ETUDE 3 :
CHAMPIONS OF TECHNOLOGICAL INNOVATION
JANE M. HOWELL & CHRISTOPHER A. HIGGINS
ADMINISTRATIVE SCIENCE QUARTELY - N°35 - 1990- P.
317-341.
(Synthèse et traduction personnelles)
Un nombre important de recherches se sont attachées aux
facteurs qui facilitaient ou freinaient l'adoption des innovations dans les
organisations. L'une des variables le plus souvent associée au
succès de ces changements est la présence de champions. C'est une
personne qui émerge de façon informelle dans la phase de
diffusion d'un changement dans l'organisation pour apporter une contribution
décisive en faisant une promotion active et enthousiaste du
progrès apporté - Schön (1963), Tushman & Nadler
(1986).
Il y a une trentaine d'années, dans un article sur les
grandes innovations dans le domaine militaire, Schön a mis en
évidence l'existence de ces champions. Il a constaté que
l'indifférence et les résistances que les changements majeurs
provoquent, nécessitaient la présence d'un "champion" pour
s'identifier à l'idée, la promouvoir activement dans
l'organisation au risque de perdre sa position et son prestige dans cette
affaire. Par la suite, de nombreuses études ont confirmé le
résultat des travaux de Schön (Roberts, 1968; Burgelman, 1983;
Achilladelis & robertson, 1971; etc.). Cependant on peut remarquer un
manque de rigueur et des insuffisances méthodologiques dans de
nombreuses études ayant porté sur ce thème, ce qui conduit
à douter de certaines de leurs conclusions et nous interpelle sur la
pertinence de nos connaissances sur les champions. Il s'agit principalement de
faiblesses concernant :
la mesure systématique des caractéristiques de
la "personnalité" et de leur style d'influence sur les autres membres de
l'organisation. Sur ces points la plupart des travaux sont anecdotiques et
reflètent davantage les impressions des chercheurs que le
résultat de mesures valides et sérieuses (Schön, 1963;
Delbecq & Mills, 1985; Dean, 1987; etc.),
il n'est pas fait de distinction entre les champions et les
managers en général,
les études souffrent de défauts
méthodologiques, par exemple, il est rarement indiqué comment les
champions ont été identifiés. D'autres chercheurs
identifient les champions à partie de l'idée qu'ils s'en font, en
désaccord avec les travaux précédents. Cette
méthode qui consiste à identifier les champions à partir
d'un jugement personnel peut conduire à des biais résultant de la
tendance à se projeter soi-même comme étant un champion,
qui il est vrai est un attribut social désirable.
enfin, l'identification d'une façon fiable des
champions manque dans ces recherches de précision en ce qui concerne la
variété des rôles joués par les individus dans le
processus d'innovation, là encore sans tenir compte des travaux
réalisés dans ce domaine. Des auteurs ont identifié
différents rôles dans le processus d'innovation (Katz &
Tushman, 1983; Maidique, 1980; Jervis & Robertson, 1971; etc.). A partir de
ces travaux on peut distinguer :
Gatekeeper, celui qui
fournit, recherche et distribue le savoir à ses collègues,
Project champion, celui qui est au
centre de notre étude et qui promeut le projet au sein de
l'organisation,
Business innovator, celui qui
fournit les moyens et l'accès aux ressources, protège contre les
interférences de l'organisation,
Technical innovator, celui qui
réalise et développe l'innovation.
Pour identifier les champions et étudier ce concept
dans son intégralité il est nécessaire de distinguer les
différents rôles liés au processus d'innovation.
Notre objectif est de conduire une recherche empirique
rigoureuse sur le concept de champions en nous attachant
particulièrement :
à leurs caractéristiques personnelles,
c'est-à-dire les "qualités" qui les prédisposent à
s'engager dans une activité de champion,
leur leadership et les tactiques d'influence qu'ils
utilisent. Cette dimension est importante car l'adoption par l'organisation du
projet est dans une mesure importante un processus d'influence tant en
direction des subordonnés (qui se traduit par le style de leadership)
qu'en direction des supérieurs (relève des tactiques
d'influence).
Cette étude nous conduit à développer et
à tester un modèle qui nous permet de comprendre comment des
individus émergent pour assurer le rôle de champion.
Nous avons utilisé la littérature sur
l'entreprenariat, le leadership et l'influence sociale pour poser nos
hypothèses. Le thème de l'entrepreunariat a été
utilisé pour identifier le poids de la dimension "Personnalité"
du champion. La théorie du leadership transformatif a été
examinée car les champions peuvent être considérés
comme des leaders informels qui influencent et inspirent leur entourage avec
leur vision du potentiel d'un projet. Les recherches sur l'influence ont
été analysées parce que les actions des champions
influencent les autres pour promouvoir leurs idées.
I - HYPOTHÈSES
a - Style de leadership
La littérature sur les champions met en avant leur
capacité à inspirer et enthousiasmer les autres avec leur vision
du potentiel du projet, à persister dans la promotion de leur vision en
dépit de l'opposition de l'organisation, montre leur confiance en
eux-mêmes et dans leur mission et à réussir à
impliquer les autres dans la diffusion de l'innovation.
Pour Schön (1963) "C'est une
caractéristique essentielle des champions.. Ils s'identifient à
l'idée, sa promotion à une cause, jusqu'à aller beaucoup
plus loin que ce qui leur est demandé dans leur travail...".
Ces comportements des champions sont similaires aux
qualités que l'on attribue au leader transformatif en ce qui concerne
leur capacité à conduire leurs collaborateurs à
dépasser leurs intérêts personnels pour réussir un
objectif collectif supérieur. A partir des travaux de Burns M. G. (1978)
sur le leadership en politique, Bass B. (1985) a développé une
théorie du leadership transformatif dans le champ organisationnel. Il
identifie 4 facteurs qui caractérisent les leaders transformatifs :
Le charisme qui s'attache à l'habileté du
leader à articuler une vision captivante, inspirer et encourager
l'effort, inspirer du respect et de la loyauté envers lui.
Il inspire ses collaborateurs en utilisant les rouages
émotionnels, une communication vivante, des images persuasives et des
exemples qui donnent confiance aux subordonnés et les impliquent dans la
poursuite d'un but de niveau supérieur.
La stimulation intellectuelle, qui représente sa
capacité à suggérer de nouvelles idées et de la
créativité, permet la conceptualisation, le discernement et la
compréhension de la nature du problème et des solutions.
La considération des autres, qui représente
l'orientation du leader vers ses subordonnés, l'aide qu'il leur apporte
dans le développement de leurs capacités. Il leur permet
d'augmenter leur confiance en eux même et dans leurs compétences,
leur capacité à inventer et mettre en oeuvre des solutions
innovantes aux problèmes courants qu'ils rencontrent dans
l'organisation.
A partir de la littérature sur les leaders
transformatifs on peut dire que comprendre comment les champions agissent pour
promouvoir l'innovation dans l'organisation, c'est s'attacher à la
manifestation des comportements du leadership transformatif.
Hypothèse 1 : Les champions
manifestent de façon plus importante des comportements similaires aux
leaders transformatifs (charisme, inspirateur, stimulation intellectuelle,
considération des autres) que les non-champions.
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b - Caractéristiques de la
personnalité
La littérature sur les champions les décrit
comme des personnes qui prennent des risques, socialement indépendant et
persistant dans leurs engagements même confrontés à des
obstacles et des risques d'échec importants (Schön, 1963; Frohman,
1978; Burgelman, 1983; etc.). Parfois ces auteurs fournissent des points de
départ utiles pour comprendre la personnalité des champions, mais
n'arrivent pas à des conclusions opérationnelles, car ils tendent
à faire reposer leurs recherches davantage sur leurs impressions plus
que sur le résultat de tests de personnalités valides.
Plus encore ces observations sont faites sans groupe de
référence ce qui conduit à un manque de clarté en
ce qui concerne les caractéristiques propres aux champions que n'ont pas
les managers en général. Pour pallier ce manque, nous nous sommes
attachés aux études réalisées sur les
entrepreneurs.
Dans une étude sur la personnalité des
entrepreneurs, Mc Celland (1967) utilise le Thematic Apperception Tests
(T.A.T.) et met en évidence que le score obtenu par les entrepreneurs
est plus élevé que la norme en ce qui concerne le besoin de
s'accomplir, la recherche des responsabilités, l'intérêt
pour les résultats concrets des décisions et leur
désintérêt pour les travaux routiniers.
D'autres études mettent en évidence (Robert,
1968; Wainer & Rubin, 1969) que les entreprises les plus performantes sont
dirigées par des entrepreneurs ayant un fort besoin d'accomplissement et
un faible intérêt pour le pouvoir (mesurer par le test T.A.T.).
Hornaday & Aboud (1971) mettent en évidence leur indépendance
et leur besoin d'accomplissement.
Ces conclusions sont en accord avec la littérature
existant sur les champions lorsqu'elle indique qu'ils sont moins conformistes,
mettent en valeur la créativité, ont confiance dans leurs
capacités.
Hypothèse 2 : Les champions
manifestent plus que les non-champions des caractéristiques personnelles
de besoin d'accomplissement, de persistance, d'attrait pour l'innovation,
indépendance et de prise de risques.
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On constate que les caractéristiques de la
personnalité des entrepreneurs sont identiques à celles des
leaders transformatifs (innovation, prise de risques, besoin d'accomplissement,
force de persuasion). Bass B. (1985) constate que les leaders transformatifs
sont plus audacieux que la norme sociale, plus créatifs, originaux et
déterminés. D'autres théoriciens avancent que les leaders
transformatifs sont des "avocats" passionnés du changement et de ce qui
n'est pas conventionnel.
Hypothèse 3 : Il y aura un lien plus
étroit entre la personnalité des champions et les comportements
des leaders transformatifs que chez les non-champions.
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c - Tactiques d'influence
Selon Schön, les champions sont capables d'utiliser des
moyens d'influence informelle et de pression sur les autres pour
réussir. Les résultats de Burgelman (1983) sur les processus
internes de coalition montrent que la "ruse" et les astuces des champions
influencent de façon importante le Top Management en ce qui concerne
leur disposition vis-à-vis du projet. L'étude de Dean J. W.
(1987), sur le processus de décision qui conduit à l'adoption de
technologies d'avant garde dans l'industrie, montre que les champions utilisent
une large gamme de tactiques d'influences comme la justification rationnelle,
la répétition des comportements enthousiastes et confiant
vis-à-vis du projet, le partage d'informations confidentielles avec les
membres potentiels de la coalition.
La littérature sur l'influence sociale constate que la
décision de s'engager dans un processus d'influence est fonction de
plusieurs facteurs comme :
caractéristiques personnelles (recherche du risque,
besoin d'accomplissement, persuasion),
caractéristiques de la cible de l'influence
(perception de son pouvoir),
facteurs situationnels (les raisons de l'exercice de
l'influence).
Modway (1979), Porter, Allen & Angle (1981) analysent les
caractéristiques personnelles des individus influants. Ils trouvent que
le besoin d'accomplissement et de pouvoir sont reliés positivement
à la propension à s'engager dans l'influence et dans les
méthodes d'influences utilisées dans la situation de
décision (persuasion des arguments et manipulation).
Hypothèse 4 : Il y aura une plus
grande corrélation entre les caractéristiques personnelles et les
tactiques d'influence utilisées chez les champions que chez les
non-champions.
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Pour s'engager dans des jeux d'influence auprès du Top
Management, les leaders transformatifs se "donnent" une image de
compétence et de succès. En ce qui concerne leurs collaborateurs
et subordonnés, ils transmettent une image attractive des
résultats que l'on peut attendre du projet, décrivent la mission
en montrant sa valeur morale et insistent sur la construction de quelque chose
de grand (House, 1977; Bass B., 1985). Les travaux de Howell & Froste
(1985), Hater & Bass B. (1988), Avolio & al. (1988) montrent que cette
influence a un fort impact sur la performance des subordonnés.
Hypothèse 5 : Les comportements de
leadership sont davantage en relation avec les tactiques d'influence
utilisées chez les champions que chez les non-champions.
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Les caractéristiques de la cible de l'influence,
particulièrement son pouvoir, jouent un rôle déterminant
dans la stratégie d'influence. Les tactiques vont différer
lorsqu'il s'agit d'un supérieur ou d'un subordonné. Les facteurs
liés à la situation et les objectifs de l'individu
déterminent les tactiques d'influence utilisées.
Hypothèse 6 : Les champions essayent
d'influencer les autres plus fréquemment en utilisant une palette de
tactiques d'influence plus large que les non-champions.
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