Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique( Télécharger le fichier original )par Daniel Iglesias Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004 |
2) Le travail de présentation des originesConscients de la montée des mécontentements dans le pays et des désillusions créées par la Patria Nueva, les apristes comprirent que les situations structurelles avait dépourvu de repères la population péruvienne. Malgré cela, le pays n'était pas étranger à l'impact qu'avaient la Réforme de Córdoba et la Révolution mexicaine, en tant que symboles de renouveau salutaire et de lutte contre l'immobilisme. Forts de leur contact avec les principales figures de ces deux mouvements dans le cadre le l'Union Latino-américaine, les apristes décidèrent de se réclamer, voir de se porter comme l'émanation directe de ces évènements. Il s'agissait de se forger des origines illustres et de présenter les signes précurseurs d'un âge d'or, afin de mieux introduire une pensée politique encore méconnue et qui demeurait handicapée par son éloignement géographique, du fait de sa fondation au Mexique, de la présence d'une cellule apriste à Paris, voire de la présence de certains de ses grands maîtres à penser à Buenos-Aires. Enjeu de communication politique, les origines du parti prirent une part très grande dans la stratégie politique de Haya de la Torre et les siens, envers un peuple qui les identifiait encore aux évènements de mai 1923. La Réforme universitaire de Córdoba et la Révolution mexicaine furent alors décrites en rapport direct avec la naissance de l'aprisme. La figure de l'anarchiste péruvien, Gónzalez Prada quant à elle, fut aussi récupérée, à telle point, que désormais ce dernier, prit le nom de « l'apôtre »121(*) de l'APRA. a) La défense des signes précurseurs du renouveau La Réforme universitaire de Córdoba et sa corollaire péruvienne prirent un part importante dans les pages de la revue Amauta. Les mots abondaient pour la décrire comme « la première étape consciente de l'américanisation de l'Amérique latine »122(*) ou bien comme le point de départ d'un long et glorieux combat. Sa dimension historiographique était puissante, car elle s'insérait dans un contexte politique en crise, et qu'elle « correspond ainsi à une certaine forme de lecture de l'histoire, avec ses oublis, ses rejets et ses lacunes, mais aussi avec ses fidélités et ses dévotions, source jamais tarie d'émotion et de ferveur »123(*). Le but n'était pas de présenter un fait historique dans sa globalité, mais d'en magnifier la portée à tel point que ce dernier puisse cristalliser toutes les puissances du rêve jusqu' à devenir un mythe. Le mythe de la Réforme universitaire de Córdoba tel qu'il fut présenté dans les pages de l'Amauta, servit alors de système explicatif, d'éléments de mobilisation, et d'objet de croyance pour des masses confrontées au déclin sensible de la légitimité présidentielle, accusée par ailleurs de livrer le pays au capital étranger. Or la Réforme de Cordoba était formulée comme l'antithèse de la politique gouvernementale, comme la manifestation d'une émancipation contre un passé paralysant et « porteur des vices et des limitations européennes »124(*). Cette lecture de l'évènement réformiste se composait d'une structure fonctionnant par analogies, où chaque marque historique était sensée rappeler aux lecteurs la décadence politique péruvienne, alors qu'au contraire, les acquis de Réforme de Córdoba permettaient de s'ériger contre l'anachronisme éducatif et politique que cultivait une structure sous le joug d'« une tyrannie en place que le civilisme exerçait depuis l'Université depuis qu'il avait prit le pouvoir politique »125(*). Ainsi, les apristes introduirent leur mouvement dans la lignée d'un combat légitime pour la modernisation et les méfaits de la stagnation sur les esprits. Haya de la Torre, introduit comme le leader de la manifestation péruvienne de ce mouvement, en était le symbole et le continuateur logique de l'expérience argentine. Les réussites de ce dernier (la fondation des Universités González Prada, la loi universitaire de 1920) demeuraient même la preuve du bien-fondé de l'appel de Córdoba, parce qu'il avait permit de mettre fin à la domination civiliste. Le parallélisme entre le succès de la Réforme argentine et les ex-étudiants réformistes devenus apristes (Luis Heysen, Carlos Manuel Cox, et autres collaborateurs de la revue Amauta) visait à créer une continuation naturelle des deux mouvements, donnant aux leaders apristes une légitimité dans le combat contre les méfaits du régime civiliste, au moment où ce dernier était de plus en plus assimilé à l'Oncenio de Leguía. Ils apparaissaient investis d'une connaissance des réalités locales malgré l'exil, et surtout, ils prouvaient par l'histoire, qu'ils étaient capables de mener à terme des actions politiques visant à améliorer les conditions sociales péruviennes. Ce temps d'avant, de la grandeur, de la noblesse dans la lutte contre l'oppression, était enfin synonyme d'un certain bonheur qu'il appartenait au peuple de retrouver. Guidé par l'aprisme ou plutôt la manifestation politique continentale de la Réforme de Córdoba, le pays pouvait connaître de telles réussites, et sortir de la crise qu'approfondissait le gouvernement de Leguía. Ce fut d'ailleurs sur cette seule et fondamentale opposition entre le jadis et l'aujourd'hui ou dans la culture d'une nostalgie guerrière, que cette mythologie de l'âge d'or tendit à s'affirmer. Elle permit aux apristes de passer outre leur absence de la scène politique durant trois ans d'exil, et elle redonna l'espoir à certains par l'histoire, là où personne ne faisait plus rien pour eux. Le cas de la Révolution mexicaine restait lui aussi très significatif, pour la manière avec laquelle la revue Amauta en fit un usage politique du passé. Cela ne signifie pas pour autant que cet évènement fut inventé, car il existe toujours des parts de réel dans toute entreprise de mythification. La présentation de la Révolution mexicaine correspondait plutôt à une volonté de répondre aux attentes sociales témoignant « d'une forme relativement proche de malaise, d'inquiétude ou d'angoisse»126(*). Cet évènement qui entraîna la mort de milliers de personnes, fut présenté comme un bloc, comme la manifestation d'un tout figé, dont l'objet était uniquement de faire saisir aux lecteurs, la portée et la réussite de l'entreprise. La revue publia de nombreux éloges à cette révolution, en la décrivant comme le berceau du nationalisme continental, et en soulignant l'esprit de résistance du peuple mexicain. La doctrine Carranza et la Constitution de 1917 furent ainsi érigées en modèle à suivre dans la lutte contre l'impérialisme nord-américain. La doctrine Carranza par exemple, fut élevée en tant que programme politique à appliquer sur tout le continent en vue de la réalisation d`une justice sociale à grande échelle. Elle en était d'ailleurs le « drapeau en Amérique latine »127(*) selon Ramos, de part sa nature anti-impérialiste avérée lors de la confrontation avec les Américains suite à la Révolution mexicaine. D'un autre côté, et revenant sur la période d'affrontements entre les Etats-Unis et le Mexique, Rafael Ramos Pedruezuela glorifiait les symboles de la lutte contre l'impérialisme yankee. Il utilisait pour cela des symboles animaliers pour mettre en évidence le combat entre les deux ensembles, reprenant ainsi des traditions locales dont les codes étaient très proches, en tout cas facilement assimilables par la population péruvienne128(*). Pour Eudocio Ravines, fondateur de la section apriste de Paris, la Révolution mexicaine était le Thermidor mexicain. Elle marquait une immense victoire sociale pour le peuple contre toutes les composantes de la classe dominnate, et exprimait la première manifestation politique contre l'impérialisme nord-américain. Cet évènement portait également une symbolique sociale très forte, qu'incarnait le front commun que formèrent les classes opprimées contre une domination héritée de la conquête espagnole. Cette dimension sociale de la révolte se manifesta alors sans organisation de classes, et le prolétariat fusionna avec la petite bourgeoisie insurrectionnelle dans un seul mouvement solidaire qui balaya « la domination du féodalisme, des caciques et de sa clientèle d'intellectuels, de docteurs et licenciés »129(*) . Cette fusion, la victoire contre l'impérialisme, les conquêtes constitutionnelles firent de cette révolution, «l'évènement social de la plus grande magnitude en Amérique latine, durant ces années»130(*). Elle fût même pour Ravines, une manifestation populaire autonome et sans apports étrangers, qui ne peut être cataloguée comme émanation d'une quelconque influence européenne131(*). Ainsi définie comme un âge d'or de la lutte sociale, le rôle de l'aprisme était de s'édifier en gardien intellectuel de la Révolution mexicaine et d'en appuyer la réalisation des présupposés révolutionnaires. Selon l'uruguayen proche de l'APRA, Oscar Cosco Montalvo, il en résultait même une mission pour les sympathisants des acquis de la Révolution. Cette mission consistait donc à « exhiber objectivement, à toute occasion propice, ce qu'il y a d'impersonnel, d'idéologiquement pur et de réalisation effective dans la grande épopée de la révolution mexicaine »132(*). Il était alors question de manifester un attachement sans faille à un évènement qu'on ne se privait pas de présenter comme une authentique victoire latino-américaine contre l'impérialisme, tant culturel qu'économique.Arboré comme fils d'une révolution aux acquis sociaux et symboliques palpables, l'aprisme se voyait investi d'une mission légitime, et d'un legs à poursuivre. Fondé à Mexico en 1926, le mouvement cherchait à se poser en interloctuteur connu, puisque résultante d'une révolution, au moment même où les conditions politiques et sociales le permettaient. Cette mythologie de l'âge d'or s'introduisait en effet dans une société où existaient des poussées d'effervescence mythique, de par la précipitation de l'évolution économique et sociale, et l'accélération des changements qui bouleversaient les anciens équilibres. L'APRA apparaissait comme le garant de la continuité de ce modèle à suivre dans la lutte face à la menace impérialiste, car il était potentiellement capable d'apporter la justice sociale et des acquis sociaux (Réforme agraire par exemple) de par sa filiation en hommes, en idées et en projets avec le mouvement mère. Haya de la Torre reprit pour cela, la symbolique utilisée lors de la Révolution, faisant de l'écusson de l'Université de Mexico133(*) , l'emblème officiel de l'Alliance Pour la Révolution Américaine. * 121 « el apostol » * 122 Orrego Antenor, op. cit., p.14 * 123 Giradet Raoul, op. cit., p.105 * 124 Orrego Antenor, op. cit., p.14 * 125 Haya de la Torre, « Nuestro frente intelectual», Amauta, Année I, n°4, décembre 1926, p.3 * 126 Girardet Raoul, op. cit., p.133 * 127 Rafael Ramos Pedrezuela, « La revolución mexicana frente a yanquilandia », Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.34 * 128 « Venant du nord de notre frontière, le vautour impérialiste s'avance avec une vibrante voracité. Dans nos ciels bleus, sous le soleil qui illumine l'Anáhuac, s'élève glorieusement l'aigle mexicain qui bat des grands coups d'ailes avec les pupilles fixes malgré le rayonnement du soleil, détruisant entre ses griffes le serpent de toutes les tyrannies. », Ibid, p.35 * 129 Ravines Eudocio, « El Termidor méxicano», Amauta, Année IV, n°23, 1929, p.78 * 130 Ibid, p.78 * 131 « Mexico offrit au prolétariat latino-américaine un précieux enseignement, une expérience typique qui ne peut être qualifiée d'étrangère, ni peut être accusée d'apporter le sceau de l'importation. », Ibid, p.79 * 132 Cosco Montaldo Oscar, « Defensa de la revolución », Amauta, Année III, n°18, octobre 1928, p.87 * 133 Voir annexes p.2 |
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