2 La solvabilité et la soutenabilité de la
dette : deux approches conceptuelles différentes...
En 1989, le plan Brady, en énonçant que la dette
des PED ne devait plus être honorée à sa valeur faciale
(nominale), reconnaît qu'il ne s'agit pas d'une crise de liquidité
mais bien de solvabilité. En demandant aux créanciers de faire un
efforts (s'ils voulaient voir leurs chances d'être remboursés
s'accroîtrent), il reconnaît également implicitement que ces
derniers sont impliqués dans la mauvaise gestion de l'endettement. Alors
aujourd'hui, compte tenu des erreurs importantes déjà commises,
il est largement possible de considérer que l'IPPTE se fourvoie en ne
faisant que rendre la dette solvable et non soutenable.
Car les deux concepts ne relèvent pas de la même
logique. Pour E. Berr et F. Combarnous [2006] en effet, « la
solvabilité représente le fait, pour un débiteur, d'avoir
les moyens de payer ses créanciers» et «fonde la vision des
pays riches, des IFI et des économistes orthodoxes ». La
soutenabilité, elle, «implique de prendre en compte [l'impact de la
dette] sur le bien-être des populations (...) donc d'avoir une approche
plus équilibrée considérant également les
intérêts des débiteurs »8. L'initiative
PPTE, censée favoriser la réalisation des OMD, s'inscrit pourtant
dans l'approche de la solvabilité. C'est d'ailleurs l'une des raisons
pour lesquelles, elle n'est elle-même pas soutenable. Car elle semble
seulement vouloir «créer les conditions d'un remboursement maximal
»9. L'approche par la solvabilité est
appréhendée par les IFI à travers la courbe de Laffer de
la dette. Et selon Laffer, tout comme selon Krugman, les créanciers
peuvent avoir tout intérêt à accorder des
allègements de dette s'ils veulent en voir une partie au moins
honorée. Car, succinctement, la courbe de Laffer explique que le
débiteur ne
8 Berr E. et Combarnous F., 2006, in « Une autre lecture de
la soutenabilité de la dette », p. 1 et 2.
9 Id.
rembourse pas sa dette seulement parce qu'il le peut, mais
aussi parce qu'il le veut. Or, ces questions de possibilité et de
volonté s'apprécient conjointement lorsque la dett e atteint un
niveau tel que la probabilité de défaut s'accroît (voir
graphique 9 en annexe p.173). Par conséquent, le créancier, qui
procède à une anticipation de la valeur des remboursements, a
intérêt à concéder une réduction lorsqu'il
constate que cette valeur atteint un seuil jugé critique. Cette approche
était déjà en vigueur dans la période des PAS. Et
de manière générale, pour les PED sous ajustement, la
dette «n'a cessé de croître, passant de 715 à 2600
milliards de dollars entre 1982 et 2004 »10. Les
auteurs proposent donc «une autre lecture de la soutenabilité de la
dette» pour permettre un remboursement sans appauvrissement.
La CNUCED [2004], critique elle aussi les méthodes
adoptées pour juger de la soutenabilité d'une dette. Pour elle en
effet, les deux critères, d'ouverture et budgétaire, sont trop
réducteurs, et parfois même inappropriés. Le ratio VAN de
la dette/exportations a été conçu à l'origine pour
les pays émergents d'Amérique Latine au moment de la crise de la
dette (1982). Or, les conjonctures et les structures sont très
différentes de celles des PPTE africains. Si les économies
latinoaméricaines pouvaient alors exporter davantage grâce aux
dévaluations pour rembourser une dette due en priorité à
des banques commerciales, cet avantage est inapplicable dans le cas des PPTE
africains.
De fortes dévaluations ne serviraient pas à
rembourser une dette contractée en priorité à des
créanciers publics (à l'exception de la Côted'Ivoire et du
Mozambique, et quelques autres pays) pour deux raisons. D'une part parce que
ces pays sont dépendants des aides publiques au développement
(APD) et des importations, et d'autre part parce que la manoeuvre serait
malvenue étant donné les réalités de la demande
mondiale vis-à-vis des produits de base.
Le ratio VAN de la dette/recettes publiques a, quant à
lui, été fixé à un niveau si bas qu'un seul pays
peut y recourir (la Côte-d'Ivoire). «Mais [il] a été
assorti de critères subsidiaires non justifiés sur le plan
pratique qui excluent de nombreux autres PPTE »11.
De plus, les ratios inférieurs à ces seuils ont bien
souvent une explication structurelle, par conséquent non soluble
à court terme. Or, comme les économies doivent suivre « avec
succès » un programme de réformes sous l'égide des
IFI pendant trois ans, «il est difficile d'affirmer qu'en l'absence de
ces
10Id,p.3.
11Martin, 2002, tiré de CNUCED, 2004, in «
Le développement économique en Afrique », op. cit. p. 39.
seuils l'initiative PPTE récompenserait les pays menant
des politiques économiques peu rigoureuses »12.
Ainsi, il s'agit de compléter les critères des IFI
pour remédier à l'exclusion parfois illégitime de certains
pays pauvres.
|