L'utilité chez Hegel et Heidegger( Télécharger le fichier original )par Christophe Premat Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998 |
La notion d'utilité reste prise dans un ricochet entre le plan ontique et le plan ontologique chez HeideggerC'est grâce à des tâtonnements phénoménologiques qu'Heidegger arrive à nous éclairer sur le phénomène de l'utilité. L'utilité est un processus de réduction phénoménale en ce sens que le phénomène est réduit à une immédiateté sensible : je regarde la chose non pas en tant que chose mais parce qu'elle est utile pour moi ; or, jamais je ne m'interroge sur l'essence de cette utilité. analyse de la structure ontologique de l'utilité : l'ustensilité Heidegger, dans son ouvrage Être et Temps, se propose de réinterroger l'être, non plus à partir de l'étant mais à partir de l'être lui-même. Or l'être-là est une des possibilités de l'être, et comme l'être est ses possibilités, étudier la constitution existentiale permettrait de nous éclairer un pan de l'être, ou plutôt un lambris d'être. La pensée de Heidegger est une pensée qui découvre le sens des choses, le recouvre légèrement, y revient et l'éclaire sous un nouvel angle : c'est une pensée qui travaille de très près le phénomène. Pour étudier cet être-là, il faut d'abord voir comment il se donne dans l'expérience. Cet être-là qui est un être particulier, Heidegger le nomme Dasein, être-là dans le monde, le là ayant non seulement une valeur spatiale mais surtout ontologique : cet être-là est la manière humaine et concrète d'exister. Il faut s'intéresser aux préoccupations (Besorgen) immédiates du Dasein car la préoccupation montre comment l'homme est en premier lieu : il est pratique avant d'être spéculatif. Cette vie pratique consiste dans l'usage des choses, et cet usage est d'abord utilitaire. L'existant le plus proche de nous (das zunächste Zuhandene) est le Zeug, l'outil, l'ustensile, l'instrument. La chose n'apparaît à l'être-là qu'à travers l'ustensile dont elle est un mode dégradé. Notre compréhension de l'ustensile ne le dévoile que dans l'usage : l'outil est l'étant que rencontre ma préoccupation. Ainsi se dégagent progressivement divers modes d'être, divers types d'existants : celui de l'existant-chose (Vorhandensein), celui de l'existant-outil (Zuhandensein), celui de l'homme (Dasein). La référence anthropologique est essentielle. En effet, l'étant devant-la-main (Das Vorhandene) est conforme à son sens puisqu'il devient devant la main (Vor die Hand ), ce pourquoi il était un étant maniable : il est référé à un être-là ayant des mains, l'homme. Tous les ustensiles que l'homme rencontre ou peut rencontrer, peuvent se déterminer à partir d'une structure universelle : l'ustensilité (die Zeughaftigkeit) ou l'outilité suivant les traductions. L'ustensilité est l'analyse de la constitution de «l'outil de l'outil ».10(*) L'utilité est pour Heidegger le premier mode dérivé de cette ustensilité, elle est ce qui caractérise le «bon-pour », elle a donc une finalité ou plutôt elle est cette finalité. Elle est l'être de tous les étants ustensiles dérivés de l'ustensilité, elle appartient au plan ontique(le plan des étants) mais elle reste enracinée dans l'ustensilité ou plutôt elle se résorbe dans celle-ci. On assiste à un va-et-vient entre le plan ontologique(le plan de l'être) et le plan ontique et l'utilité, de par son lien à l'ustensilité, semble naviguer entre les deux. Elle ne se réduit pas à un pur utiliser ni à une utilisation, elle n'est pas un étant vulgaire. Elle est une première voie qui peut nous voiler l'accès aux choses comme nous le révéler : " l'étant phénoménologiquement préthématique, qui est donc ici la chose dont on use ou qui se trouve en fabrication, devient accessible en se plaçant dans cette préoccupation. ».11(*) L'utilité se présente à nous de manière préthématique et donc encore athématique puisque c'est la réflexion phénoménologique qui va révéler ce premier rapport immédiat. Le premier usage d'une chose est utilitaire et s'enracine dans l'ustensilité c'est-à-dire le mode d'être de l'être-là. Il faut analyser les structures de notre rapport au monde et dans ce rapport au monde, le rapport aux choses du monde, aux pragmata. Ces pragmata sont les choses qui focalisent notre préoccupation mondaine immédiate. Si Heidegger évoque les pragmata, ce n'est pas pour effectuer un retour gratuit aux Grecs, mais c'est pour définir plus précisément l'être de l'outil. Les pragmata sont les choses en tant qu'elles ont un lien fondamental à une praxis, en tant qu'elles sont susceptibles d'intervenir dans l'action. * 10 Martin HEIDEGGER SuZ, Trad. Franç. Rudolf BOEHM et Alphonse DE WAELHENS, éditions Gallimard, Paris, 1964, p.92. * 11 Ibid.p.91 |
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