La liberté du sujet éthique chez Kant et Fichte( Télécharger le fichier original )par Christophe Premat Université Paris I - DEA d'Histoire de la Philosophie 2000 |
Chapitre 6 : Transfiguration de l'intersubjectivité en interpersonnalité chez Fichte.1) Le monde des êtres libres dépasse l'impérativité catégorique formelle : mise en présence de l'Absolu.a) Liberté du sujet éthique : manifestation de l'image de l'Absolu.En posant le suprasensible comme fin de la raison, nous sommes passés du côté de l'objet, qui n'est plus monde mais volonté divine produisant et ordonnant immédiatement ce suprasensible. La moralité nous a alors conduit au point de vue de la religion, où Dieu, l'objet absolu, détermine le sujet. C'est à nous qu'il revient de travailler à produire ici-bas « une grande communauté, Une, libre et morale. »119(*) qui soit à l'image de cette volonté. L'objet absolu ne détermine plus simplement le sujet mais bien le rapport de ce sujet à l'objet. Dieu est acte, et la philosophie de la religion ne peut nier l'acte qu'elle pose. Elle doit faire retour de la position de l'acte vers l'activité pure en laquelle le sujet agissant se trouve enveloppé. Le dépassement de la moralité implique la position d'une philosophie de la religion qui substantifie le contenu moral, sachant que la philosophie de la religion n'est pas la religion elle-même. La philosophie de la religion traite du postulat de la philosophie pratique, elle est l'interprétation de la raison à la fin de la moralité, lorsqu'un ordre moral du monde s'est constitué. Elle correspond à l'implantation d'une moralité supérieure qui n'est pas une loi ordonnatrice, mais une loi créatrice d'une réalité spirituelle. C'est une morale de l'aspiration qui s'oppose à une morale de l'obligation, qui régnait au sein du monde juridique. L'éthicité conduit le sujet vers une morale pleinement créatrice où il y a une saisie de plus en plus appropriée de l'acte comme acte pur. Ce n'est pas dans un agir individuel mais universel qu'on appréhende cette activité pure. Le sujet fichtéen est un sujet dialectique, il s'appréhende comme fini et comme Moi pratique, visant et se visant lui-même, c'est-à-dire le Moi Absolu. Le sujet n'est pas le Moi absolu, parce que ce dernier correspond à un acte pur qui échappe fondamentalement à la conscience. L'éthicité nous met en présence d'une réalité spirituelle nouvelle : « la liberté, au sens d'une hésitation flottante entre plusieurs choses possibles, n'est pas la vie, mais seulement un préliminaire ou une introduction à la vie réelle. Il faut bien, à un moment donné, s'arracher à l'indécision pour se décider et agir, et c'est alors que commence la vie. »120(*) Il faut passer d'une liberté de choix (on retrouve le flottement propre à l'imagination, où plusieurs avenirs possibles sont imaginés) à une vie selon la liberté, une vie spirituelle où l'éthicité est accomplie. La vie selon la moralité est une vie à l'image de l'Absolu, et c'est ici que nous saisissons le centre génétique de l'élaboration définitive de l'éthique de Fichte. La décision volontaire pour cette vie, nous met en contact avec l'essence divine, car « c'est l'essence même qui seule existe et peut exister, qui ne doit son existence à rien d'autre, c'est l'essence divine qui se manifeste dans le phénoménal et se rend directement visible ; en conférant au phénomène un caractère originel et libre, elle s'impose à la foi. »121(*) L'éthicité nous conduit vers une vie rigoureusement autonome, cette autonomie étant l'image de l'Absolu qui n'a besoin de rien pour subsister. Cette vie est éternelle, elle est une activité du devoir-être, tournée éternellement vers un horizon qu'elle ne peut atteindre. La vie divine « ne se manifeste [...] jamais comme un être existant et donné, mais comme quelque chose qui doit être et qui, une fois devenu ce qu'il doit être, se manifestera de nouveau comme devant être éternellement, si bien que cette vie divine échappe toujours à la mort de l'être déterminé. »122(*) La vie divine n'est pas une vie indéterminée mais une vie qui se détermine toujours plus, la détermination étant toujours à venir et c'est pour cela qu'elle fonde une espérance. * 119 FICHTE, La destination de l'homme, Trad. Jean-Christophe GODDARD, éditions GF, Paris, 1995, p.215. * 120 FICHTE, Discours à la Nation allemande, Trad. S.JANKÉLÉVITCH, éditions Aubier, Paris, 1981, p.159. * 121 Ibid., p.161. * 122 Ibid., p.100-101. |
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