2. Les causes exogènes, une histoire de mauvaise
ingérence.
Les causes exogènesreprésententtous les facteurs
d'accumulation de la dette ne résultant pas de la volonté des
débiteurs. Il faut souligner que le rapport du FMI, déjà
cité, les aborde, certes, mais ne les cite que comme des accidents
auxquels les pays d'Afrique n'ont pas su (et non «pu ») s'adapter.
Pour D. Millet et E. Toussaint15, quatre acteurs se partagent
pourtant la responsabilité de l'endettement excessif. Il s'agit des
banques privées, des Etats du Nord, de la Banque mondiale et des
gouvernements du Sud. La responsabilité au Sud a déjà
été démontrée. Il convient de raj outer clairement
à ces quatre intervenants deux autres éléments: le
contexte géopolitique et les instabilités internationales,
également identifiés par les auteurs.
14 Le Zaïre est aujourd'hui connu sous le nom de
République démocratique du Congo.
15 Millet D, et Toussaint E., 2002, op cit, p.47 à 62.
Le contexte géopolitique à partir de 1945 est
à la Guerre froide entre les Etats-Unis et l'URSS, qui tentent tous deux
d'élargir leur zone d'influence. Le mouvement des indépendances
en Afrique débute dès 1950. Certains pays commencent alors
à affirmer leur volonté de mettre en oeuvre un
développement propre (comme l'Egypte ou le Ghana).
C'est dans ce contexte que la Banque mondiale intervient pour
d'un côté contrecarrer l'influence soviétique et de
l'autre, ramener les nouveaux indépendants sur le chemin de la raison
dominante. La Banque mène, de fait, une double stratégie dans la
mesure où les prêts seront utilisés aussi bien pour
soutenir les alliés que pour soumettre les récalcitrants. Pour
renforcer la zone d'influence américaine, la Banque soutient les
alliés stratégiques des Etats-Unis (dont Mobutu Sese Seko au
Zaïre). Pour ramener de son côté les
hétérodoxes, elle accorde des prêts soumis à
conditions, leur affirmant que la meilleure stratégie pour rembourser
leur dette reste le développement des exportations de matières
premières, s'immisçant par là même dans la
définition des politiques économiques. «Dans de nombreux
cas, les prêts étaient destinés à corrompre des
gouvernements pendant la guerre froide »16. La
Banque mondiale a accordé davantage de prêts en six ans
(1968-1973) qu'en vingt-quatre ans (1945-1968). Elle a incité les pays
pauvres à emprunter massivement pour financer la promotion de leurs
exportations et les connecter plus étroitement au marché mondial.
Ces prêts ont alors constitué le berceau de la partie
multilatérale de la dett e extérieure publique, devenue
majoritaire avec les plans d'ajustement structurels (voir graphique 4 en annexe
p.1 68).
En parallèle, après la Seconde Guerre mondiale,
le plan Marshall a fait des pays européens des partenaires
privilégiés pour les EtatsUnis. Constatant que la circulation de
dollars sur la scène mondiale devenait dangereuse, les autorités
américaines ont favorisé l'installation des entreprises à
l'étranger pour éviter le retour de dollar en excès,
synonyme de forte inflation. De fait, dès 1960, les banques commerciales
étrangères regorgent d'« eurodollars »17 et
vont les prêter à des conditions avantageuses, notamment aux pays
africains nouvellement indépendants qui souhaitent se développer.
Ces banques regarderont très peu la destination de ces fonds, la
rentabilité des projets et les risques pris par les débiteurs. En
outre, les emprunteurs ont souvent d'autres motivations que le
développement de leur économie ou le bien-être de
16 Stiglitz J. E., 7 mars 2000, in L'Autre mondialisation, Arte.
Extrait tiré de Millet D. et Toussaint E., 2002, id., p51.
17Avoirs en dollars déposés dans des
banques extérieures aux Etats-Unis, mais dans la mesure où il ne
s'agit pas seulement de banques européenne, certains préconisent
de parler de «xénodollars ».
leur population (cf. supra). Par la suite, avec la
flambée du prix du pétrole en 1973, dénommé premier
choc pétrolier, les pays producteurs de pétrole vont à
leur tour placer ces pétrodollars dans les banques occidentales. De
nouveaux prêts à bas taux (également favorisés par
une forte inflation) sont alors accordés. Ces prêts
accordés par des institutions privées mais également par
les institutions multilatérales, évoluant dans un environnement
concurrentiel, sans regard sur la destination des fonds et sans estimation de
la solvabilité des emprunteurs, ont constitué la partie
privée de la dette extérieure publique. Néanmoins, la part
privée n'est pas la plus importante, mais bien qu'elle ait
diminué depuis (voir graphique 3 en annexe p.1 67), son origine soit
douteuse.
La partie bilatérale est constituée, à
cette époque, des prêts des Etats du Nord. Il s'agit de
prêts d'Etat à Etat et, dans la présente analyse, d'Etat du
Nord à Etat du Sud. Touchés par la récession mondiale aux
lendemains du premier choc pétrolier, les Etats occidentaux ont
manqué de débouchés pour leurs exportations. Ils ont alors
pratiqué l'aide liée, consistant à prêter une somme
à un pays, pauvre de surcroît, afin qu'il achète les
marchandises de son créancier. Cette aide a souvent pris la forme de
crédits d'exportation. (pour le total des différentes part, voir
graphique 3 en annexe p.1 67)
L'explosion de la dette sera institutionnalisée peu de
temps après sous la conjonction de deux facteurs. D'une part, la
sévère hausse des taux d'intérêt
décidée unilatéralement par les Etats-Unis en 1979
s'explique par les très mauvaises performances à la fin des
années 1970 (forte inflation etvariation du cours du dollar) et les
échecs diplomatiques (Vietnam, Iran...). Un tournant ultralibéral
s'opère pour éradiquer la forte inflation, l'augmentation des
taux devant attirer l'épargne, interne aussi bien qu'internationale. Les
sommes exorbitantes bloquées sur les comptes calmeraient ainsi la
flambée des prix. Or, les taux pour les PED sont certes faibles mais
à taux variables et liés aux taux nord-américains et
anglais (menant également une politique monétaire
austère). De 4% en 1970, ils passent à 18% dans les
périodes fortes de la crise.
Et la dette triple dujour au lendemain. (voir tableau 1 en
annexe p.139).
D'autre part, pour rembourser leur dette, souvent
contractée en devises (autres monnaies que la monnaie locale), les pays
doivent produire encore davantage et encore exporter pour remplir leurs coffres
des réserves de devises nécessaires. Le fait qu'ils mettent tous
et en même temps de plus en plus de matières premières sur
le marché, alors même que la demande mondiale stagne, leur sera
fatal. Fatal parce qu'il s'agit
du domaine de spécialisation de ces pays. Or, le cours
des matières premières chute et les termes de
l'échange18 vont se dégrader durablement (voir
tableaux 5 et 6 en annexe p.143).
Et la dette devint insoutenable.
Les institutions financières internationales (IFI),
comme le montre le document de travail du FMI, n'ont voulu voir que la mauvaise
gestion faite par les débiteurs. Or, elles représentaient
à ce moment là des voies incontournables pour quiconque demandant
de l'aide. S'appuyant sur le consensus de Washington, elle accordait volontiers
cette aide, certes, mais à des conditions exhaustives et
onéreuses pour les peuples « ajustés ».
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