'infraction, si
elle y consent, ou d'une personne à laquelle ont nui les actes
délictueux, voire au profit de la collectivité.
Préalablement à la délivrance d'une
ordonnance de réparation, le tribunal doit prendre connaissance du
rapport établi par un officier de probation, un travailleur social ou un
membre de l'équipe de prise en charge des jeunes délinquants, et
indiquant le travail qu'il serait souhaitable de faire exécuter par le
délinquant en guise de réparation et ce qu'en pensent les
victimes.
Le tribunal doit également expliquer au mineur, dans un
langage clair, les conséquences de l'ordonnance et les obligations
qu'elle comporte, ainsi que ce qui pourrait arriver s'il ne les respectait
pas.
La peine doit être proportionnelle au délit, mais
ne peut dépasser vingtquatre heures. Elle doit être
effectuée dans les trois mois de la délivrance de l'ordonnance
qui peut également contenir l'obligation d'envoyer une lettre d'excuses
à la victime.
L'exécution de cette peine est contrôlée par
un officier de probation, un travailleur social ou un membre de l'équipe
de prise en charge des jeunes délinquants.
46 En Droit espagnol.
3. Les peines d'intérêt général:
Une mesure fréquemment élue comme punition aux USA
et en grande partie de l'Europe.
a. Définition et système d'application:
Une mesure qui vise à favoriser la socialisation du
jeune délinquant. Celui-ci est tenu de participer à un programme,
déjà existant ou adapté spécialement à son
cas par les profession nels.
Le mineur doit effectuer gratuitement des travaux au
bénéfice de la communauté ou de personnes en situation de
précarité. La durée de ces travaux varie entre 50 et 200
heures46 en fonction de la gravité de l'infraction.
Les travaux d'intérêt général font
partie d'un programme dont l'objet est d'éviter la récidive et de
favoriser la réinsertion.
La peine dure trois mois et comporte des obligations
(participer à certaines activités, être présent dans
certains lieux à certaines heures) et des interdictions (ne pas
fréquenter certains endroits). Si la victime y consent, le jeune
délinquant peut également effectuer des travaux de
réparation à son profit.
Pendant la durée de la peine, le mineur est
placé sous la surveillance d'un agent de probation, d'un travailleur
social ou d'un membre de l'équipe de prise en charge des jeunes
délinquants.
Avant d'imposer une peine d'intérêt
général, le tribunal doit prendre connaissance du rapport qui est
établi dans les mêmes conditions que pour l'ordonnance de
réparation. Il doit donner également des explications au
mineur.
Le tribunal fixe la date d'une prochaine audience, qui doit
avoir lieu dans le délai maximum de 21 jours suivant la fixation de la
peine, et demande à la personne chargée de la surveillance du
mineur d'établir, pour cette date, un rapport sur l'exécution de
la peine mentionnant éventuellement les modifications qu'il serait
souhaitable d'y apporter. A la lecture de ce rapport, le tribunal peut modifier
les sanctions imposées.
b. Critiques:
Un certain nombre d'éducateur vivent sous le
règne de postulat: D'une part, l'opposition entre sanction et mesure
éducative. D'autre part, l'incompatibilité entre contrainte et
travail éducatif: l'emprisonnement, quelle que soit la durée du
séjour, est perçu soit, comme un désaveu de leur sanction
soit, relevant de la seule responsabilité des magistrats, sans lien avec
les résultats de l'action éducative.
Cette vision, tout à fait respectable au demeurant,
surtout dans le cadre de l'enfance en danger, ne manque pas de soulever des
interrogations en ce qui concerne la prise en charge des délinquants.
Ainsi, il apparaît qu'une grande partie de l'opinion publique attend,
dans le suivi des délinquants, une contrainte accrue, même s'il ne
s'agit pas d'enfermement.
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