2 ... Nécessaire à leur annulation.
Les arguments pour l'annulation de ce type de dettes sont
irréfutables. Quant au financement, il peut être aisément
trouvé. En outre, de telles annulations ont déjà eu lieu
à plusieurs reprises. Déjà, lorsque les Etats-Unis
refusèrent de payer la dette cubaine à l'Espagne (voir partie
précédente), un traité international entre les deux
parties, signé à Paris en 1898, annula tout simplement ladite
créance.
La doctrine de la « dette odieuse » a
été revendiquée à de nombreuses reprises par les
mouvements citoyens ces dernières années. Mais les successeurs
des dictateurs et les créanciers ont fait la sourde oreille. Ce sont les
Etats-Unis qui ont relancé le débat en demandant aux
créanciers bilatéraux publics de l'Irak (Russie, France,
Allemagne) d'annuler la dette du pays en 2003. De fait, « sous le
patronage américain, l'Irak a fini par obtenir un allègement. De
nombreux autres pays qui, à presque tous les points de vue, le
méritaient tout autant ou davantage n'ont rien eu
»35. Cette situation est anormale. Quitte à
annuler seulement la valeur actuelle nette (VAN, et même pas à
leur valeur marchande) de ces dettes en se référant aux dates des
emprunts (voir tableau 3 en annexe p.141), un effort aurait déjà
dû être fait. Une telle suppression allègerait
considérablement la dette de pays qui, par définition, ne sont
même pas
34 Stiglitz, 2006, op. cit., p. 314.
35 Stiglitz J. E., 2006, op. cit., p. 326.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte92.png)
de véritables débiteurs. Ses dettes sont dues
à différents gouvernements du Nord, notamment les alliés
des américains durant la Guerre foire, mais certaines appartiennent
aussi aux IFI. Qu'ils les reprennent, mais pas aux populations, ou qu'ils
cessent de vanter leur participation à la réalisation des
Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), et se
déclarent carrément contre dans ce cas.
Si des arguments juridiques sont quand même
demandés, alors les cas de « force majeure » et le «
changement fondamental de circonstances » peuvent justifier l'annulation.
Au niveau du droit international, la Commission de droit international de l'ONU
(CDI) définit le premier cas par «la situation dans laquelle un
événement imprévu et extérieur à la
volonté de celui qui l'invoque le met dans l'incapacité absolue
de respecter son obligation internationale en vertu du principe selon lequel
à l'impossible nul n'est tenu »36. Pour le
changement de circonstance, la jurisprudence à caractère
international reconnaît qu'un changement dans les conditions
d'exécution d'un contrat peut l'annuler37. Un autre argument
peut venir compléter les deux premiers si besoin est, celui de
l'état de nécessité. Il peut alors être
invoqué lorsque le remboursement implique des sacrifices pour la
population allant au-delà de ce qui est raisonnable38. Dans
le cas d'une dette contracté à des fins personnelles ou mal
intentionnées par un régime totalitaire, les trois sont
d'actualité.
Cette annulation peut être financée.
Déjà, il est nécessaire de relativiser la dette des PED au
regard de celle des pays riches. La dette extérieure publique de tous
les PED correspond à la dette extérieure totale des Etats-Unis
(1600 milliards de dollars), pays le plus endetté au monde. Ensuite le
service de cette même dette extérieure publique des PED, qui est
de 240 milliards de dollars, est tout de même quatre fois
inférieur aux dépenses mondiales de publicité et aux
dépenses militaires. Concernant l'Afrique subsaharienne, sa dette
extérieure publique est trente trois fois inférieure à la
dette publique de la zone euro (pourtant deux fois moins peuplée), plus
cinq fois inférieure à celle de la France (dix fois moins
peuplée) et plus de 1,5 fois inférieure à celle de la
Belgique (soixante fois moins peulée)39.
36 CDI, Projet d'article 31, A/CN, 4/315, ACDI 1978,II, vol. 1,
p. 58. Extrait de Toussaint E., 2004, op. cit., p8.
37 Dans sa formulation originale : Contractus qui habent tractum
successivum et dependetiam de futurum, rebus sic stantibus intelligentur.
Idem.
38 Ace propos, la CDI déclare: «On ne peut attendre
d'un Etat qu'il ferme ses écoles, ses universités et ses
tribunaux, qu'il supprime les services publics de telle sorte qu'il livre sa
communauté au chaos et à l'anarchie simplement pour ainsi
disposer de l'argent afin de rembourser ses créanciers étrangers
ou nationaux. Ily a des limites à ce qu'on peut raisonnablement attendre
d'un Etat, de la même façon que d'un individu... » (CDI,
1980, p. 164-167.), idem.
39 Millet D. et Toussaint E., 2002, « 50 Questions 50
Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale », éd.
Syllepse, op. cit., p. 202,203 et 207
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte93.png)
De même, les arguments opposés des IFI ne
tiennent pas. Si une telle annulation incitait trop de pays à
déclarer des dettes odieuses, alors les enquêtes et les agents
déployés sur place pourraient faire le tri. Cette annulation
n'avantagerait pas les « mauvais » payeurs, puisque de toute
façon ils n'ont pas à payer dans de telles circonstances. Elle ne
saperait pas plus la confiance des créanciers puisque seuls les
«mauvais» seraient intimidés et que, de toute façon,
les pays africains n'ont pas, et n'auront pas avant longtemps, accès aux
marchés financiers internationaux tels qu'ils sont régis
aujourd'hui. Enfin, l'abolition pure et simple ne serait pas si onéreuse
que le prétendent certains dans la mesure où elle ne concerne pas
toutes les dettes (comme d'autres le voudraient d'ailleurs) et que des moyens
de financement exposés depuis des années mais jamais
explorés existent.
Une taxation mondiale ayant pour finalité le
financement d'un «bien public mondial» (le développement) en
taxant le mal mondial (la pollution, la spéculation financière ou
le commerce des armes) pourrait permettre ladite annulation. Rentrent dans ce
champs toutes les taxes type taxes sur les transactions monétaires (dont
les recettes éventuelles pourraient monter jusqu'à 39,64
milliards de dollars avec une taxe de seulement 0,005% sur les monnaies les
plus échangées dans le monde...), la taxation environnementale
mondiale (dites « taxes vertes »), les taxations sélectives
comme la taxe de solidarité internationale sur les billets d'avion, etc.
Elles ont en outre le mérite de ne pas nécessiter la
création d'une instance collectrice (les institutions onusiennes pouvant
s'en charger) et s'inscrivent dans un laps de temps qui peut être
limité. Leur seul inconvénient est revanche connu et
invoqué à qui veut l'entendre.
Une taxation mondiale devrait résulter d'une
«décision de coopération entre différents Etats,
puisque ce sont eux qui ont le pouvoir de lever des impôts
»40. Ce qui est sans compter avec le soutien du
principal pays, les Etats-Unis. Mais même sans elles, le coût reste
marginal. En effet, selon la CNUCED [2004], qui analyse le coût d'une
annulation de la dett e de tous les PPTE, l'addition apparaît marginale
par rapport aux moyens nécessaires pour atteindre les OMD (de 40
à 60 milliards de dollars pour les OMD contre 29 milliards en VAN pour
l'annulation desdites dettes). «Théoriquement, les institutions de
Bretton Woods et les autres banques multilatérales de
développement peuvent annuler des créances irrécouvrables,
comme le font les banques
40 Banque africaine de développement (BAD), 2006, Rapport
sur le développement en Afrique, op. cit., p. 94 à 100.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte94.png)
commerciales en utilisant leurs provisions pour pertes sur
prêts »41. Comme il ne s'agit pas d'annuler
toutes les dettes des PPTE mais seulement les plus « odieuses », le
coût est qui plus est réduit.
De plus, pour l'avenir, l'annulationpleine et entière
serait en outre bien plus efficace que les sanctions commerciales auxquelles
procèdent parfois l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Aujourd'hui
en effet, celles-ci s'avèrent souvent inefficaces, tant le commerce avec
un pays sanctionné est lucratif. Les entreprises sont donc touj ours
tentées de contourner les mesures coercitives, puisque le pays est alors
à leur merci. Concrètement, «les Nations Unies pourraient
tenir à jour une liste de pays concernés. (...). On pourrait
fixer des principes de base pour distinguer les contrats et dettes acceptables
: pour construire une école, oui; pour acheter des armes, non
»42. Le Tribunal international de la dett e
trancherait en cas de litige.
Les solutions ne manquent donc pas. Il est alors impossible
d'affirmer qu'une telle «actualisation de l'Histoire» est impossible.
Dans l'hypothèse où toutes ces recommandations étaient
appliquées (y compris celles tenant au
«désenrichissement» des Etats du Nord), la dette aurait
déjà beaucoup plus de chances de devenir soutenable. Mais dans ce
cas, il serait tout aussi nécessaire de faire en sorte qu'elle le reste
«pour de bon », sans faire primer l'économisme sur le
social.
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