Le défi du désendettement soutenable en Afrique Subsaharienne: Au-delà de l'Initiative PPTE.( Télécharger le fichier original )par Claire Barraud Université Pierre Mendès France, Grenoble II - M2 recherche Politiques économiques et sociales 2006 |
2 Vers une bonne gouvernance sociale.«La bonne gouvernance sociale ou humaine se caractérise par trois dimensions: maîtrise, équité et responsabilité. Maîtrise car elle doit servir les intérêts des populations et se doit donc d'être participative. Equitable car elle a pour objectif de créer une société libre et égalitaire où l'égalité des chances est garantie à tout un chacun. Enfin responsable, car elle s'appuie sur des institutions et des structures qui doivent être transparentes et surtout qui doivent rendre des comptes aux populations »52. Dans le cadre des politiques de réendettement, ces trois critères sont essentiels et doivent forcer le respect. Tout investissement par l'emprunt doit être justifié démocratiquement avant de l'être économiquement ou financièrement. C'est l'acte démocratique qui entérinera l'emprunt sur la base des arguments économiques et sociaux présentés par le gouvernement. Les grands projets à la rentabilité douteuse, à l'instar des«éléphants blancs », doivent être proscrits. Les populations ont leur mot à dire dès lors que l'investissement qui demande un financement de grande ampleur n'est justifié que s'il participe effectivement à la croissance et au développement. Ces conditions valent pour l'emprunteur, bien sûr, mais aussi pour le créancier. S'il participe au financement d'un projet « inutile », il pourrait en effet voir sa créance annulée, ou rachetée à prix bradé par une des IFI, en cas de défaut du débiteur, sur décision du Tribunal international de la dette nouvellement institué. Les organisations non gouvernementales (ONG) pourraient éventuellement participer à la prise de décision. Néanmoins, l'influence qu'elles sont susceptibles d'exercer devra être régulée. Car beaucoup d'Etat, «dans [leur] volonté de désengagement dictée par les conditionnalités des plans d'ajustement structurel [(PAS) ont trop sou-vent abandonné] une partie de leur prérogatives aux [ONG] qui étaient financées par les institutions internationales »53. 52 Nguena O. J., 2005, op. cit., p. 91. 53 Id., p. 92. Pour mettre en oeuvre un tel processus démocratique, la société civile doit être reconstruite, la population, mieux impliquées et les pouvoirs entre l'Etat, la société civile et la population doivent être redéfinis dans un cadre institutionnel déconcentré et décentralisé. La société civile représente « le domaine de la vie sociale organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l'État »54. Elle peut être composée d'ONG, de syndicats, d'associations confessionnelles ou non, ou de fortes personnalités. Dans les pays africains, son influence doit être développée sainement, selon les principes de la participation décrits par la Banque mondiale (légitimité, représentativité et capacité, cf. chapitre 3). Cette promotion doit donc être érigée parmi les priorités du gouvernement s'il veut connaître la nature des besoins de son peuple. En outre, la société civile n'est pas là pour se substituer à l'Etat mais bien pour le compléter dans les domaines où il ne peut mener d'action efficace. L'implication directe des populations doit être constatée, après mise en oeuvre des pré-requis, à travers un suivi d'exécution, un suivi d'impact et un suivi participatif. Les pré-requis traduisent le renforcement des capacités des collectivités publiques, de l'administration, de la société civile, du secteur privé et des populations elles-mêmes. Le suivi d'exécution doit émaner de la tenue de réunions de concertation et d'échanges dans la plus grande transparence. Le suivi d'impact sera quant à lui réalisé grâce aux critères d'un tableau de bord social. Ce tableau doit définir et mesurer la pauvreté du pays. Il doit donc calculer le seuil de pauvreté, le niveau de revenu ou de consommation en deçà duquel un individu est considéré comme pauvre. La cohérence veut que ce seuil soit relatif au revenu médian du pays, mesuré notamment par le biais d'enquêtes. Ce premier indicateur est ensuite complété et comparé aux indicateurs internationaux que sont l'Indice de développement humain (IDH) et de pauvreté humaine (IPH, voire glossaire p.1 79). Il est alors possible de fixer un objectif par rapport aux résultats du tableau (écart entre le niveau de pauvreté constaté et le niveau à atteindre). Concernant le suivi participatif, «il a pour objet de prendre continuellement le pouls des populations afin de connaître leurs perceptions [par rapport] à l'évolution de leur situation »55. En dernier lieu, les modalités de participation doivent passer du global au local. La déconcentration consiste pour le pouvoir central à déléguer à un agent subordonné une partie de sa capacité de décision, 54 Définition proposé par Diamond L., http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_civile. 55 Id., p. 96. sans pour autant la lui céder. L'agent (subordonné) doit donc rendre des comptes au principal (le pouvoir central), et peut être sanctionné par ce dernier en cas de non respect du contrat56. Le problème à éviter est le conflit d'intérêt, dans lequel l'agent fait croire au principal qu'il est de bonne foi pendant que le principal émet des doutes sur la sincérité de l'agent. Des coûts de dédouanement (pour l'agent) et de contrôle (pour le principal) peuvent alors être élevés et préjudiciables aux populations, surtout dans la mesure où l'agent n'a pas à rendre de comptes à ces dernières. La décentralisation, en revanche, revient à confier le pouvoir de décision et d'exécution à une autorité autonome locale, laquelle devra cette fois se justifier devant les populations, mais pas au pouvoir central. Il faut alors impérativement éviter que cette modalité de partage ne favorise l'ascension vers le pouvoir des élites locales. Le maintien, le renforcement et la transparence de l'action démocratique sont donc de mise. Une troisième voie hybride peut être également empruntée ; la «déconcentralisation »57. Cette option combine les modalités des deux précédentes. L'Ouganda par exemple l'a adoptée en 1997, en instituant une délégation de pouvoirs à des conseils locaux élus avec habilitation à lever les impôts. Néanmoins dans ce cas, l'obligation de rendre des comptes aux populations doit être préservée (obligation pour l'instant trop souvent oubliée). Ces conditions se révèlent être le meilleur moyen de mettre en oeuvre un processus participatif effectif. Celui même qui manque cruellement à l'efficacité de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE) en termes d'application cohérente, efficiente et rapide du Document stratégique pour la réduction de la pauvreté (DSRP). 56 Référence faite àla théorie du Principal/agent (mandataire/exécutant) de Walsh C. 57 Nguena O. J., 2005, op. cit., p. 99. En définitive, fixer et atteindre un objectifd'endettement soutenable, quelle que soit l'échéance, relève sûrement plus de la volonté du créancier que de celle du débiteur. Il serait temps que les institutions financières internationales (IFI) le réalisent, effectivement. Car il ne suffit pas de prôner les vertus de l'internalisation du processus de croissance comme condition essentielle au désendettement. Il faut encore que les actes suivent. L'Afrique subsaharienne est le continent le plus pauvre et donc le plus endetté de ce monde. C'est aussi et de fait le continent le plus dépendant de l'aide extérieure, depuis très longtemps déjà. L'Afrique n'a jamais eu droit à l'autonomie de ses choix en matière de développement, même après sa décolonisation. Celle-ci ne s'est d'ailleurs pas traduite par une quelconque indépendance, mais bien par une nouvelle forme de colonisation, plus subtile cette fois, avec d'un côté les pays en guerre et (ou) sous dictature, et de l'autre, différentes formes de démocraties plus ou moins effectives selon le bon vouloir des bailleurs de fonds. Que ce soit vis-à-vis de l'intérieur ou de l'extérieur, les Africains ne sont pas plus libres aujourd'hui qu'hier. Surtout qu'en étant forcés de se spécialiser strictement dans les exportations de produits de base, la dépendance est vite devenue tout aussi économique. Il est impératif de le noter une bonne fois pour toutes, notamment dans les analyses du processus de surendettement extérieur. Car le processus d'endettement nécessite une interaction entre deux agents: un demandeur de fonds et un offreur de fonds. Quand l'un est dépendant de l'autre, le bilan doit en tenir compte, dans la mesure où c'est justement lui qui va préconiser les mesures de désendettement. Or, les plans d'ajustement structurel (PAS) ont totalement occulté certaines variables clé qui ont pesé dans les politiques d'endettement excessif en Afrique. Et ces toutes ces variables tenaient en l'occurrence à la culpabilité des créanciers, qu'ils soient multilatéraux, bilatéraux ou commerciaux. Car la mauvaise gouvernance économique interne, imprudente et incapable de s'adapter à la conjoncture internationale a, elle, très bien été relevée. C'est d'ailleurs sur elle que se sont concentrés tous les premiers travaux du FMI et de la Banque mondiale. C'est sur elle encore que l'action des PAS s'est focalisée. Car ces deux institutions financières internationales (IFI) ont simplement pensé que la gouvernance en question était celle effectuée par les Etats, quel que soit le pays. Ce qu'elles ont oublié, c'est qu'il leur incombait en priorité de réguler les marchés financiers internationaux et que leur mission, depuis le début de la crise de la dette en 1982, était de guider les choix économiques des pays en difficulté de paiement. En orientant les choix économiques, elles orientaient donc les sources et les destinations des financements. De fait, cette mauvaise gouvernance a donc aussi été la leur. Nier leur responsabilité a néanmoins permis une application to-tale du consensus de Washington, revenant globalement à lier les mains du gouvernement en matière économique et sociale. Les dix points de ce consensus ont ainsi formé les dix types de programmes à mettre en oeuvre dans le cadre de l'ajustement structurel. S'il s'agissait initialement d'une simple théorie faisant l'objet d'un relatif consensus dans une seule ville au monde, celle-ci a rapidement été appliquée à tous les pays en difficulté. Le diagnostic étant touj ours le même, l'ordonnance n'avaitjamais à être réécrite, et encore moins à être négociée. Pourtant, le fait de croire avec une telle ferveur que la régulation par le marché et la rigueur budgétaire constituent touj ours et partout des conditions relativement suffisantes à une croissance attirante pour les investisseurs étrangers, est pour le moins surprenant. A l'extrême, penser que les cent quatre vingt dix huit économies dans ce monde, ou du moins le groupe des 901 (G90), largement sous perfusion des IFI, doivent bien être sensiblement identiques, connaître relativement les mêmes difficultés et nécessiter quasiment les mêmes remèdes, est tout simplement aberrant. Or, c'est cette aberration là qui a fortement contribué à l'esquisse et à la persistance du surendettement des économies d'Afrique subsaharienne. L'aléa moral, cette tendance tant crainte à toujours plus d'emprunts lorsque les créances sont connues pour être tôt ou tard annulées, s'est paradoxalement concrétisé sous l'effet des PAS. Et pour cause, la rigueur absolue et le recours quasi-total au marché ne pouvaient qu'enliser les pays dans la spirale du sous-développement, face au jeu d'une concurrence déloyale avec les pays riches. S'il était impossible de sortir du cercle vicieux de sous-développement, il était tout aussi impensable que ces pays puissent dégager les gains de croissance essentiels au désendettement. Le perpétuel recours à l'emprunt était donc inévitable. En outre, une étude du Center for economic and policy Research de Washington sur 103 pays sous ajustement structurel, a démontré que 83 parmi eux ont enregistré, au cours des années 1980-2000, un taux de croissance moyen inférieur de 5% par rapport au taux de croissance moyen de la période 1960-1980. Or, «quand neuf patients sur 1 Groupe réunissant le groupe des 50 Pays les moins avancés (PMA), les pays membres de l'Union africaine et les pays du Groupe Afrique.Caraïbes/Pacifique (ACP); dix [huit ici en l'occurrence] soignés par le même médecin meurent, il est clair que le médecin ne sait pas ce qu'il fait »2. A cet ultime stade, les IFI et leur PAS ont alors dû affronter la colère de la communauté citoyenne internationale. Porté par les organisations non gouvernementales (ONG) notamment, le courroux a porté ses fruits puisque le Fonds et la Banque ont décidé d'accorder une plus grande place à la lutte contre la pauvreté. Force est de con-stater que celle-ci était totalement incompatible avec l'application des PAS, au regard des émeutes inhérentes. Il aura donc fallu attendre plus de vingt ans d'application des politiques libérales pour que, en 1996, l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE) annonce un revirement stratégique. Autant dire que cette dernière a globalement très bien été accueillie. Il faut dire que l'initiative comptait pallier un bon nombre de limites et d'effets pervers tenant aux ajustements structurels. Dans leur vision monétaire de la pauvreté, les IFI ont naturellement estimé qu'un allègement du fardeau de la dett e permettrait de la combattre efficacement. Elles ont alors conditionné la réussite d'un tel objectif à l'internalisation du processus de croissance et des moyens de réduire la pauvreté. L'Etat, mais également sa population, à travers la représentation de la société civile, avaient désormais le droit d'émettre une opinion, et plus encore. En effet, l'élaboration et l'exécution d'un document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP), listant les conditionnalités de l'allègement, étaient dès lors réservées aux pays récipiendaires. Il s'agissait donc a priori d'une excellente stratégie. Les résultats ont ainsi laissé entrevoir les prémices d'une amélioration, que l'initiative PPTE renforcée est venue développer en 1999. La seconde a en effet offert une place de choix à la lutte contre la pauvreté en la reliant explicitement à un allègement plus élevé, pour davantage de PPTE. Alors, lorsque l'initiative d'allègement de la dette multilatérale (IADM) a été proposée par le G8 et lancée et par les IFI en 2005, la surprise a été de taille pour les plus pessimistes. Force est de constater que les ratios d'endettement ont un temps été ramenés à un niveau tolérable, compte tenu de l'effort financier qui a tout de même était fait. Quant aux dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, elles ont bien pris le relais de celles dédiées au paiement du service de la dette, du moins dans les premiers temps. Pour beaucoup, les IFI venaient enfin d'admettre, implicitement au moins, l'échec des PAS, et avouaient par là même qu'elles ne détenaient pas, et n'avaient jamais détenu, le monopole des bons conseils. 2 Stiglitz J. E., 13 août 2002, in Le Monde, extrait de Zacharie A. et Malvoisin O., 2003, «FMI La main visible », éd. Labor, p. 68. C'est la raison pour laquelle les propos de la Banque mondiale en janvier 2007 laissent d'autant plus dubitatif. Il est en effet choquant de constater qu'elle commet toujours l'erreur de déclamer à qui veut l'entendre que le surendettement passé a été induit par un «excès d'optimisme» quant à la «capacité institutionnelle des États à mener de bonnes politiques et à gérer l'endettement », et à «l'évolution des performances économiques futures »3. C'est tout. Il est donc manifeste, et d'autant plus grave, qu'elle omet toujours l'influence de ses prêts pour les moins corrupteurs dans le contexte de la Guerre froide, de ses préconisations aux effets dévastateurs en matière d'aléa moral et de pauvreté, et de son ingérence inadmissible sur des territoires bénéficiant du «droit des peuples à disposer d'euxmêmes ». Bref, elle persiste à nier sa large contribution au développement de la dette insoutenable. Et elle n'est malheureusement pas la seule. Au total, c'est peut-être là la cause de l'insuffisance des initiatives d'allègement des dettes souveraines. Refuser d'établir un bilan pertinent revient à refuser de prescrire les véritables solutions pour un désendettement soutenable. Encore une fois, les actes s'éloignent des discours et les prédicateurs ne vont au bout de leur logique. Car en l'espèce, la logique voulait que le retour à une dette supportable puisse réduire la pauvreté afin d'atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) d'ici 2015. Or, le pessimisme de la plupart des auteurs travaillant sur la dett e du Tiers-monde est donc d'autant plus compréhensible que les OMD ne risquent pas d'être réalisés à l'heure, avec de telles insuffisances. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce défaitisme alarmiste semble envahir tous les travaux à ce sujet. Une telle définition de la soutenabilité d'une dette ne peut qu'exclure les autres PPTE pendant que les quarante bénéficiaires n'enregistrent pas de véritable retour à la stabilité. Les critères sont tellement restrictifs qu'ils supposent une asphyxie par la dette avant d'ouvrir droit à l'allègement. Les conditionnalités, comme au temps des PAS, persistent dans la rigueur et la marginalisation du processus participatif. Les IFI restent donc maîtresses du processus, du début jusqu'à la fin, et après encore. Dans ces conditions, elles peuvent effectivement établir toutes les projections de soutenabilité dont elles rêvent. Que celles-ci se révèlent fausses ou non, l'allègement restera 3 Djoufelkit-Cottenet H., janvier 2007, Département de la Recherche, Agence Française de Développement, OCDE, repères n° 36, in « Quelle politique de réendettement pour les pays africains après une décennie de remise de dette », p. 3, www.oecd.org/dev/reperes conditionné par les mêmes pronostics utopiques, tels une croissance de 10% pour les vingt prochaines années, seulement grâce à la brève application d'une batterie de conditionnalités quasiment inchangées. Et plus ces estimations sont optimistes, plus le montant des allègements diminue. Les priorités n'ont pas plus évolué. Les IFI scrutent en permanence le solde des indicateurs purement économiques, mais n'ont pas jugé nécessaire de vérifier que le processus participatif était correctement instauré. Or, si l'argument de l'immixtion a pu être invoqué par la défense, celui de la nécessaire démocratie l'a tout aussi justement été par l'accusation. De plus, estimer que le critère de l'effectivité du processus démocratique ne doit pas trop peser dans l'accord d'allègement, car constituant une forme d'ingérence politique, relève de l'ironie, quand il est notoire que les IFI n'ont jamais culpabilisé à l'idée de lister les priorités d'Etats élus démocratiquement. Mais le temps presse. Les OMD doivent être atteints d'ici huit ans. L'heure n'est plus au bilan des politiques des IFI, mais aux actions. Si la dette reste insoutenable, alors les pressions le deviendront tout autant. Les institutions de Bretton Woods doivent admettre leur part de responsabilité dans cette dette insupportable, et remédier à leurs erreurs. Vraiment, cette fois. La volonté d'inscrire la restructuration de la dett e souveraine dans un cadre institutionnel cohérent et équitable ne peut plus rester confinée dans les discours. Elle doit s'inscrire dans des engagements écrits, de long terme, mettant en avant l'additionnalité des allègements avec les aides traditionnelles, et de la part de tous les créanciers. Ce n'est ni au Fonds, ni à la Banque de juger de la soutenabilité d'une dette, et encore moins de décider si et comment elle sera remboursée. Cette décision appartient à une instance plus apte à le faire de manière impartiale, un Tribunal international de la dette. Celui-ci aurait au moins le courage d'annuler purement et simplement les « dettes odieuses », contractées au vu et au su de tous les créanciers (IFI comprises), hors de toute volonté des populations, qui en sont pourtant les premières victimes. Car il ne faut pas oublier que la dette extérieure publique des PED, qui représente 1600 milliards de dollars, équivaut à la dette extérieure totale des Etats-Unis. Parmi cette dernière, 1000 milliards de dollars de bons du Trésor américain sont détenus par les pays du Sud. Quelle ironie. Une autre comparaison, tout aussi scandaleuse, établit que la dette extérieure publique de l'Afrique subsaharienne est plus de trente trois fois inférieure à la dette publique de la zone euro (qui compte deux fois moins d'habitants), et plus de cinq fois in- férieure à la dette publique française (qui comprend soixante fois moins d'habitants)4. Ce Tribunal, qui a juste besoin d'être institutionnalisé au sein des Nations Unies, pourrait se référer à une législation internationale de la dette souveraine, pour notamment contraindre tous les créanciers à participer au prorata de leur responsabilité. Les Fonds vautours n'auraient alors même plus l'honneur de figurer dans les travaux économiques, tant ils ne pourraient plus soutirer le moindre dollar à des PPTE bénéficiant tout juste d'une remise de dette, nécessaire à leur survie. Si les IFI tiennent tant à la stabilité financière mondiale, alors qu'elles respectent ce pourquoi elles ont été créées. Il leur incombe de réguler, par la réglementation, les marchés financiers, et de veiller à ce que les pays en difficulté ne soient pas soumis aux mêmes conditions de financement que les pays riches. Les PPTE doivent donc pouvoir agir sur des marchés désormais à leur image. Il leur incombe encore de permettre aux pays pauvres d'être représentés à leur juste mesure. Ils sont les plus nombreux et subissent en premier lieu la loi des riches. Le principe du «un dollar un voix », pour le vote des décisions essentielles, doit être troqué contre celui du «un Etat une voix» avec, pour complément, le poids démographique. Les Etats-Unis ne sauraient justifier plus longtemps leur droit de veto. Il en va de la sûreté internationale tant il est connu que «la marmite commence à bouillir par le bas »5. Les émeutes l'ont montré, la conditionnalité doit être renversée en faveur d'une relance, même prudente, de la croissance dans des pays protégés des ressentis des marchés financiers internationaux et de la concurrence du Nord, tout en faisant l'objet d'une évaluation régulière et bienveillante des bailleurs de fonds. Le processus de croissance purement marchande doit être abandonné au profit d'une stratégie de développement soutenable. Remettre la machine démocratique en route et faire du social un moyen et une fin du développement ne demandent que très peu de réflexion et un minimum d'engagements mutuels. S'il est vrai que la mentalité collective est celle qui peine le plus à évoluer, il est tout aussi vrai que ce n'est pas faute de lui avoir accordé trente ans. Les nombreux travaux sur la dette et la pauvreté du Tiers-Monde, tous plus pertinents les uns que les autres, doivent guider les choix politiques mondiaux, si tant est que leur mission soit toujours de promouvoir l'intérêt général. Nous l'espérons. 4 Millet D. et Toussaint E., 2002, « 50 Questions 50 réponses sur la dette le FMI et la Banque mondiale », éd. Syllepse p.203. 5 Proverbe ibo, Nigéria. Pourtant, à l'échelle du monde et de la mondialisation, l'intérêt général ne demande pas que la finance et le commerce dominent, mais que tous les citoyens et tous leurs maux soient équitablement représentés. Par conséquent, si les différentes institutions internationales spécialisées (FMI, Banque mondiale, BIT, OMC, OMS6 et toutes les institutions des Nations Unies) ne coopèrent pas plus activement, il peut être sûr qu'aucune forme de Gouvernance sociale mondiale ne verra le jour pour éteindre l'incendie de la dette et de la pauvreté, et ainsi atteindre les OMD... 6 Bureau international du travail, Organisation mondiale du commerce et Organisation mondiale de la santé. |
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