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Islam, démocratie et droits de l'homme

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par BOUGUERRA Faycel et BELLOUBET Nicole
Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2007
  

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B / LES NOUVEAUX PENSEURS ou les penseurs contemporains

Alors que le Califat a été un sujet de discorde entre dirigeants musulmans, ce sujet a été peu évoqué depuis 1924. De nombreux musulmans souhaiteraient le rétablissement du Califat, mais des restrictions, ainsi que l'activité politique de nombreux pays musulmans combinés aux obstacles pratiques à l'unification de plus de cinquante États-nations en une seule institution, ont limité les efforts pour faire revivre cette institution désormais archaïque.

Du coup, la voie était grande ouverte devant les penseurs qui sont pour l'adoption de la démocratie comme un choix inéluctable.

D'abord,'Abdul Karim Soroush (de son vrai nom `Hossein Dabbagh) est considéré comme un des penseurs musulmans contemporains parmi les plus importants. Certains ont cru pouvoir le qualifier de « Luther de l'Islam ».

Diplômé en Pharmacologie de l'Université de Téhéran, maîtrisant parfaitement les connaissances de Fiqh et d'Usul (fondements), bouleversé par la situation politique agitée de son pays Iran, il commence alors à s'interroger sur la question des relations entre politique et religion. Diplômé de l'Université de Londres en histoire et en philosophie des sciences, il accorde une grande importance à l'étude de la philosophie des religions.

Alors que certains penseurs musulmans contemporains auraient tendance à soutenir que l'Islam doit être reconstruit ou revivifié afin de satisfaire les besoins des musulmans dans le monde moderne, Soroush pense que toute tentative de reconstruire l'Islam est à la fois futile et illusoire.

Faut-il vouloir changer la religion, ou bien convient-il de changer la compréhension que l'on a de la religion ? Voilà une des grandes questions que soulève Soroush.

En effet, il veut libérer la religiosité des éléments et des compréhensions superflus et stagnants qui obscurcissent l'essence de la religion, et il a le souci de pourvoir la religion de moyens et de valeurs extra-religieux permettant un dialogue fructueux entre raison et Révélation124(*).

Comment réconcilier éternité et temporalité ? Le sacré et le profane ?

Le remède à apporter est dans sa théorie de « la contraction et de l'expansion de la connaissance religieuse ».

Il explique sa théorie de la sorte : « L'intention de ma thèse de la contraction et de l'expansion est qu'un texte ou un événement soient fondamentalement ouverts à une multitude d'interprétations ou à une pluralité de lectures »125(*).

Il admet la perfection du Coran et l'imperfection de la raison humaine qui a un besoin constant de reconstruction.

Sa théorie est une théorie interprétative et épistémologique. « Nous somme toujours plongés dans un océan d'interprétations » affirme-t-il. « Le texte ne vous parle pas. Vous devez le faire parler en lui posant des questions. L'interprétation dépend de nous et pas du savant devant nous, car si l'on ne lui pose pas de questions, et pas n'importe quelle question, il va rester silencieux » conclut-t-il.

Il affirme que toutes les sciences et tous les domaines de connaissances sont dans un état de transformation constante. Il faut les rattraper.

Dans son commentaire de la thèse de Huntington, « Le Choc des civilisations », il conclut au fait que le malaise de l'Islam126(*) c'est qu'il est compris comme une identité et non pas comme une vérité.

Il appelle à la réconciliation de la religion et de la démocratie. Il admet que les valeurs de libertés, de justice, de droits politiques, de démocratie, des droits de l'Homme relèvent de la philosophie politique. Pour que la religion ne se heurte pas à ces idées nouvelles, elle doit accepter la théorie de l'évolution du savoir.

L'idée des droits de l'Homme127(*), selon lui, se discute en dehors de la religion parce qu'elle précède la croyance.

La pensée musulmane d'aujourd'hui a besoin d'adopter le raisonnement critique et non pas la raison herméneutique traditionnel. Les paradigmes religieux doivent être revisités, il souligne aussi la fracture épistémologique causée par la modernité. Pour lui, c'est notamment en raison de l'absence d'une approche philosophique que la modernité a touché le monde musulman d'abord à travers la politique et à travers les avancées technologiques.

Les penseurs musulmans ont ainsi pu se préoccuper des questions politiques de la modernité : sécularisme, pluralisme, libertés publiques, droits de l'Homme, droits de la femme, individualisme. En revanche, selon lui, il y a des caractéristiques philosophiques plus fondamentales de la modernité qui ont besoin d'être identifiées, pour que soit définie la position de l'Islam par rapport à la modernité128(*).

Il attire l'attention d'abord sur la nécessité d'abandonner la raison herméneutique au profit de la raison critique. Ensuite, il rejette catégoriquement la notion absolutiste de la vérité et de la certitude mathématique des vérités. Il rejoint sa voix au profit du scepticisme moderne qui est à la base de la question du pluralisme démocratique.

Il attire l'attention aussi au fait que l'Islam a toujours parlé des devoirs et des obligations de l'être humain alors que la modernité est préoccupée par les droits. Il invite à la sécularisation pour pouvoir accepter ces piliers de la modernité.

Enfin, il propose une religiosité instruite et réfléchie, qui sache conjuguer raison et spiritualité. Imbu dans le mystique, il appelle à la foi par amour et non pas par obligation.

Selon lui, l'essence de la religion, c'est l'Amour de Dieu et des autres. Son exemple est l'expérience prophétique de Mahomet.

Quant à Mohammed Arkoun, Professeur émérite à la Sorbonne où il a enseigné l'histoire de la pensée islamique, il est considéré comme un intellectuel totalement libre. Pour lui, réfléchir veut dire transgresser, déplacer et dépasser, et c'est à partir de cette « triade conceptuelle » qu'il effectue sa lecture critique des textes de la tradition religieuse.

Fondateur de l'«islamologie appliquée », il la présente comme le fait d'étudier le texte coranique, puis les textes seconds de la tradition, selon une méthode « déconstructive » d'archéologie des connaissances. En d'autres termes, il s'agit de clarifier le passé pour construire le futur. Se référant au commentateur Al-râzî (12e siècle), qui avait lui-même effectué une lecture historique du texte coranique en utilisant, pour cela, tous les instruments de son temps (astronomie, médecine, sciences naturelles, rhétorique, histoire, ...), il affirme que l'étude de l'Islam doit tirer parti de toutes les sciences aujourd'hui disponibles, plus particulièrement la linguistique moderne et l'anthropologie.

Ainsi, il soumet la religion à la raison interrogative et à la déconstruction scientifique inspirée de la théorie de J. J. Dérida.

Il déplore le fait que les pouvoirs politiques et religieux ont imposé une clôture logocentrique et dogmatique qui représente une fracture colossale et décisive dans l'histoire de la pensée islamique.

Sauf qu'il oppose un refus épistémologique à l'idée de la laïcité129(*) basé sur la différence entre l'histoire d'Orient et d'Occident130(*).

Il n'est pas sans rappeler aussi les idées d'un autre penseur contemporain, à savoir Fazlur Rahman qui, quant à lui, milite pour une nouvelle approche du Coran et de la Révélation.

Savant pakistanais né en Pakistan en 1919 et mort aux Etats-Unis en 1988, maîtrisant le savoir islamique traditionnel complet [à savoir fiqh (jurisprudence ou doctrine), `ilm al-kalam (théologie didactique), hadith (traditions prophétiques), tafsîr (exégèse coranique), mantiq (logique) et falsafa (philosophie), ainsi qu'il connaît par coeur l'intégralité du Coran depuis l'âge de dix ans, ajoutant à cela qu'il maîtrise parfaitement neuf langues dont le français, l'anglais, l'arabe, l'allemand, le persan, le latin et le grec], il continuait ses études doctorales en philosophie à Oxford.

Il fut la connaissance de Abu `Ala Mawdudi, le fondateur du parti de la Jama'at-i-Islami, qui élaborera plus tard la théorie de l'État islamique moderne. Comme tous les penseurs de l'Islam, Rahman en appelait au rétablissement de l'ijtihâd. Il appelle aussi à l'obligation d'aborder le Coran comme un tout et dans son historicité, ainsi qu'à la nécessité d'adopter une approche thématique et éthique du Coran. Il s'approche ainsi du penseur Muhammad Iqbal.

D'autres penseurs non moins importants à savoir, d'abord, Amin Al-khûli et Muhammad Khalafallâh qui sont considérés comme les précurseurs de l'analyse littéraire moderne du Coran.

Ensuite, l'on a Taha `Hussein qui, quant à lui, il s'intéressait à la comparaison du Coran à la poésie préislamique.

Pour ce qui est de Nasr `Hamid Abû Zayd, il s'intéressait à l'exégèse coranique.

Il appelle à échapper au poids des exégèses idéologique et herméneutique. Il conseille de se prémunir contre les lectures tendancieuses par une herméneutique rigoureuse.

Il disait toujours que « Le Coran est un texte linguistique, un texte historique et un produit culturel ». En effet, il est un linguiste par excellence.

Dans le même ordre d'idées, Farid Esack, né en Pakistan en 1957, admet de même l'historicité du Coran et l'existence des idées de libération et du pluralisme dans le message divin. Il prône la théorie de l'herméneutique de réception qui s'intéresse au processus d'interprétation et à la façon dont des individus ou des groupes différents se le sont approprié ou se l'approprient. Elle prend en compte le texte et son public originel, mais également la transformation entre les perspectives passées et présentes. Il redéfinie tant de concepts coranique comme le Jihâd, Al-tawhid, Al-taqwa ...

Enfin, `Abdelmajid Charfi et Mohammed Talbi, deux penseurs tunisiens contemporains qui se sont intéressés au message du Prophète et au phénomène mohammadien. Charfi se pose la question de savoir comment en est-on venu à une religion législative ?

Il conclut au fait que la Chari'a (la voie en arabe, qui est La loi islamique), n'est pas imposée et mentionnée par la Révélation. Cette « voie » est à ouvrir et à réouvrir d'une façon continuelle, et ce chaque fois dans un sens ou une destination qui s'adapte avec les besoins de l'actualité.

Il s'attaque après au problème de l'institutionnalisation de la religion après la succession du Prophète. Il démontre que les musulmans de l'époque ont eu du tort de lier foi et loi, profane et sacré, politique et religieux.

Il appelle à la modernisation de la conscience musulmane, et contrairement à Fazlur Rahman, il pense que la laïcité n'est pas obligatoirement athée, et il est convaincu qu'elle offre un chemin d'émancipation aux sociétés musulmanes.

Des penseurs tunisiens contemporains comme Yadh Ben Achour, Mohammed Charfi, Hamadi Rdissi, Mohammed Chérif Ferjani et beaucoup d'autres, s'inscrivent tous dans la même lignée que `Abdelmajid Charfi et Muhammed Talbi. Tous acceptent l'historicité du Coran, la laïcité131(*) et la sécularisation comme un remède au malaise de l'Islam.

Ils s'attaquent à l'idée d'une « laïcité islamique » selon lequel « l'Islam règne, l'État gouverne » proposée par d'autres penseurs, ainsi le culturaliste Sanson132(*).

Ils concluent à ce que, faisant l'obider dictum de la laïcité, les contemporains l'ont ainsi sacrifiée sur l'autel des questions linguistiques et épistémologique, voire même ontologique.

Ils ont enrichi l'arsenal philosophique arabo-musulman au détriment d'un vrai débat sur la modernité et les autres concepts qu'elle véhicule.

En définitive, ils concluent que toute démocratie parachutée, non encore mûre, non préparée par une révolte (États-Unis, France, ...) ou un débat ou une discussion mais précipité, surtout après un mouvement de décolonisation, débauche en toute logique sur le despotisme et l'usurpation du pouvoir. Du coup, ils appellent à préparer les esprits et à ne pas barrer la route à toute discussion et débat libre et discursif.

« Le Fanatique (...) est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran et martyr, c'est un monstre. Point d'être plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n'a pas coupé la tête ».

Cioran

* 124 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 69.

* 125 Soroush (`Abdul Karim), Reason, Freedom and Democracy in Islam, 2000.

* 126 Voir sur ce sujet : Meddeb (Abdelwahab), La maladie de l'Islam, Éditions du Seuil, Paris, 2002.

* 127 Pour une étude approfondie sur la relation de l'Islam aux droits de l'Homme voir l'ouvrage collectif sous la direction de Marc Agi, Islam et droits de l'Homme, Paris, 2007 notamment les articles de : Arkoun (Mohammed), « Pratique et garanties des droits de l'Homme dans le monde islamique », p. 49-63 ; A. Boisard (Marcel), « Les droits de l'Homme en Islam », p. 65-102, « Existe-t-il une conception islamique spécifique des droits de l'Homme », p. 25-30 ; Al-Mafregy (Ihsan Hamid), « L'Islam et les droits de l'Homme », p. 115-153.

* 128 Voir l'ouvrage de : Mernissi (Fatma), La peur - modernité : Conflit Islam - démocratie, Éditions Albin Michel, Paris, 1992.

* 129 Voir aussi, Bencheikh (Ghaleb), La laïcité au regard du Coran, Presses de la Renaissance, Paris, 2001.

* 130 Arkoun et Sanson, Réligion et laïcité. Une approche laïque de l'Islam, La Tourelle, Centre Thomas More, 1989, p. 70.

* 131 Voir les plaidoyers significatifs en faveur de la laïcité : Ferjani (Mohamed-Chérif), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, L'Harmattan, Paris, 1991 ; Ben Achour (Yadh), « Islam et laïcité », in Pouvoirs, n° 62, 1992, p. 15-30. ; Redissi (Hamadi), L'exception islamique, Éditions du Seuil, 2004 ; Ferjani (Mohamed - Chérif), Le politique et le religieux dans le champ islamique, Fayard, Paris, 2005 ; Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998.

* 132 Sanson (H.), Laïcité islamique en Algérie, Paris, CNRS, 1983, p. 19 et 53.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle