La liberté du sujet éthique chez Kant et Fichte( Télécharger le fichier original )par Christophe Premat Université Paris I - DEA d'Histoire de la Philosophie 2000 |
c) La liberté a un langage.Si la nation allemande n'est pas encore constituée en entité politique autonome et reconnue comme telle, alors son unité ne peut être faite que de deux façons, par sa langue et sa race, l'adéquation entre les deux achevant l'enracinement culturel de la liberté humaine. La langue est ce qui fait exister la réalité spirituelle du peuple et vivifie son élément éthique car sans la langue, le peuple et l'individu n'ont plus de racines, leur liberté devient illusoire parce que sans plan et sans armature. « Car les hommes sont formés par la langue, plus que la langue ne l'est par les hommes. »39(*) La langue est nécessaire pour une coordination de l'intersubjectivité éthique, car la langue est avant tout une mise en rapport entre une culture spirituelle et une culture sensible. « c'est, en effet, grâce à cette correspondance que nous sommes à même de désigner par le langage la place de l'organe sensible dans l'organe suprasensible. Sous ce rapport, la langue ne peut rien de plus ; elle donne une image sensible du suprasensible »40(*). La langue devient l'instrument de désignation symbolique de la réalité spirituelle du peuple, elle est l'organe médiateur entre la vie spirituelle du peuple et sa vie sensible, elle exprime le plus haut degré de liberté de l'individu et est ce qui signifie et vise l'élément éthique constitutif de la réalité spirituelle du peuple. En tant qu'elle est un rapport, elle ne peut être qu'une, car le suprasensible ne peut se dire de multiples façons. « Cette partie suprasensible contient les symboles qui synthétisent en unité parfaite l'ensemble de la vie nationale, matérielle et spirituelle, telle qu'elle est réalisée dans la langue ; et elle exprime alors une notion qui, loin d'être arbitraire, dérive nécessairement de toute la vie passée de la nation, de sorte qu'en remontant dans le passé il devient possible à un oeil exercé de reconstituer par là toute l'histoire de la civilisation du peuple. »41(*) La langue est le fondement de l'unité nationale, car c'est elle qui réalise le processus de formation d'un peuple, elle n'est pas informée par les individus mais les façonne, les situe concrètement. La liberté, qui fonde l'adhésion à une nation n'est pas une liberté métaphysique abstraite, elle est au contraire une liberté en situation qui doit s'inscrire dans une tradition et une culture pour lesquelles les valeurs spirituelles ont un sens. La réalité suprasensible que la langue exprime n'est autre que celle de l'universalité de la loi morale et donc de la manifestation de la liberté, car la liberté n'est pas un phénomène sensible mais possède un caractère nouménal. Ne pas faire advenir cette nouménalité en ne l'exprimant pas, c'est s'en éloigner définitivement. La langue est véritablement l'organe de la liberté, le terme « organe » revenant très souvent chez Fichte, notamment dans La destination de l'homme et les Discours à la Nation allemande. « Le brouillard qui m'aveuglait se dissipe à mes yeux. Je reçois un nouvel organe, et c'est, en lui, un monde nouveau qui s'ouvre à moi. Il s'ouvre à moi exclusivement par le commandement de la raison et ne se rattache en mon esprit qu'à ce commandement. »42(*) L'organe permet l'ouverture à un nouveau monde, il est un accès essentiel parce qu'il permet de nommer ce qui ne peut être nommé, à savoir la réalité intelligible. Cet organe n'est pas une partie mais une articulation entre deux mondes dont la cohésion donne un sens éternel à l'existence et une destination véritable. Il est l'expression de la conscience morale parce que la conscience morale s'incarne dans une proximité vocale, celle qui me prédispose à autrui en m'inculquant les principes éthiques, c'est-à-dire celle qui détermine mon être comme activité d'un devoir-être. Or, le sujet réel, c'est le sujet éthique, non pas dans le sens où le sujet est pour l'autre, mais dans le sens où le sujet éthique est celui qui se détermine suivant le devoir-être. Le devoir-être constitue la table des concepts de la liberté, Fichte redéfinissant une génétique des concepts : « je m'attribue une force réelle, efficace, la force de produire un être, qui est tout autre chose que la simple faculté des concepts. Ces concepts, que l'on appelle concepts de fins, ne doivent pas l'être à l'instar des concepts de la connaissance, des images reproduisant après coup un donné, mais plutôt des images préfigurant ce qui doit être produit. »43(*) La destination de l'homme n'est pas de savoir ou d'agir mais d'agir selon un savoir et ce à l'aide de concepts de fin bien définis. Parce que la langue est l'organe de la liberté, il existe un langage éthique. * 39 Ibid., p.109. * 40 Ibid., p.112. * 41 Ibid., p.119. * 42 J.G. FICHTE, La destination de l'homme, Trad. J-C GODDARD, éditions GF, Paris, 1995, p.186. * 43 Ibid., p.154. |
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