2 ...Démontrant la nécessité d'un
élargissement du nombre de bénéficiaires.
Plutôt que de parler d'incohérence, il vaudrait
mieux aborder le thème d'adaptation de l'initiative aux
réalités des pays surendettés. Car les pays qui sont
intégrés méritent de l'être, il s'agit donc
seulement de voir si d'autres économies ne le mériteraient pas
également. En effet, en 2001, la population des PPTE ne
représentait que 11% de la population totale des PED, de même que
leur dette ne constitue que 10% du stock total de la dette des PED.
En outre, l'indicateur de soutenabilité de la dette
(ISD) de Berr et Combarnous offre des résultats très
différents de ceux donnés par les indicateurs traditionnels. Pour
les 92 pays pour lesquels les données étaient disponibles en
2004, il ressort que les pays les plus durement affectés par la dette
sont le Belize, la Hongrie, le Burundi, la Pologne, le Kazakhstan, l'Uruguay,
le Brésil ou encore la Turquie. Or, seul le Burundi a été
admis à bénéficier d'un allègement de sa dette au
titre de l'IPPTE. Il est actuellement en période intermédiaire. A
l'inverse, les pays pour lesquels le problème de l'endettement est le
moins violent (bien que réel) sont le Cambodge, le Togo, le Botswana,
l'Albanie, le Belarus, la Chine ou encore l'Ethiopie. Parmi eux, le Togo est en
train de négocier son entrée dans le point de décision.
«Les pays éligibles à l'initiative PPTE présentent
pour leur part des valeurs d'ISD très nettement inférieures
à la moyenne ». De fait, «le classement « officiel»
des pays selon leurs niveaux d'endettement perd largement de sa pertinence
»19. Néanmoins, avant de fournir les
résultats d'autres études,
19 Berr E. et Combarnous F., 2006, op. cit., p. 15.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte71.png)
il serait nécessaire de relativiser les
résultats de celle-ci. Car s'il est vrai que les pays les plus durement
touchés par l'endettement selon l'ISD mériteraient d'être
éligibles à l'initiative, l'indicateur ne prend toutefois pas en
compte les possibilités qu'ont les différentes économies
d'honorer leurs obligations. Or, il est clair qu'entre le Burkina Faso et la
Hongrie par exemple, la différence est manifeste en termes
d'accès à différentes sources de financement (IDE,
exportations, accès aux marchés internationaux de capitaux,
localisation géographique, dont l'appartenance à la zone
économique intégrée qu'est l'UE, suscitant des effets
d'entraînement...). Nous pensons donc que le classement
«officiel» est «pertinent », dans le sens où la
priorité doit effectivement être donnée aux pays qui sont
actuellement éligibles. Néanmoins, il est sûr que
l'initiative doit être élargie à d'autres pays lourdement
endettés.
De manière générale, le Rapport 2003 de
la plate-forme Dette et Développement fournit un tableau des pays
«pays méritant d'être intégrés à
l'initiative PPTE selon Jubilee 2000 et le World Watch Institute (voir tableau
17 en annexe p.156)20. Parmi eux apparaissent des pays asiatiques,
continent pauvre délaissé par l'IPPTE il est vrai, avec notamment
l'Afghanistan, le Bangladesh, le Cambodge ou encore l'Indonésie, une
grande victime de la crise financière de 1997.
Dans les cas particuliers tenant à l'Afrique
subsaharienne (ASS), le cas du Nigéria est intéressant.
Recensé parmi les pays les plus pauvres du monde (avec un IPH atteignant
35, soit plus faible que 10 PPTE qualifiés), le Nigéria regroupe
le cinquième de la population de l'ASS et environ les trois quarts de sa
population survivent avec moins d'un dollar par jour. Le Nigéria
correspond en plus au cas typique de ce qui est communément
appelé une «dette odieuse» (cf. infra) car des
décennies de dictature ont laissé le pays débiteur de 29,4
milliards de dollars (en 1999). La majorité de la dette est
détenue par le Club de Paris. Mais le pays a été exclu de
l'initiative en 1999. La raison officielle du FMI et de la Banque
étaient que seuls les pays financés exclusivement par l'AID
pouvaient être considérés comme PPTE. Malheureusement,
l'effet de seuil a joué en défaveur du Nigéria car au lieu
de bénéficier d'un PIB par habitant de 875 $ pour être
considéré comme pauvre au sens de l'IDA...le pays ne dispose
« que » de 884 $21 . Pour le Fonds et la Banque, le pays,
étant données ses importantes ressources
pétrolières, peut recevoir des financements « mixtes »
(IDA et BIRD).
20Ajaltouni N. et al., sous la direction de
Merckaert J., 2004, Plate-forme Dette et Développement, rapport 2003,
«La dette face àla démocratie », p13.
21 Id.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte72.png)
Néanmoins, ses capacités d'emprunt sont
très limitées àla BIRD et le pays ne peut donc emprunter
à des conditions favorables. De plus, «il est aujourd'hui largement
reconnu que les ressources naturelles [comme le pétrole] n'apportent pas
toujours les profits escomptés en matière de croissance et de
développement »22. D'ailleurs, preuve en est
avec un ratio moyen VAN de la dette/exportations de 163% (contre 150%
exigés pour l'éligibilité à l'IPPTE) et une ratio
moyen VAN de la dette/RNB de 82% (contre le seuil critique exigé de 80%
par la BM). En outre, si l'ouverture du pays, en raison de ses exportation de
pétrole, ou l'indisponibilité des données sur les recettes
publiques du Gouvernement nigérian peuvent compromettre l'analyse, il
est alors possible de se référer au ratio service de la dette/RNB
qui supérieur à celui de la moitié de l'ensemble des PPTE
admis. Mais même jugé lourdement endetté par la Banque
mondiale, le pays a dû négocier sa dette au Club de Paris
où il n'a obtenu que des rééchelonnements et des
moratoires23 sur certains encours. «Le Nigéria devra
donc rembourser 1,7 Mds $ en 2002, soit 700 millions $ de plus qu'en 2001,
malgré un nouveau rééchelonnement de sa dette obtenu fin
2001 auprès du Club
de Paris »24.
Le cas du Kenya illustre quant à lui le cas d'une autre
dette odieuse ainsi que celui d'une lourde dette intérieure, dont
l'impact est négligé. De 1970 à 1995, la dette
extérieure totale du Kenya a été multipliée par 15
(de moins de 500 millions à 7,4 milliards). Elle est retombée
à 6 milliards en 2001, dont 5 milliards pour la part publique.
Parallèlement, la dett e intérieure publique du pays est tout
aussi inquiétante (2,5 milliards de dollars fin décembre 2001) et
le service de la dette intérieure était, entre 1999 et 2000, plus
de deux fois plus élevé que celui de la dette extérieure,
dont l'encours était pourtant trois fois plus élevé.
Ainsi, l'encours de la dette intérieure a grimpé pour atteindre
près de 30% du PIB en 2002. Si les critères de l'IPPTE jugent la
dette kenyane supportable, Were [2001] a montré que, même sans la
dette intérieure, la dette extérieure du pays nuit à sa
croissance et à son développement. Un allègement pourrait
alors réduire l'extrême pauvreté, sachant que près
des deux tiers des 30 millions de Kenyans vivent avec moins de deux dollars par
jour (un quart avec moins de un dollar)25. Par exemple, Nafula
[2002] montre qu'un allègement de la dette aiderait le pays
22 CNUCED, 2004, op. cit., p. 51.
23 Délais.
24 Mabilais R. et de La Forest-Divonne A., Plate-forme Dette et
Développement, in Rapport 200 1-2002, «La dette des pays du Sud et
le financement du développement », p.42.
25 CNUCED, 2004, op. cit., p. 50.
![](defi-desendettement-soutenable-afrique-subsaharienne-au-dela-ppte73.png)
à assurer l'accès universel à
l'enseignement primaire. Enfin, Birdsall et Williamson [2002, p. 131 et 132]
considèrent que l'argument de la dette odieuse est largement valable
dans le cas du Kenya car « une élite dirigeante corrompue a
gaspillé ou amassé en fortune personnelle des milliards de
dollars, en partie au su et avec le soutien des créanciers du
pays »26.
Ces cas font légion. De nombreux pays pauvres et
lourdement endettés en Afrique sont exclus de l'initiative, à
chaque fois pour une histoire de seuil. Dans ces conditions le problème
du surendettement africain ne peut être réglé. Mais plus
encore, les pays qui ont « la chance» d'y être admis ne sont
même pas assurés d'un retour à la stabilité de leur
taux d'endettement, et encore moins de leur économie toute
entière.
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