IV- Classification des glaucomes
Ce concept très général crée le
cadre nosologique de cette affection, mais ne suffit pas à examiner la
diversité de ses présentations cliniques. Deux facteurs
interviennent obligatoirement pour compléter cette définition et
la rendre utilisable sur le plan clinique :
· Le niveau de la pression intraoculaire :
L'hypertonie intraoculaire, statistiquement considérée comme
telle au dessus de 21 mmHg, est le facteur le plus important du glaucome,
à tel point qu'elle entre classiquement dans sa définition en
étant même confondue régulièrement avec lui.
· Etat de l'angle irido-cornéen
(AIC) : Le degré d'ouverture de l'AIC conditionne la
présentation clinique du glaucome. Un AIC ouvert est macroscopiquement
normal et définit le glaucome à angle ouvert, alors qu'un AIC
fermé résulte de l'accolement de la racine de l'iris au
trabéculum et s'oppose à l'évacuation de l'humeur aqueuse
hors de l'oeil.
Avant tout autre critère, un glaucome doit être
qualifié soit de primaire ou de secondaire. Le glaucome secondaire
survient lorsque le glaucome est accompagné ou causé par d'autres
traumatismes ou pathologies oculaires et/ou systémiques. Chacun des
trois types majeurs de glaucome peut être déterminé comme
primaire ou secondaire [78].
Tableau I : Classification des
glaucomes [78]
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Glaucomes primaires
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Glaucomes secondaires
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Glaucomes à angle ouvert
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? Glaucome primaire à angle ouvert
(à tension élevée)
? Glaucome à tension normale
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? Glaucome relié à une pression
veineuse épisclérale élevée
? Glaucome pigmentaire
? Glaucome exfoliatif
? Glaucome lié aux
stéroïdes
? Glaucome lié à une tumeur
intraoculaire
? Glaucome par traumatisme post-chirurgical ou
accidentel
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Glaucomes à angle fermé
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? Glaucome (primaire) à angle
fermé à bloc pupillaire
? Glaucome (primaire) à angle
fermé avec iris en plateau
? Glaucome à mécanisme mixte (a
aussi une composante à angle ouvert)
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? Glaucome relié à un bloc
pupillaire secondaire (plusieurs causes)
? Glaucome néovasculaire
? Glaucome relié à un flot
inversé de l'humeur aqueuse (bloc ciliaire)
? Glaucome relié à une tumeur
intraoculaire
? Glaucome par traumatisme
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Glaucomes congénitaux
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? Glaucome congénital primaire
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?Syndrome d'Axenfeld-Rieger
? Hypoplasie de l'iris
? Iridogoniodysgénésie
? Aniridie
? Syndrome de Lowe
? Anomalie de Peters
? Syndrome de Sturge-Weber
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IV.1. Le glaucome primitif à angle ouvert
(GPAO)
C'est une atrophie antérieure du nerf optique et une
excavation caractéristique, d'évolution chronique et
progressive, due à la mort des cellules ganglionnaires
rétiniennes associées aux changements typiques du champ
visuel.
Les patients atteints de glaucome à angle ouvert sont
asymptomatiques. On les détecte cliniquement par une atrophie optique,
une excavation caractéristique de la papille et, plus tard dans
l'évolution de la maladie, une perte de champ visuel.
L'élévation de la pression intraoculaire (PIO)
est consécutive à une perturbation de l'excrétion de
l'humeur aqueuse, et l'examen gonioscopique confirme que l'angle
irido-cornéen est, par définition, ouvert
[55].
VI.1.1. Epidémiologie
VI.1.1.1 Prévalence
Le GPAO est le plus fréquent des glaucomes, puisqu'il
représente, en fonction des régions et des critères
diagnostiques, 50 à 70% de l'ensemble des glaucomes.
La fréquence de la maladie augmente avec l'âge
(elle passerait à 5% chez les sujets de plus de 65 ans). Elle est plus
importante chez les sujets présentant une myopie forte, un syndrome
pseudo-exfoliatif ou une dispersion pigmentaire, et lorsqu'il existe des
parents glaucomateux. L'influence du diabète sucré sur la
survenue d'un GPAO est généralement admise (environ 12% des
glaucomateux sont diabétiques), et il est vraisemblable que
l'hérédité des deux maladies ait des caractères
communs [75].
VI.1.1.2. Age
Le GPAO survient surtout chez les sujets de plus de 50 ans,
mais peut être retrouvé dans la troisième ou la
quatrième décennie de la vie, particulièrement lorsqu'il
existe des antécédents familiaux de glaucome. Le terme de
« glaucome juvénile » a longtemps été
retenu pour les cas survenant avant 40 ans [75].
VI.1.1.3. Sexe
Une étude conduite à Framingham
[35] en 1977, sur 2 631 personnes, concluait que le GPAO
avec atteinte du champ visuel est plus fréquent chez les hommes que chez
les femmes. D'autres études épidémiologiques ont
également souligné l'évolution plus sévère
du glaucome pour le sexe masculin. Cette prédominance apparaît
encore plus marquée chez les sujets de moins de 40 ans
[35].
VI.1.1.4. Facteurs ethniques
Statiquement, le GPAO est plus fréquent chez les sujets
de race noire. Par ailleurs, il apparaît chez eux plus précocement
y est plus sévère, et aboutit plus vite et plus souvent à
la cécité.
Les raisons de cette gravité sont multiples, et
incomplètement élucidées : facteurs
économiques, géographiques, culturels particularité
tissulaires [75].
VI.1.1.5. Hérédité du
GPAO
L'existence de facteurs génétiques est admise
depuis longtemps dans la pathogénie du GPAO : la maladie est 15
fois plus fréquente chez les sujets dont les parents proches sont
glaucomateux (8,5% de porteurs d'un GPAO dans la parenté au premier
degré).
Le mode de transmission précis de la maladie est encore
controversé, et il n'est pas sûr qu'il s'agisse d'un classique
modèle mendélien [42].
VI.1.2. Etude clinique
VI.1.2.1. Causes de l'hyperpression
intraoculaire
Depuis longtemps, on sait que l'augmentation pressionnelle du
GPAO est liée à une augmentation de la résistance à
l'écoulement de l'humeur aqueuse. Dès 1946, on a montré
que le gradient « pression oculaire - pression veineuse
épisclérale » s'élevait dans le GPAO, alors que
le gradient « pression dans le canal de Schlemm - pression veineuse
épisclérale » restait inchangé : le
siège de la résistance à l'écoulement se situait
donc entre la chambre antérieure et le canal de Schlemm, ce qui a
été confirmé ultérieurement. La résistance
au delà du canal de Schlemm (veines aqueuses, veines
épisclérales). Ne paraît pas affectée dans le
GPAO.
En réalité, 4 à 10% des sujets de plus de
40 ans présentent une HPO ; or la prévalence du GPAO
inférieure à 1% dans cette même population. En d'autres
termes, les HPO peuvent être 10 fois plus fréquentes que les GPAO,
avérés ! La probabilité qu'ont les patients
hypertendus d'être un jour glaucomateux est donc faible, mais augmente
avec les chiffres de la PIO : les sujets dont la pression est de l'ordre
de 23 ou 24 mm Hg semblent développer des altérations du champ
visuel avec une incidence de seulement 5 % en 10 ans ; si la PIO est au
alentours de 30 mm Hg, l'incidence peut atteindre 10 %
[75].
VI.1.2.2. Signes cliniques
Les patients glaucomateux sont typiquement asymptomatiques,
l'examen peut révéler :
- une PIO élevée (au moins 21 mmHg à au
moins une prise),
- un index cup/disc (C/D ; excavation/papille)
élargi,
- une asymétrie C/D,
- des zones localisées d'amincissement du bord neural
(encoche)
- des hémorragies en flammèches
péripapillaires.
L'examen du fond d'oeil à la lumière
anérythre peut révéler la disparition de certaines couches
de fibres nerveuses. La gonioscopie est normale, le champ visuel
révèle des scotomes arqués incluant un ressaut nasal, des
défauts en coins paracentraux et temporaux [51].
VI.1.2.3. Pathogénie de
l'excavation
Les causes de la destruction optique dans le glaucome
chronique ne sont pas encore parfaitement connues, et font l'objet de
très nombreux travaux, parmi les théories
évoquées :
- Théorie ischémique, ou
théorie des « gradients »
Elle a été la plus longtemps admise. Dans cette
hypothèse, l'hypertonie intraoculaire réduit la vascularisation
de la tête du nerf optique, et diminue l'apport nutritif
nécessaire aux fibres optiques et au tissu de soutien.
- Théorie mécanique
L'hyperpression intraoculaire provoquerait un bombement vers
l'arrière de la lame criblée, et un glissement les unes sur les
autres des couches collagènes la constituant. Les fibres optiques
seraient véritablement cisaillées à ce niveau.
- Théorie de l'altération du flux
axoplasmique
Comme dans toutes les cellules nerveuses, il existe dans les
cellules ganglionnaires rétiniennes un double courant transportant
molécules et organites, l'un centrifuge, l'autre centripète au
corps cellulaire. Ce courant est indispensable à la fonction conductrice
de l'axone, à la croissance et au maintien des neurones, et à
l'évacuation des produits du catabolisme. Ce transport peut être
altéré par l'hypoxie, et donc l'ischémie, mais aussi par
une compression ou des agents toxiques [62].
- Théorie de l'apoptose
L'apoptose est un mot grec qui signifie "chute de
pétales ou de feuilles". Ce phénomène décrit la
mort programmée des cellules ganglionnaires rétiniennes dans les
tissus.
IV.2. Autres types du glaucome
IV.2.1. Le glaucome par fermeture de l'angle
(GFA)
Le GFA est une maladie entièrement différente du
glaucome chronique. L'hypertension oculaire est ici liée à une
anomalie anatomique qui permet le blocage de l'angle par l'iris lors de la
mydriase.
Typiquement, les symptômes associés à une
augmentation subite de la pression intraoculaire suite à la fermeture de
l'angle irido-cornéen sont une vive douleur oculaire et une vision
floue. Il évolue par crises séparées par des intervalles
de tension normale et le diagnostic risque de ne pas être
évoqué, si l'angle n'est pas examiné
systématiquement en gonioscopie. L'anatomie du glaucome par fermeture de
l'angle explique son mécanisme. L'iris refoulé en avant par le
cristallin bloque l'humeur aqueuse dans la chambre postérieure,
l'hypertension de cette chambre refoule en avant la racine de l'iris,
entraînant le blocage l'angle. L'hypertonie cède lorsque le bloc
papillaire est levé d'où son caractère intermittent
[72].
Figure 5 : Occlusion de l'angle
irido-cornéen occasionnée par l'accolement de l'iris sur le
cristallin [4]
IV.2.3. Le glaucome congénital
Est dénommé comme tel l'état oculaire
caractérisé par une HIO congénitale ou postnatale
responsable d'atrophie optique glaucomateuse. Dans la très grande
majorité des cas, le glaucome congénital est la
conséquence d'une dysgénésie du segment antérieur
de l'oeil qui justifie la dénomination plus exacte de glaucome
dysgénésique.
Ni le nouveau né, ni l'enfant en bas âge
n'exprime de difficultés visuelles, c'est à l'entourage, en
particulier les parents et le pédiatre, qui pouvaient être
alertés par des signes cornéens très évocateurs
comme: une mégalocornée, une opacité cornéenne et
une buphtalmie.
Le traitement relève de la chirurgie par goniotomie
(ablation des reliquats mésenchymateux de l'AIC), trabéculectomie
ou sclérotomie profonde. Dans la forme très frustre et
débutante, un traitement hypotonisant par un collyre bêtabloquant
très faiblement dosé peut être envisagé
[76].
Figure 6: Glaucome congénital
[4]
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