Paragraphe 2- L'intégration continue de nouveaux
paradigmes dans la notion de sécurité humaine
La sécurité humaine vise la protection des
individus contre des menaces violentes ou non. Elle est réalisée
dans une situation ou un état caractérisé par l'absence
d'atteintes aux droits fondamentaux des personnes. Elle apparaît ainsi
comme un principe de l'idéal, plein de multiples préalables et
signifiant plusieurs choses à la fois. En effet, elle couvre à
l'heure actuelle plusieurs domaines, de la sécurité personnelle
à la sécurité des communautés en passant par la
recherche du bien être économique, et de la sécurité
environnementale. En plus de cela il est à tout moment possible d'y
insérer un élément nouveau (A) auquel on rattachera
à coup sûr les caractéristiques attribuées à
la notion (B).
A- Le contenu extensible de la sécurité
humaine
La sécurité humaine est définie
négativement par un ensemble de faits pouvant constituer des menaces
pour elle. La recherche des solutions à ces menaces constituent la
seconde composante de la sécurité, à savoir la
prémunition contre le besoin (individuel) qui a de tout temps
été écartée au profit de la libération de la
peur (collective), première composante. Le rapport 1994 sur le
Développement humain cite sept (7) éléments de la
sécurité humaine : La sécurité personnelle, la
sécurité économique, la sécurité
alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité
environnementale, la sécurité politique et la
sécurité de la communauté.
- La sécurité personnelle :
Définie par le PNUD comme la sécurité de tout
individu contre la violence physique, la sécurité personnelle est
le premier aspect de la sécurité humaine. Les menaces à la
sécurité personnelle couvrent un vaste domaine : violences
étatique, conflits armés, violences urbaines, conjugales,
sexuelles, mauvais traitements, les violences faites aux femmes et aux enfants,
les accidents de circulation, les violences sur le lieu de travail, les
violences contre soi même. Cette liste est loin d'être exhaustive.
La sécurité personnelle signifie aussi que tout individu peut
demander et obtenir auprès des organes juridictionnels et non
juridictionnels des sanctions pour atteinte à son
intégrité physique. Plusieurs affaires relatives à la
sécurité personnelle ont fait l'objet de décisions des
organes internationaux et régionaux de protection des droits de la
personne. On peut citer à titre d'exemple l'affaire Rojas Garcia
contre l'Etat de Colombie dans laquelle le Comité des droits de
l'homme de l'ONU qualifie de contraire à la dignité humaine
l'immixtion illégale et arbitraire, même en cas de perquisition
par des autorités légale dans le domicile d'un individu sans
respect des considération élémentaires de droits
fondamentaux et de dignité humaine49(*).
- La sécurité
économique : La sécurité économique
confère un sentiment de bien être ; elle suppose la garantie
d'un revenu minimum provenant soit d'un travail rémunéré,
soit d'un système de protection financé par les pouvoirs publics.
Elle correspond à un niveau de vie assuré et stable qui fournit
aux individus et aux familles le niveau nécessaire de ressource pour
pouvoir participer économiquement, politiquement, socialement,
culturellement et avec dignité à la vie de leur
communauté. Elle va au delà de la simple survie physique et
comprend un niveau de ressource qui favorise l'insertion sociale de
tous50(*). D'après
l'OIT, la sécurité économique favoriserait la
tolérance et serait bénéfique pour la croissance et la
stabilité sociales51(*). Ses manifestations varient selon qu'on se trouve
dans un pays riche ou dans un pays pauvre. Dans le premier, il est de plus en
plus difficile de trouver un emploi, le taux de chômage des jeunes est
revu à la hausse. Dans le second par contre, le taux de chômage
est très élevé ; il dépasse les 10% de la
population active et c'est l'une des causes profondes de la montée des
tensions politiques et des violences ethniques dans plusieurs pays. Le secteur
informel représente généralement la source d'emploi la
plus élevée, même si les conditions de travail y sont
précaires. En outre, l'insécurité des revenus, la question
de l'emploi des handicapés, l'absence de système de
sécurité sociale sont autant de maux qui la minent. Dans un
langage plus pratique, la sécurité économique s'entend de
la volonté générale d'éradication de la
pauvreté. Or, à l'heure actuelle, seul ¼ de la population
mondiale peut prétendre bénéficier d'une telle
sécurité économique.
- La sécurité alimentaire :
La sécurité alimentaire existe lorsque tous les
êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et
économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur
permettant de subvenir à leurs besoins énergétique et
leurs préférences alimentaires52(*). Elle implique l'aptitude des pays à assurer
un approvisionnement suffisant en nourriture. La recherche de la
sécurité alimentaire est complexe car elle dépend
étroitement de la situation économique et géographique
d'un pays, du niveau et de la stabilité des revenus. Elle dépend
aussi de considérations politiques telles que la paix, l'existence et la
sécurité des transports. L'insécurité alimentaire
peut être à l'origine de conflit comme cela été le
cas au Darfour. Dans les pays à l'abri de la pénurie et de la
malnutrition, on recherche une couverture qualitative et quantitative des
besoins élémentaires en aliments et eau. Depuis une vingtaine
d'années, des crises alimentaires successives ont alarmé les
consommateurs et incité les pouvoirs publics à mettre en oeuvre
des dispositifs de contrôle de la sécurité alimentaire. Sur
le plan international, la Commission sur la sécurité humaine a
elle aussi pris des engagements, même s'ils n'ont pas force juridique
contraignante et obligatoire. Dans une Déclaration sur la
Sécurité Alimentaire53(*), les membres du Réseau de la
Sécurité humaine ont reconnu la place primordiale qui doit
être accordée à la question alimentaire. Car le droit
à une alimentation suffisante est partie intégrante des droits
humains dont il est indissociable dans le cadre du renforcement de la
sécurité humaine. La sécurité alimentaire constitue
donc un défi prioritaire pour la sécurité humaine.
- La sécurité sanitaire :
Garantir l'accès de tous aux services de santé tel est
le but de la sécurité sanitaire. Elle se définie comme un
ensemble de procédures destinées à prévenir ou
contrôler les risques susceptibles d'altérer la santé
physique et psychique, individuelle ou collective54(*). Forgée dans les
années 1990 après les crises successives qui ont affecté
différents systèmes de santé publique, la
sécurité sanitaire vise la réduction des
conséquences dommageables pour la santé humaine liées
à des risques divers. Les changements apportés aux
méthodes de culture et d'élevage peuvent avoir des
conséquences sur la santé des êtres humains comme
l'illustre la propagation du VIH/SIDA, la maladie de la vache folle ou encore
la grippe aviaire. La sécurité humaine appelle à la
précaution en face des risques sanitaires de différents produits,
de la prolifération des gaz radioactif due à l'exploitation et
la transformation de certaines substances chimiques à la consommation
d'aliment susceptible de nuire à la santé55(*). Il s'avère urgent,
pour l'accès aux systèmes de santé, aux ressources
dégagées par les Etats et la communauté internationale,
d'étendre à la santé les principes de gestion publique,
d'universalité, d'intégralité, de
tranférabilité et d'accessibilité à tous.
- La sécurité de l'environnement :
C'est un des aspects de la sécurité humaine et des
droits de l'homme qui a connu une expansion des plus importantes dans les deux
dernières décennies. Juste après la guerre froide, les
questions environnementales ont été reliées à la
sécurité. Le phénomène du changement climatique
représente une profonde menace et est reconnu comme tel par la
communauté internationale. On peut citer à titre d'exemple les
dommages causés par les navires pétroliers comme l'Erika et le
Prestige en Europe, par le Tsunami en Asie et l'ouragan katrina aux Etats Unis.
Mais l'argument le plus convaincant a été, pour Simon DALBY, les
risques évidents de la violence technologique envers toutes les victimes
potentielles d'une guerre nucléaire. En outre, « les menaces
futures pour la sécurité des pays nantis de
l'hémisphère Nord viennent de la famine et de la chute des
sociétés du Sud causées par la dégradation de
l'environnement et entraînant à leur tour une migration massive
des réfugiés environnementaux »56(*). La recherche d'une
sécurité environnementale va de pair avec l'idée de
développement durable qui se soucie des besoins relatifs en
environnement des générations présentes et
futures57(*). La CIJ a eu
maintes fois à rappeler l'importance des questions environnementales
pour les individus et pour les communautés. Dans son arrêt du 25
septembre 1997, affaire relative au projet Gabcikovo/Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie) « La Cour rappellera qu'elle a eu
récemment l'occasion de souligner dans les termes suivants toute
l'importance que le respect de l'environnement revêt à son avis,
non seulement pour les Etats, mais aussi pour l'ensemble du genre
humain... »58(*)
. La sécurité environnementale pourrait s'assimiler par
déduction au droit à un environnement sain.
- La sécurité de la
communauté : La communauté sous son acception
traditionnelle peut être victime ou perpétrer de graves pratiques
oppressives. Cela s'avère le plus souvent pour les communautés
ethniques et religieuses qui ont été victimes et auteurs
d'atteintes graves et même d'extermination. Pour éviter la
marginalisation, les minorités s'efforcent souvent plus vigoureusement
de préserver et protéger leur identité. Le durcissement
des forces antagonistes -assimilation d'un côté et
préservation d'une identité minoritaire de l'autre- peut
engendrer une intolérance accrue et dans le pire des cas, un conflit
armé ethnique59(*).
Lorsque les Etats sont dépourvus d'éléments de base
nécessaires pour protéger le droit des minorités ou que
les gouvernements encouragent activement l'intolérance ou l'exploitation
des groupes minoritaires, une atmosphère lourde de conflit s'installe.
Au cours des dix dernières années seulement, les conflits
ethniques ont durement éprouvé une poignée de pays comme
le Rwanda et le Burundi, l'ex-République de Yougoslavie, le Soudan et,
plus récemment, l'Indonésie, le Timor oriental et les
îles Fidji.
- La sécurité politique :
La sécurité politique semble étroitement
liée à l'expression des idées et des opinions, au respect
des libertés et droits fondamentaux. Pour qu'il y ait
sécurité politique, il faut que soient appliqués les
principes de bonne gouvernance que l'on doit retrouver dans un Etat de droit.
Si la majorité des Etats du monde se reconnaissent comme Etat
démocratique, bon nombre d'entre eux tardent à appliquer et
à respecter les principes d'un Etat de droit. Les arrestations
arbitraires, les censures, et la répression politique sont encore
monnaie courante dans plusieurs pays, en particulier les pays du tiers monde et
notamment ceux de l'Afrique subsaharienne.
Au regard de toutes ses composantes, le contenu de la
sécurité humaine paraît un peu surfait ainsi que les
caractéristiques qui lui sont attribuées, ce qui lui vaut de
sérieuses critiques.
B- Les caractéristiques attribuées
à la « sécurité humaine ».
Le Rapport du PNUD de 1994 donne à la
sécurité humaine quatre caractéristiques
essentielles : axée sur les individus, elle se veut universelle,
préventive, et ses composantes sont interdépendantes.
- La sécurité humaine est axée
sur l'individu : L'objet de la sécurité humaine est
entièrement et uniquement l'individu. Mais cela ne constitue pas une
innovation car l'individu est au centre de toutes les actions des droits de
l'homme. Cette position de l'individu s'explique par le fait que la
mondialisation le place inconditionnellement au coeur des affaires mondiales et
même nationales. Sa sécurité est devenue « un
nouvel étalon de mesure de la sécurité mondiale et imprime
une nouvelle impulsion à l'action internationale »60(*). Les futures guerres entre
États et dans les Etats feront un nombre effarant de victimes parmi les
civils ; les dégradations écologiques comme les menaces pour
la santé et les dangers dus à l'ouverture des frontières
ont des conséquences désastreuses sur la sécurité
des individus en général et des plus vulnérables en
particulier.
- L'universalité du désir de
sécurité humaine : L'universalité de la
sécurité humaine signifie, selon le Rapport du PNUD, que le
désir de sécurité humaine est partagé par tous,
dans les pays riches comme dans les pays pauvres car les menaces sont
ressenties par tous, même si c'est à des niveaux variés
selon les régions du monde. Cette caractéristique n'est point
discutable si on se limite au niveau du psychique, du
« désir » de sécurité. Mais si
l'on l'analyse plus concrètement, on peut envisager une
universalité dans son écriture, pas dans son contenu. En effet,
elle couvre un domaine beaucoup trop large pour avoir le minimum
d'unicité requise pour être universelle.
- Le caractère préventif de la
notion : La sécurité humaine met l'accent davantage
sur la nécessité de penser à des actions
préventives : prévention des conflits et situations
menaçant la sécurité et ressources à y consacrer.
Cela est valable le plus souvent dans les situations de violence de masse. La
sécurité humaine suppose donc un redoublement des efforts fournis
pour la prévention des conflits dans le monde et ainsi éviter des
souffrances humaines. Cette nouvelle approche de la sécurité
exige d'aller à la source des conflits et des tensions et de prendre des
mesures préventives comme par exemple la consolidation de la paix avant
l'éclatement d'un conflit ou encore l'égale répartition
des ressources alimentaires pour éviter les situations de famine. En
effet, il existe des mécanismes d'alerte rapide aux conflits et
situations de crise malgré que la sécurité humaine soit
invoquée bien après leur éclatement. Cela peut s'expliquer
par le fait qu'il est difficile aux Etats de mobiliser des ressources avant que
n'apparaissent des pertes. On peut aussi relever que les ressources
internationales, notamment celles de l'ONU ne sont pas mobilisées de
façon proactive. La sécurité humaine comme
stratégie préventive implique des dilemmes moraux et
opérationnels ainsi que des questions de compromis à
régler. Les populations, lorsqu'elles subissent une quelconque pression,
font ce qu'elles ont à faire ou peuvent faire pour survivre et pour
changer leurs conditions sociales. Il arrive souvent que leurs actions soient
en contradiction avec les principes de sécurité humaine.
« Si l'on prend par exemple les efforts déployés pour
faire interdire la conscription d'enfants et les armes de petits calibres,
aurions-nous appliqué le principe aux lycéens armés de
Soweto ? »61(*).
- L'interdépendance de ses composantes :
Les sept composantes de la sécurité humaine forment un
tout et l'atteinte à une des composantes a une incidence énorme
sur une autre ou sur tous les aspects. En outre, quelque soit l'endroit du
monde où la sécurité des individus est compromise, les
répercussions de cette violation risquent de s'étendre à
tous les autres pays (ou du moins des pays frontaliers). Des bouleversements de
quelque ordre que ce soit dans une partie du monde peuvent rapidement provoquer
des crises dans une autre, entraînant des conséquences
désastreuses pour la sécurité de tous et
particulièrement des groupes les plus vulnérables que sont les
femmes et les enfants. L'objectif de la sécurité humaine est de
tirer la sonnette d'alarme sur l'impact transfrontière des menaces aux
individus.
A y regarder de près, ces caractéristiques se
rapprochent étroitement de celles des droits de l'homme. Malgré
la polémique qui a été engendré sur sa
généralité, il ne fait plus aucun doute que les droits de
l'homme sont universels, absolus, imprescriptibles et indérogeables.
Cette assimilation qui ne dit pas son nom crée la polémique
autour de la notion de sécurité humaine.
* 49 Communication n°
687/1996, constatations adoptées le 3 avril 2001, 71e session
du Comité des droits de l'homme.
* 50Document d'information sur
la sécurité économique,
www.ccsd.ca/francais/pubs/20030)
* 51
www.ilo.org/public/french/bureau.
* 52 Sommet alimentaire
mondial, Rome, 13-17 novembre 1996.
* 53 Lors de la 6ème
Conférence ministérielle du Réseau de la
Sécurité Humaine à Bamako au Mali.
* 54
www.sécurité-sanitaire.org
* 55 On peut voir à cet
effet le jugement rendu par l'organe de règlement des différents
de l'OMC le 12 juillet 1999, relatif à l'affaire du Boeuf aux
hormones. Cet organe reconnaît `'le droit des membres (de la
communauté européenne) à établir leur niveau
approprié de protection lequel peut être plus élevé
que celui qu'implique les normes, directives et recommandations internationales
existantes `'. §5
* 56 Simon DALBY, « Les
changements environnementaux et la sécurité des personnes:
repenser le contexte du développement durable»,
www.isuma.net, consulté le 30
août 2005
* 57 Voir principe 3 de la
Déclaration de Rio selon lequel «le droit au développement
durable doit être réalisé de façon à
satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et
à l'environnement des générations présentes et
futures».
* 58 Cf. § 140 de
l'arrêt Gabcikovo /Nagymaros du 25 septembre 1997.
* 59 Etats multiethniques et
protection des droits des minorités, Conférence mondiale sur le
racisme, Durban, Afrique du Sud, 1-7 août 2001,
www.un.org/french/WCAR/e-kit/minority.htm.
* 60Lloyd Axworthy ,Ministre
des Affaires étrangères, Ottawa, Canada, discours du 29 avril
1999 «La sécurité humaine : la sécurité des
individus dans un monde en mutation» ,
www.humansecurity.gc.ca/safety_changingworld-fr.asp
* 61 Barbara ARNEIL et Al,
«Le changement de paradigme dans la sécurité humaine.
Nouveaux regards sur la politique étrangère du Canada»,
Centre canadien pour le développement de la politique
étrangère, University of British Columbia, 18 juin 1999,
http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection/E2-409-1999F.pdf. A titre de rappel,
Lorsque les lycéens de Soweto manifestèrent au mois de juin 1976
réclamant de meilleures conditions pour mener leurs études et
refusant la dernière mesure prise pour renforcer le "Bantu Education Act
", la police sud africaine répliqua en utilisant du gaz
lacrymogène et en tirant à balles réelles. Des dizaines de
lycéens sans défense furent tués ce jour, et des centaines
d'autres personnes lors des émeutes qui éclatèrent par la
suite à Soweto et dans le reste du pays pendant toute l'année
1976. Ces événements marquèrent un tournant dans la lutte
contre le régime raciste sud africain.
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