A - Traitement médicamenteux
I. Bêtabloquants (ou antagonistes bêta
-adrénergiques)
L'utilisation de collyres aux â-bloquants a
été suggérée dans le traitement de l'hypertension
intraoculaire et du glaucome depuis plus de 30 ans. Ils demeurent le traitement
médical antiglaucomateux le plus prescrit, habituellement en
première intention, en raison de leur efficacité et de leur
excellente tolérance locale [60].
I.1. Mode d'action
Les collyres â-bloquants agissent en diminuant la
sécrétion active de l'humeur aqueuse par les cellules claires de
l'épithélium ciliaire. Ils bloquent précisément
l'action de l'enzyme adénylate-cyclase membranaire, essentiellement sur
les sites â2-adrénergiques de ces cellules ciliaires.
L'adénylate-cyclase transforme l'adénosine triphosphate (ATP)
intracellulaire en adénosine monophosphate (AMP) cyclique qui commande
la sécrétion aqueuse. A la conception classique de pompes
ioniques s'est substituée celle de « canaux
ciliaires », situés à la jonction cellules
claires/cellules pigmentées, dont les transits sont commandés par
l'AMPc [18].
I.2. Pharmacocinétique
Globalement, l'action hypotensive oculaire d'un collyre
â-bloquant commence 20 minutes environ après l'instillation, et
atteint un maximum d'efficacité entre 2 et 4 heures. Cet effet peut se
prolonger au-delà de 24 heures.
La réduction de la PIO est de l'ordre de 30 à 35
% dans les premiers jours, mais peut légèrement diminuer les
semaines suivantes. L'efficacité sur la baisse de pression est
sensiblement identique d'un â-bloquant à l'autre, peut-être
un peu plus faible avec le bétaxolol. L'effet hypotenseur est
différent d'un individu à un autre, et un â-bloquant
faiblement dosé peut fournir une baisse de pression significativement
importante. Il est donc toujours souhaitable de prescrire d'abord le plus
faible dosage, et d'ajuster ultérieurement la posologie.
De même, compte tenu de leur durée d'action
prolongée, le rythme d'administration des â-bloquants peut
être limité chez certains patients à une instillation
quotidienne, même sans vecteur permettant une
« libération prolongée ». Dans ce cas, le
collyre sera préférentiellement instillé le matin
plutôt qu'en milieu de journée ou le soir, compte tenu de la
baisse spontanée de la sécrétion ciliaire vespérale
et nocturne.
En cas d'instillation unilatérale, le passage
systémique entraîne habituellement un petite baisse de pression au
niveau de l'autre oeil [29].
I.3. Classification pharmacologique des
â-bloquants
En dehors de l'effet proprement â-adrénolytique
responsable de la baisse de pression, au moins trois propriétés
pharmacologiques additionnelles différencient les â-bloquants
[88].
I.3.1. Activité sympathomimétique
intrinsèque
Classiquement, lorsque les récepteurs â sont
déjà occupés par un agent â-bloquant (un
antagoniste), toute action sympathomimétique est inhibée et
l'arrivée sur ces récepteurs d'un agent endogène
â-agoniste (comme l'adrénaline) ne peut pas avoir d'effet
stimulant. Certains â-bloquants (cartéolol, béfunolol,
pindolol) ont une action intermédiaire :
En occupant les récepteurs, ils provoquent tout de
même une réponse sympathomimétique
modérée ; mais ils restent des agents â-bloquants
à part entière, car ils s'opposent à l'action des
â-stimulants endogènes. Ces agents â-bloquants ont une
action dite « sympathomimétique intrinsèque »
(ASI) et sont qualifiés d'« agonistes partiels »
[81].
I.3.2. Effet stabilisant de membrane
Certains â-bloquants peuvent s'opposer aux
échanges ioniques transmembranaires, entraînant un effet
anesthésique local. Cette
« propriété » représente un danger
potentiel pour la cornée (risque d'ulcère). Aucun collyre
â-bloquant (à l'exception du bupranolol, non commercialisé
en France) ne possède actuellement un effet stabilisant de membrane
suffisamment important pour rendre ses instillations dangereuses
[76].
I.3.3. sélectivité
â1
La plupart des â-bloquants agissent simultanément
sur les récepteurs â1 et â2. Le blocage des
récepteurs â2 peut entraîner, chez des sujets
prédisposés, des complications broncho-pulmonaires et une
augmentation des résistances vasculaires périphériques
(syndrome de Raynaud, diminution du débit sanguin coronaire,
ischémie du nerf optique).
Le bétaxolol, produit à priori sans
action bloquante â2, est capable d'abaisser la PIO de manière
presque aussi importante que les autres produits, en diminuant donc les
risques de complications liées au blocage des récepteurs
â2. On parle de molécule «â1-sélective» ou
encore cardiosélective (sans effet broncho-pulmonaire)
[31].
I.4. Effets secondaires
I.4.1. Effets secondaires locaux.
Les â-bloquants sont, le plus souvent, parfaitement bien
tolérés localement, ce qui explique leur large utilisation. Ils
n'entraînent pas de modifications de la pupille, ni de l'accommodation.
Il n'y a aucune douleur à l'instillation. Les allergies au
â-bloquants sont très rares.
Si l'on mesure instrumentalement la sensibilité
cornéenne, elle est souvent un peu diminuée, même lorsque
l'activité stabilisante de membrane est très faible. Il faudrait
théoriquement en tenir compte chez des sujets présentant une
affection cornéenne.
Une diminution de la sécrétion lacrymale est
fréquente. Elle peut faire basculer un patient présentant une
hypolacrymie sans irritation fonctionnelle vers une sémiologie de
sécheresse oculaire patente, souvent mal supportée. L'irritation
locale peut persister, même après l'arrêt du traitement. Si
le collyre â-bloquant reste indispensable, il faut alors prescrire des
larmes artificielles. Les porteurs de lentilles cornéennes doivent
être prévenus et surveillés [47].
I.4.2. Effets secondaires
généraux
Le passage systémique des â-bloquants est assez
faible, mais suffisant chez des sujets prédisposés pour
entraîner des complications, parfois gravissimes. Ces complications sont
néanmoins rares, compte tenu de la fréquence de prescription de
ces collyres.
Complications cardiaques
Les â-bloquants sont responsables de bradycardives,
voire d'arythmies ou de syncopes (d'évolution parfois fatale). Les blocs
auriculo-ventriculaires de 2e et 3e degrés sont
donc des contre-indications absolues à la prescription de tels produits.
L'insuffisance cardiaque et les bradycardies sinusales sont des
contre-indications relatives (solliciter l'avis du cardiologue).
Les â-bloquants peuvent être impliqués dans
l'aggravation d'un syndrome de Raynaud, d'une artériopathie
oblitérante : ce sont des contre-indications relatives.
Autres complications décrites
Elles sont difficiles à imputer directement au
collyre : myasthénies, diminution de la libido, troubles
dépressifs, difficultés à l'équilibration d'un
diabète sucré par perturbations de la glycogénolyse
[60].
I.4.3. Phénomène
d'échappement
Il a été essentiellement décrit avec la
maléate de timolol, mais il est commercialisé depuis plus
longtemps que les autres collyres. Dans de rares cas, l'efficacité du
produit paraît effectivement disparaître, ou diminuer fortement,
après une durée d'instillation éminemment variable d'un
cas à l'autre. Sa nature est encore controversée : perte
d'action réelle du produit ou progression de la maladie
sous-jacente ? Le remplacement immédiat par un autre collyre
â-bloquant ne relance que rarement les variations de pression
après instillation. En revanche, une fenêtre thérapeutique,
encore appelée "wash-out", de 1 à 2 mois permet
fréquemment de récupérer l'action hypotensive du produit.
Certains conseillent empiriquement d'interrompre les instillations 1 ou 2 jours
par semaine, pour diminuer le risque d'apparition de cet échappement
[79].
I.5. Différents collyres
bêtabloquants
I.5.1. Maléate de timolol
Il est commercialisé sous sa forme lévogyre.
C'est le collyre â-bloquant de référence,
le premier commercialisé (1979 pour la France), et de loin le plus
prescrit à l'heure actuelle dans le monde. C'est un collyre
â-bloquant sans sélectivité â1 et sans ASI. Les
instillations sont dans l'immense majorité des cas parfaitement bien
tolérées. Il est disponible aux concentrations de 0,1 %, 0,25 %
et 0,50 %.
Une forme à libération prolongée a
été plus récemment mise à disposition, aux
concentrations de 0,25 % et 0,50 %. Le véhicule est un polysaccharide
anionique dérivé d'une gomme de gellane. En contact avec les
cations du film lacrymal précornéen, le produit forme un gel,
permettant au principe actif de rester sur le globe durant une longue
période, et autorisant a priori une seule instillation quotidienne.
Récemment sont apparus des collyres associant timolol
et pilocarpine, ou encore un collyre associant timolol et dorzolamide
[46].
I.5.2.Métipranolol
Il a beaucoup de points communs avec le timolol : c'est
un â-bloquant complet sans ASI. Il est disponible aux concentrations de
0,1 % 0,3 % et 0,6 %.
La tolérance locale en est globalement un peu moins
bonne, tout au moins avec les fortes concentrations, et les patients peuvent,
plus souvent qu'avec le timolol, se plaindre de brûlures et de
picotements à l'instillation en début de traitement.
Le métipranolol a une diffusion réduite dans
l'organisme (le passage sanguin n'est pas décelable par chromatographie
gazeuse), ce qui limiterait les effets latéraux cardiovasculaires
[1].
I.5.3. Cartéolol
C'est un â-bloquant puissant et non sélectif,
dont l'efficacité sur la baisse de pression est aussi meilleure que
celle du timolol. Il présente une forte ASI, avec les avantages
potentiels - oculaires et généraux - de cette
propriété. La tolérance locale est
généralement excellente.
Les â-bloquants peuvent intervenir sur les lipides
sanguins, en diminuant le taux de HDL- cholestérol (le
« bon » cholestérol) et en augmentant celui des
triglycérides. De manière significative, le cartéolol
diminue un peu moins le taux de HDL-cholestérol que le
timolol.
Il est commercialisé aux concentrations de 0,5 % 1% et
2%. Un collyre l'associe, en France, à la pilocarpine
[27].
I.5.4. Bétaxolol
C'est un collyre â-sélectif mais ne
possédant pas d'ASI. La fréquence des effets secondaires chez les
asthmatiques et les insuffisants respiratoires est diminuée par rapport
aux collyres non â-sélectifs. Bien que son action soit
« cardiosélective », le pouls cardiaque ne se
ralentit pas significativement à l'effort. Les autres avantages
potentiels d'un tel produit ont été présentés plus
haut.
Une forme à 0,50 %, entraînait fréquemment
une irritation locale à l'instillation, tout au moins pendant les
premières semaines du traitement. Le passage à une forme en
suspension à 0,25 % a permis une nette amélioration de la
tolérance locale tout en diminuant simultanément l'importance du
passage systémique [80].
I.5.5. Béfunolol
C'est un â-bloquant non sélectif, comparable au
cartéolol, car il présente comme lui une ASI. Il est peu
commercialisé dans le monde.
La tolérance locale à l'instillation est
pratiquement aussi bonne qu'avec le cartéolol. Par ailleurs, le collyre
commercialisé contient un principe mouillant, l'alcool polyvinylique,
qui peut améliorer cette tolérance chez des sujets
présentant une hypolacrymie.
Il est commercialisé aux concentrations de 0,25 % et
0,50 % [76].
I.5.6. Lévobunolol
C'est un â-bloquant non sélectif dépourvu
d'ASI.
Sa demi-vie est plus longue, grâce en particulier
à sa métabolisation en dihydrolévobunolol, et la baisse de
pression obtenue peut durer plus de 24 heures, ce qui pourrait autoriser une
seule instillation quotidienne, bien que l'autorisation de mise sur le
marché (AMM) français conseille deux instillations quotidiennes.
Les effets secondaires locaux et généraux sont identiques
à ceux du timolol. Les phénomènes d'échappement
seraient moins importants qu'avec le timolol. Il est disponible aux dosages de
0,10 % et 0,50 % [9].
II Agonistes á - adrénergiques (ou
sympathomimétiques)
II.1. Agonistes á-adrénergiques non
sélectifs (Mydriatiques)
L'action hypotensive oculaire de l'adrénaline est
connue depuis le début du siècle. Mais il fallut attendre la
diffusion de la pratique de la gonioscopie, vers 1950, pour repérer la
contre-indication majeure représentée par l'étroitesse de
l'angle iridocornéen, et pour prescrire les agonistes á -
adrénergiques dans le traitement des glaucomes [76].
II.1.1. Mode d'action
L'adrénaline est un stimulateur non sélectif de
l'ensemble des récepteurs sympathomimétiques : â1,
â2, á1 et á2... qui sont eux-mêmes retrouvés
dans la plupart des tissus intraoculaires. Plusieurs mécanismes, dont
certains sont encore mal connus, participent à la baisse de
pression :
-La sécrétion d'humeur aqueuse est
légèrement diminuée les premières minutes suivant
l'instillation, par vasoconstriction ciliaire (á2)... mais elle augmente
secondairement (augmentation de l'ultrafiltration par stimulation â2,
augmentation de l'activité des cellules ciliaires
épithéliales non pigmentées par stimulation á2).
-L'action prédominante est une augmentation de la
facilité d'écoulement par stimulation de récepteurs
trabéculaires, essentiellement â2. Cette diminution de la
résistance à l'écoulement serait provoquée par une
fragmentation du cytosquelette et vraisemblablement, en activant une
hyaluronidase locale via une production d'AMPc.
-L'adrénaline semble aussi augmenter la
perméabilité des voies uvéosclérates (voir
prostaglandines), car il peut encore faire baisser la PIO alors que l'angle
iridocornéen est synéchié sur 360°. L'implication de
prostaglandines endogènes dans ce mécanisme est probable, car
l'administration d'indométacine diminue l'effet hypotenseur oculaire de
l'adrénaline.
-Enfin, l'adrénaline pourrait également agir sur
le flux sanguins intraoculaires et sur la pression veineuse
épisclérale, dont on sait qu'ils interviennent à des
degrés variables dans la régulation de la PIO.
En dehors de l'action sur la PIO, l'adrénaline
entraîne une mydriase par stimulation des récepteurs â du
dilatateur de l'iris, et des effets constricteurs puis dilatateurs sur les
vaisseaux conjonctivaux traduisant une excitation couplée des
vasorécepteurs á (constriction) et â (dilatation)
[10, 87].
II.1.2. Pharmacocinétique
Lorsqu'elle est instillée, l'adrénaline (ou la
dipivéphrine) provoque une chute de la PIO d'environ 30 à 40 %,
débutant dès la 15e minute, maximale entre la
4e et 6e heure, restant forte de 12 à 18 heures,
et persistant parfois au-delà de 24 heures. Cet effet est sensiblement
identique à celui obtenu par un collyre â-bloquant. Une ou deux
instillations par jour sont donc efficaces à couvrir le
nycthémère, et cette efficacité n'est pas augmentée
si l'on accroît le nombre d'instillations quotidiennes
[74].
II.1.3. Effets secondaires
Ils sont nombreux et freinent considérablement leur
prescription, vouée à disparaître progressivement à
cause de l'émergence des nouvelles familles thérapeutiques
antiglaucomateuses dont la tolérance est meilleure.
II.1.3.1. Effets secondaires locaux
- Mydriase modérée, peu gênante
fonctionnellement, mais pouvant créer de véritables fermetures de
l'angle iridocornéen chez les sujets prédisposés au
blocage pupillaire. Ce risque impose une gonioscopie et une évaluation
clinique de la profondeur de la chambre antérieure avant la prescription
d'un sympathomimétique, lorsqu'une iridectomie n'est pas
présente.
- Brûlures à l'instillation assez
fréquentes, qui diminuent souvent en intensité après
quelques jours de traitement.
- Céphalées, parfois insupportables, qui peuvent
justifier l'interruption du traitement.
- Hyperhémie conjonctivale habituelle, après une
phase immédiate de blanchiment, qui survient vers la 5e heure
après l'instillation.
- Blépharoconjonctivite allergique.
- Apparition de dépôts pigmentaires
noirâtres d'adénochrome après un traitement
prolongé, sur le bord des paupières. La conjonctive, et parfois
l'épithélium cornéen qui sont sans conséquence. Les
lentilles cornéennes de contact peuvent être colorées
après plusieurs semaines de traitement.
- Rarement, chute des cils, sténose des points
lacrymaux ou formation de calculs lacrymaux.
- Toxicité endothéliale cornéenne
discutée.
- OEdème maculaire cystoïde, qui pourrait survenir
chez certains sujets âgés aphaques après plusieurs mois de
traitement, régressant en principe à l'arrêt du traitement.
La nature « vasospastique » du processus est
suspectée.
II.1.3.2. Effets secondaires généraux
L'adrénaline instillée passe dans la circulation
sanguine, et peut donc entraîner des effets circulatoires
généraux tels que la tachycardie, extrasystoles, palpitations et
anxiété, voire augmentation de la pression artérielle.
L'adrénaline doit donc être contre-indiquée chez les grands
hypertendus artériels, les sujets âgés
artérioscléreux, où l'adrénaline pourrait
être impliquée [38, 41].
II.1.4. Différents agonistes
á-adrénergiques non sélectifs
II.1.4.1. Adrénaline
L'adrénaline est utilisée localement, sous forme
de chlorhydrate, de bitartrate ou d'adrénaline base, dans des
préparations de 1 %. Une forme à 1 % est associée
à l'acéclidine [52].
II.1.4.2. Dipivéphrine
Elle est obtenue en rajoutant deux radicaux d'acide pivalique
à l'adrénaline, dont elle est une prodrogue. Intacte, elle n'a
qu'une très faible activité pharmacologique. Elle est plusieurs
centaines de fois plus lipophile que l'adrénaline, et traverse donc
beaucoup plus facilement la cornée. A l'intérieur de celle-ci, la
dipivéphrine est rapidement hydrolysée en adrénaline par
les estérases locales, le processus étant entièrement
terminé à l'intérieur de la chambre antérieure. La
biodisponibilité de l'adrénaline est donc très
augmentée et, à activité hypotensive égale, la
dipivéphrine peut être beaucoup moins concentrée (0,1 %).
Certains effets latéraux, locorégionaux mais surtout
généraux, sont ainsi diminués, mais il faut retenir que se
trouve une quantité identique d'adrénaline à
l'intérieur de l'oeil (mydriase, risque maculaire). La
dipivéphrine a déjà largement remplacé
l'adrénaline dans le traitement du glaucome, mais l'expérience
montre que de rares patients préfèrent le collyre à
l'adrénaline plutôt qu'à la dipivéphrine
[74].
II.2. Agonistes á-adrénergiques
sélectifs (ou á2-adrénergiques)
II.2.1. Clonidine
Le développement en ophtalmologie des agonistes
á2- adrénergiques a débutée avec la
découverte de l'action hypotensive de la clonidine. Cette
dernière diminue la PIO de façon rapide (dès la 2e heure),
elle est puissante (diminution de 3 à 4 mmHg chez le sujet sain) et
sensible (composé actif à la dose de 0,125 %). En instillation
répétée, la clonidine entraîne malheureusement une
hypotension artérielle marquée, de nature orthostatique, peu
compatible avec son utilisation dans une pathologie où l'apport
vasculaire au nerf optique doit justement être préservé. La
baisse de pression artérielle est liée au passage
encéphalique de la molécule lipophile, ce qui a pour effet
d'activer les récepteurs á2- adrénergiques
présynaptiques et les récepteurs centraux. Les effets
potentiellement néfastes de la clonidine sur le nerf optique ont
considérablement limité son développement en ophtalmologie
[33].
II.2.2. Apraclonidine
La synthèse de molécules imidazoliniques ne
franchissant pas la barrière hématoencéphalique a permis
de limiter les effets centraux de la clonidine.
L'apraclonidine, ou p-aminoclonidine, est un de ces
prototypes. L'apraclonidine diffère de la clonidine par
l'adjonction en C4 d'un radical amine-NH2, rendant la molécule plus
hydrophile. Cette modification chimique n'altère pas significativement
les propriétés hypotensives oculaires de la clonidine, mais sa
structure polaire lui confère une perméabilité
limitée de la barrière hématoencéphalique et donc
un risque faible d'hypotension artérielle [16].
II.2.2.1. Mode d'action
L'apraclonidine réduit la sécrétion
ciliaire de l'humeur aqueuse (30 à 35 %) sans perturber ses
capacités d'écoulement trabéculaire. Cet effet est
médié par les sites récepteurs
á2-adrénergiques présents dans l'épithélium
ciliaire. Elle peut réduire la PIO à des valeurs très
basses, parfois au niveau ou en deçà de la pression veineuses
épisclérale (9 mmHg). L'instillation unique ou
répétée d'apraclonidine entraîne une
vasoconstriction locale limitée au segment antérieur de l'oeil
(par stimulation des récepteurs á1- adrénergiques), sans
effet significatif sur la circulation papillaire. La vasoconstriction a pour
autre conséquence de stabiliser la barrière hématoaqueuse,
ce qui explique probablement l'efficacité particulière de
l'apraclonidine dans la prévention des pics hypertenseurs induits par le
laser. l'apraclonidine ne modifie pas significativement le flux
uvéoscléral de l'humeur aqueuse. Comparativement aux
â-bloquants peu efficaces la nuit, les agonistes á2 demeurent
actifs durant tout le nycthémère , ce qui leur confère un
avantage clinique supplémentaire. L'explication de ce
phénomène n'est pas claire mais l'apraclonidine pourrait
réprimer de façon permanente l'activité basale de
l'adénylate cyclasse ciliaire, même lorsque celle-ci est à
un niveau minimal (période nocturne) [43].
II.2.2.2. Indications
Le développement de l'apraclonidine a d'abord
concerné son utilisation dans les procédures pratiquées au
laser : iridotomies et capsulotomies au laser Nd : YAG,
trabéculoplastie au laser argon. La réaction uvéale
inflammatoire observée au décours de ces interventions
s'accompagne fréquemment d'une phase hypertonique initiale. La
focalisation du faisceau laser sur les tissus oculaires s'accompagne d'une
rupture de la barrière hématoaqueuse avec libération
intracamérulaire de médiateurs de l'inflammation
présentant une action hypertonisante. L'élévation de la
PIO est logiquement plus importante chez les patients glaucomateux dont les
capacités trabéculaires sont diminuées ; ses
conséquences sont, elle aussi, plus graves du fait de l'hypertonie
préexistante.
Son efficacité est supérieure aux autres
médicaments antiglaucomateux (pilocarpine, acétazolamide,
â-bloquants) ou aux corticoïdes locaux, et son utilisation est
dénuée des complications allergiques locales observées
lors d'un traitement chronique. L'efficacité de l'apraclonidine diminue
l'incidence et la gravité des pics hypertoniques postopératoires.
Le champ d'action de l'apraclonidine s'est rapidement élargi au
traitement du glaucome chronique à angle ouvert. Chez des patients
glaucomateux, la diminution moyenne de la PIO avoisine 25 %, ce qui est
comparable à ce que l'on observe avec un â-bloquant. Les
données pharmacodynamiques indiquent une durée d'action
significative pendant 8 heures, Pour certains, l'efficacité de
l'apraclonidine sur la PIO diminue progressivement avec le temps chez un nombre
relativement important de patients.
Chez des patients présentant un glaucome non
contrôlé médicalement et conservant leur traitement
topique, l'apraclonidine à la concentration à 0,5 % permet une
réduction supplémentaire de la PIO de l'ordre de 3 mmHg à
différents moments de la journée au bout de 90 jours. Même
si cette réduction peut sembler faible en valeur absolue, le gain
thérapeutique permet de retarder le « moment de la
chirurgie » chez 60 % des patients (contre 32 % dans le groupe
témoin). Une propriété intéressante de
l'apraclonidine est donc de manifester une efficacité à un stade
avancé de la maladie, alors que le patient est déjà soumis
à un traitement lourd.
Ainsi on peut raisonnablement penser que la molécule
peut être utilisée dans toutes les circonstances d'hypertonie
oculaire aiguë qui requièrent d'emblée une association
médicamenteuse, comme dans le glaucome aigu par fermeture de l'angle ou
les glaucomes réfractaires, ou les hypertonies oculaires de nature
inflammatoire (glaucome associée à une uvéite, syndrome de
Posner-Schlossman, glaucome traumatique ou néovasculaire) [65,
66].
II.2.2.3. Associations
Bien que partageant le même site d'action (procès
ciliaires), l'association d'apraclonidine et d'un â-bloquant est
synergique. Chez des patients traités par timolol à 0,5 % et dont
la PIO n'est pas maîtrisée, l'addition d'un traitement par
apraclonidine à 0,5 % ou à 1 % administré deux fois par
jour permet une réduction supplémentaire de la PIO de l'ordre de
20 %. L'effet persiste après un traitement combiné de 3 mois,
atteignant 5 mmHg 3 heures après la dernière instillation, 3 mmHg
8 heures après celle-ci. L'effet sur la pression de l'apraclonidine
à 0,5 % chez des patients traités médicalement persiste
au bout de 2 ans, la PIO étant réduite en moyenne de 20 %.
Environ 20 % des patients ne sont plus contrôlés
médicalement au décours de cette période, suggérant
que le glaucome a progressé ou que la molécule a perdu une partie
de son activité (tachyphylaxie) [82].
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