L'évolution de la notion d'associé( Télécharger le fichier original )par Florent Kuitche et Philippe Mankessi Université Nice Sophia antipolis - Master II droit économique des affaires 2007 |
P1) l'acceptation controversée des manifestations nouvelles.Ces dernières années, la jurisprudence a découvert de nouvelles manifestations de la contribution aux pertes qui est une notion suffisamment souple pour accompagner l'évolution de la vie des affaires en s'appliquant aux nouveaux montages et aux nouvelles conventions la mettant en cause. Certaines de ces manifestations, aussi spectaculaires soient -elles, sont aujourd'hui bien acquises. Il en va ainsi de la perte de la valeur des titres en cas de réduction du capital à zéro, mais d'autres sont encore controversées, tout particulièrement en cas de stipulation de prix plancher des les promesses unilatérales d'achat conclues dans le cadre de cessions massives de droit sociaux ou de convention de portage d'action. Relativement à la Perte de la valeur des titres en cas de réduction du capital à zéro, une nouvelle forme de contribution aux pertes est apparue avec la reconnaissance de la validité de l'opération de « COUP d'accordéon » par l'arrêt USINOR du 17 mai 199458(*). On sait que cette opération destinée à reconstituer les capitaux propres consiste dans la succession d'une réduction de capital social d'un montant équivalent à celui des pertes, éventuellement à zéro, puis d'une augmentation du même capital destinée à le ramener au minimum légal. Cette opération qui doit être commandée par la survie de la société59(*), permet d'apurer les pertes de celles-ci, puis d'augmenter le capital par émission d'actions dont le montant nominal correspond, dans ces conditions, à la valeur réelle du titre60(*). En cas de réduction du capital à zéro, l'émission d'actions nouvelles passe nécessairement par l'annulation de la totalité des actions existantes. C'est précisément sur ce point que portent les critiques des actionnaires minoritaires qui s'estiment exclus de la société, spécialement dans l'hypothèse d'une suppression du droit préférentiel de souscription. Selon eux, l'opération tendant à la réduction du capital à zéro avec annulation des actions existantes serait illicite, parce que constitutive d'une expropriation illégale pour cause d'utilité privée, mais aussi d'une fraude à la loi, d'un abus de majorité et d'une violation de l'égalité des associés et de l'intérêt commun de ces derniers. Aucun de ces arguments n'a retenu l'attention de la cour de cassation ainsi qu'en atteste un arrêt du 10 Octobre 200061(*) dont la solution a été réaffirmée par un arrêt du 18 juin 200262(*). Par ces deux arrêts, la cour a répondu aux actionnaires minoritaires que la réduction du capital ne constituait pas une atteinte au droit de propriété des actionnaires, ni à leur intérêt commun, « mais sanctionnait leur obligation de contribuer aux pertes sociales dans la limite de leurs apports, ce dont il résultait qu'aucune augmentation des engagements des actionnaires n'était mise à la charge de ceux-ci », autrement dit, lorsque la société a engendré des pertes telles que les titres des associés n'ont plus de valeurs, les minoritaires sont appelés à y contribuer en perdant la valeur de leurs titres. En ce qui concerne les deux autres manifestations récentes de la participation aux pertes, à savoir la promesse d'achat de droits sociaux à prix plancher et la convention de portage, elles en constituent certes une évolution , mais elles restent très controversées du fait de leur assimilation à des clauses léonines. En effet l'article 1844-1 alinéa 2 du code civil dispose que « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procurée par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé de la totalité du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». Ainsi la clause par laquelle un associé renonce aux bénéfices contre une redevance mensuelle forfaitaire est une clause léonine, du fait qu'elle l'exonère de toute contribution aux pertes en lui garantissant une rémunération minimale63(*). La présence d'une clause léonine dans les statuts ne peut plus entraîner la nullité de la société, même si la clause a été la cause impulsive et déterminante du contrat de société64(*). La clause est simplement réputée non écrite et le partage doit s'opérer proportionnellement aux apports. La question de savoir si l'on se trouve en présence d'une clause léonine a commencé à se poser essentiellement à propos des cessions massives de droits sociaux65(*). Ainsi lorsqu'une cession d'action est étalée dans le temps, il est fréquent de prévoir la signature d'une promesse d'achat par le cessionnaire, pour la partie des actions qui ne sont pas acquises immédiatement, avec un prix plancher en faveur du cédant66(*). La cour de cassation a longtemps considéré qu'il y avait là un pacte léonin au motif que le cédant était exonéré de toute perte67(*). L'une des applications majeures de ce type de contrat s'appelle le portage, c'est-à-dire la convention par laquelle une personne (généralement une banque) achète des titres à une autre ou en souscrit pour elle, à charge pour cette dernière ou un tiers désigné de les lui racheter en rémunération du service ainsi procuré. Les intérêts du portage résident dans le crédit fait à une entreprise qui désire acquérir une participation sans pouvoir la financer immédiatement, et dans la discrétion du procédé : apparemment c'est telle banque qui a acheté la majorité de telle société ; mais en réalité cette banque opère au bénéfice d'un de ses clients pour lequel elle porte des titres. La rémunération de la banque est généralement calculée par un intérêt, dont les dividendes perçus durant le portage viennent en déduction. Ces accords posent aussi des problèmes de simulation relative à la qualité d'associé. Il en résulte que le portage peut être critiqué au titre de la qualité d'associé : le porteur peut-il se prévaloir d'une telle qualité quand il n'a pas un véritable affectio societatis ? N'est-il pas plutôt un prête-nom ? En tout cas, il est certain que le porteur accepte d'être l'associé apparent. Après avoir longtemps appliqué la prohibition de façon extensive, la jurisprudence relative à ce type de convention est devenue plus libérale, sous l'influence de données économiques modernes et d'une doctrine unanime, à dénoncer les inconvénients de la position classique. Mais ce libéralisme n'est pas encore partagé par toutes les chambres de la Cour de cassation. Selon la première chambre civile, La clause de promesse d'achat à prix plancher constitue une clause léonine réputée non écrite par l'article 1844-1 al 2 du code civil68(*). Il s'agit de l'arrêt Kamami, dans lequel la première chambre civile montre qu'une convention extrastatutaire peut être annulée pour son caractère léonin. Le second arrêt, l'arrêt Lévêque-Houist, est rendu le 7 avril 1987. Peu importe pour elle que l'engagement de rachat ait été pris dans un acte distinct de la convention de cession et soit limitée dans le temps. En revanche, elle tient pour léonin le fait que l'accord ait eu « pour effet d'affranchir les cessionnaires de toute participation aux pertes, en leur assurant le remboursement intégral des sommes par elles versées pour l'achat des parts sociales et au titre des comptes courants, majorées d'un intérêt de 10% par années écoulées. Par la suite, la première chambre civile n'a pas eu l'occasion de se prononcer nettement sur la question des promesses d'achat à prix déterminé. Elle a certes retrouvé le problème des clauses léonines dans trois arrêts69(*), sans se prononcer nettement sur le point en difficulté. Mais telle n'est pas la position de la chambre commerciale qui refuse d'y voir une clause prohibée, même entre associés, au motif que la clause litigieuse dont l'objet n'est autre que d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, est étrangère au pacte social et son incidence sur la participation au bénéfice et la contribution aux pertes. En effet, le renouvellement dû à la Chambre commerciale trouve son origine dans l'arrêt du 15 juin 198270(*), qui fait usage de critères nouveaux beaucoup plus favorables aux promesses de cessions à prix fixe. Selon cet arrêt, « il résulte des constatations de l'arrêt d'appel que la clause dont les promettants contestaient la validité, se trouvait contenue dans une convention portant sur les conditions dans lesquelles devaient leur être cédées les actions de la société et non dans les statuts de celle-ci » ; l'article 1855 du code civil ne visant que le contrat de société, la nullité édictée par ce texte ne peut être étendue à une telle convention ». En l'occurrence, il s'agissait d'une promesse d'achat d'action, stipulée au bénéfice des actionnaires minoritaires d'une société dont les deux promettants venaient d'acquérir la majorité. Cependant la suite de l'évolution jurisprudentielle de la chambre commerciale de la Cour de cassation, va montrer qu'en cette haute formation existe bien le souci de découvrir un nouveau critère de définition des clauses léonines. Ainsi dans l'arrêt SOCIETE BOWATER, la chambre commerciale trouve ici l'occasion de préciser ses vues71(*). Il s'agit encore d'une cession de majorité. Cette cession est suivie d'une promesse d'achat du reste du capital souscrite par la société mère de la cessionnaire ; la promesse précisait que le prix serait déterminé d'un commun accord par référence à la valeur nette de l'actif tangible et corporel, sinon à dire d'expert, avec un minimum fixé à 5 millions de francs. Le bénéficiaire de la promesse d'achat se heurte, après avoir levé l'option, au refus de la société Bowater, qui invoque l'article 1844-1 du code civil. La chambre commerciale répond avec fermeté : « qu'elle constatait que la convention litigieuse constituait une cession ». Ainsi, la chambre commerciale distingue suivant l'objet de la convention. S'il s'agit de céder des actions moyennant un prix librement convenu, et non de porter atteinte au pacte social, l'accord ne rentre pas dans le cadre de la prohibition. Cette jurisprudence ne présente ni les inconvénients de la jurisprudence classique trop « léoniste », ni ceux de l'arrêt de 1982, trop formaliste. Elle a été réitérée par la chambre commerciale72(*). Pourtant elle ne semble pas encore avoir emporté l'adhésion de la première chambre civile de la Cour de cassation. Cependant une décision de la Cour d'appel de Paris du 21 décembre 200173(*) a pu constituer une première avancée. En effet, celle-ci se prononçait sur la prohibition d'une convention de portage pour montage léonin. L'arrêt a suivi la position adoptée par la chambre commerciale de la cour de Cassation, et confirmé la validité des conventions de portage. Et dans un autre arrêt du 16 novembre 2004, la Cour de cassation reconnaît la validité de la clause de rachat à prix fixe au regard de la situation particulière du bénéficiaire. Cette position est confirmée par un 2e arrêt en date du 22 février 2005. Cet arrêt apporte un nouvel argument au profit des promesses de rachat d'actions à prix plancher qui seront considérées comme valides dès lors que l'option de rachat est limitée dans le temps. Somme toute, si l'extension du critère de la participation des associés aux pertes sociales est avérée et se développe de plus en plus, il n'en reste pas moins que ce développement se trouve relativement freiné par l'assimilation tant des conventions de portage, que des promesses de rachat de droit à prix plancher aux clauses léonines. Quoi qu'il en soit, le constat est que l'ensemble des critères sur lesquels s'est bâti le concept d'associé est quasiment battu en brèches ; Ceci implique forcément que la notion d'associé n'a plus de repères conceptuels rigides. Est-ce à dire qu'elle est pour autant tombée en désuétude ? Assurément non ! Le paradoxe étant que fonctionnellement, cette notion est en pleine expansion. Ainsi elle reste et demeure indispensable pour le droit de société. * 58. V. Cass. Com, 17 mai 1994, USINOR, Bull. Joly, 1994, Paragraphe 219, p. 816, note J.-J. Daigre; Addé M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op. Cit. Notes 44, n° 1011, p. 435. * 59. V. CA Versailles, 12e chambre. , 2E sect. , 20 mai 1999, RD bancaire et bourse 1999, p. 248, n°3, obs. M. Germain et M. A. Frison- Roche. * 60. V. B. PETIT et Y. REINHARD, obs. préc. RTDcom. 1996, p. 73. * 61. V. Cass. Com. 10 Octobre 2000 (réduction du capital à Zéro avec maintien du droit préférentiel de souscription, JCP, édition E2001, p. 85, note A. Viandier. * 62. V. Cass. Com. 18 juin 2002, (réduction du capital à zéro sans maintien du droit préférentiel de souscription), D. 2002, p. 2190, obs. Lienhard et p. 3264, obs. J. C. Hallouin. * 63 . Cass com., 18 octobre 1994, Dr. SOC. , 1994, n° 205, obs. Le NABASQUE. * 64 . V. P. LE Cannu, op. Cit. n° 279, p. 162 : « Au 19e siècle, la cour de cassation avait estimée, sous l'empire de l'ancien article 1855 du code civil, qu'une clause léonine était entachée de nullité, qu'elle soit contenu dans un acte séparée ou dans l'acte de société, qu'elle oblige la société toute entière ou seulement quelques uns de ses membres, et qu'elle soit temporaire ou faite pour un temps déterminé ». * 65. V. également à propos de la promesse de rachat à un prix planché des actions du dirigeant qui cesse ses fonctions, com. 12 mars 1996, bull. Joly 1996, p. 516, n° 176, N. Rontchevsky. * 66. Ph. MERLE, Droit commerciale, Sociétés commerciales, DROIT PRIVE, Précis Dalloz, 10e édition 2005, n° 42, p. 70. * 67. Com. 10 février 1981, Rev. Soc. 1982, 98, Ph. MERLE. * 68. V. Cass. Civ. 1ere, 22 juillet 1986, Bull. Civ. I, n° 224; Bull. Joly 1986, Paragraphe 258, p. 859, notes P. le Cannu. * 69. Cass. Civ. 1ere, 16 octobre 1990: Bull; Joly 1990: 1029, Paragraphe 330, note LE CANNU ; 29 octobre 1990 : Bull ; Joly, 1990. 1052, paragraphe 343, note LE CANNU ; 9 juin 1993 : Dalloz 1993, IR, 212. * 70. Gaz. Pal. 1983, 1, PAN. 23 ; BRDA, n° 18, p. 15. * 71. Cass. Com. 20 mai 1990, BOWATERS COORPORATION LIMITED c/ DUVIVIER: Bull. Joly 1986, paragraphe 169, p. 618; RTDcom. 1987, 66, obs. Cl. Champaud, et P. Le Floch et 205, obs. y. Reinhard. * 72. Cass. Com 19 mai 1992 : bull. Joly 1992. 779, paragraphe 250, notes P. LE CANNU. * 73. Cour d'appel de Paris 25e chambre, 21 décembre 2001, BSA Bourgoin c / CDR participations, Dr. Soc. 2002, Com. n° 44 ; Bull. Juridique 2002, p. 499, notes T. Massard. |
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