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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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2) La recomposition de la gauche péruvienne

Le guide de la Révolution péruvienne mort quelques jours avant Noël 1977, les forces réformistes péruviennes entamèrent la période de transition démocratique en position de faiblesse. En réponse, une partie de la gauche décida d'ouvrir un vaste débat idéologique dans ses rangs, poussant à cette occasion, ses sympathisants à se positionner clairement face aux acquis du vélasquisme, et à l'attitude à adopter face à la nouvelle situation du pays. Pour sa branche la plus marxiste, incarnée par la revue Socialismo y Participación (Socialisme et Participation), la mort du « Général » ne devait en aucun cas être prise comme un signe de renoncement face à une politique sociale volontariste. S'appuyant sur le soutien de Velasco et de son legs274(*), et s'articulant autour de figures contestataires ((Hector Bejar et des universitaires comme Carlos Franco), ce magazine s'afficha comme la vitrine médiatique et surtout intellectuelle, des idées héritées de la Révolution. Publiée pour la première fois en octobre 1977, et offrant la parole aux mécontents du revirement politique de Morales Bermúdez, de tradition anti-apriste et contestataire. Socialismo y Participación permit aux forces de gauche, d'échanger des points de vue autour de notions (gauche socialiste, économie planifiée), de perspectives d'avenir, et de la lutte à mener contre l'impérialisme. Cette revue publia des articles tant nationaux qu'internationaux, où se mêlaient des plumes comme Regis Debray275(*) ou Franscisco Sagasti (grand journaliste péruvien), et chercha à redynamiser des forces écartées du processus de transition démocratique, et victimes de la violence militaire. Plus spécifiquement, elle servit surtout à republier des textes fondateurs de la gauche péruvienne, jouant même parfois un rôle commémoratif autour de personnages historiques devenu des mythes, comme par exemple José Carlos Mariátegui. Ce fut donc dans ses pages, qu'émergea un vaste débat sur la nature de la gauche péruvienne, sur le rapport entre l'hayatorisme et le marxisme, et sur la traîtrise de l'APRA au regard de ses promesses révolutionnaires.

a) Le débat autour des origines de la gauche péruvienne

S'emparant des habits du « propagandiste »276(*) léniniste, le comité de rédaction de Socialismo y Participación basa son travail de restructuration autour d'une propagande sur la « pulsion combative »277(*) des figures de José Carlos Mariátegui et de Manuel Gonzalez Prada. L'article de José Aricó, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», revînt lui longuement, sur la singularité de la pensée du fondateur d'Amauta, et s'empressa de le défendre en critiquant ouvertement ses détracteurs apristes. José Aricó y célébrait l'immense apport théorique de Mariátegui à la pensée marxiste, voyant même dans son oeuvre majeure, Siete ensayos interpretación de la realidad peruana (Sept Essai d'Interprétation sur la réalité péruvienne), «le plus grand effort théorique réalisé en Amérique latine en vue de l'introduction d'une critique socialiste des problèmes et de l'histoire d'une société concrète et déterminée»278(*). Au delà de commémorer les cinquante ans de la publication de cet ouvrage (republié pour l'occasion en 1977), il cherchait à défendre la singularité et l'originalité des penseurs qui influencèrent largement le processus révolutionnaire péruvien mené par les forces armées. Aricó célébrait pour cela l'expérience de la revue Amauta comme la première manifestation d'une émancipation culturelle sur l'oligarchie, et le premier regard porté sur un peuple souffrant pour lequel elle se battit pour créer un éveil révolutionnaire279(*). Chantre de la «péruanisation» de la pensée nationale et de la culture, Mariategui personnifiait, pour l'auteur, une force unique et une détermination sans égale dans la lutte pour les droits des indiens280(*). Prenant à contre-pied la tradition apriste, il voyait dans celui-ci le seul héritier de Gónzalez Prada, c'est à dire du premier intellectuel péruvien qui ouvrit le débat autour de l'exclusion des indiens, de leur état de soumission, et de leur exploitation281(*). Prolongeant son animosité contre l'APRA, l'auteur estimait que la décision que prit Haya de la Torre de fonder un parti politique à la fin des années vingt, priva le Pérou de la tant attendue révolution qui allait venir apporter la justice et l'égalité pour tous. Cette séparation en effet signifiait la fin d'une possible entente entre communistes et internationalistes, en vue de former un front suffisamment puissant pour venir à bout de tout ce que dénonçait à juste titre Gónzalez Prada.

Hiérarchisant les origines de la gauche péruvienne, magnifiant la rupture d'un processus révolutionnaire de par la naissance du Parti Apriste Péruvien, la revue défendait le caractère socialiste du processus révolutionnaire péruvien. Sans pour autant faire de Mariategui une figure communiste, José Aricó montrait l'importance de la problématique de ce dernier, au moment même où une partie de la gauche péruvienne, mais pas uniquement, construisait une réflexion autour du rapport entre le marxisme et la culture dominante de son époque (la tradition bourgeoise et l'économie de marché). Revenant aux sources pour mieux resurgir, ce courant de la gauche péruvienne jouait son identité, et son avenir. Elle voyait donc dans Mariategui, sa ligne directrice, son fer de lance, et son orientation, celle du maintien à tout prix de la lutte pour l'instauration d'un socialisme péruvien. Or, c'étaient les qualités que revendiquait sans cesse, le père spirituel de la revue, Juan Velasco Alvarado, dans la quasi-totalité de ses discours. Mais cette interprétation des origines était loin de faire l'unanimité parmi la gauche péruvienne. Prolongeant la complexité des attitudes adoptées suite à l'arrivée au pouvoir de la junte en 1968, son courant le plus radical commençait en effet à publier un certain nombre d'ouvrages à l'encontre de l'expérience vélasquiste. Socialismo y Participación réagit dès lors en revenant dans plusieurs de ses numéros sur la grandeur de la Révolution péruvienne. Sa plume la plus connue, Héctor Béjar, répondit d'ailleurs aux critiques en défendant le caractère réformateur de cette Révolution, et son aboutissement historique, prenant de court ses détracteurs qui étiquetait cette idéologie de «réformisme bourgeois»

* 274 « En présence de nouvelles conditions, il est nécessaire de préserver le legs révolutionnaire, et affronter unis l'historique devoir de construire dans notre patrie, une société socialiste vraiment indépendante et national, une démocratie participative basée sur la propriété sociale et la participation directe de notre peuple au pouvoir politique. Aujourd'hui comme hier, il est nécessaire de faire une effort pour unir les hommes et les organisations populaires ; pour accroître la confiance dans la capacité à affronter de nouveaux problèmes ; de diffuser la foi et conforter la conviction dans nos possibilités de forger la société que la révolution se promit d'instaurer au Pérou. Avec la ferme espérance que Socialismo y Participación contribue à de tels objectifs, il me plaît de vous exprimer mes plus affectueuses salutations. », Velasco Alvarado d'octobre 1977, « El legado de Velasco », Socialismo y Participación., p.11

* 275 Regis Debray, Socialismo y Participación, n°4, septembre 1978.

* 276 « Il [Lénine] distinguait nettement deux fonctions différentes dans la propagande, portées par deux types d'agents : le propagandiste, qui touche beaucoup moins de personnes (des centaines dit-il), parce que, selon nous, c'est celui qui tâche de persuader, à gagner des futurs militants, et l'agitateur, qui a affaire à des dizaines de mille, qui doit chercher les mettre en mouvement (c'est selon, nous, la propagande émotive), en les sensibilisant et entraînant. Ainsi se créent des milliers de canaux, par lesquels se répandent facilement les mots d'ordre, lancés par les centres, si ces mots d'ordre correspondent aux besoins aigus d'une classe et d'une époque... », Tchakhotine Serge, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, 1952, p.334

* 277 Ibid, p.334

* 278 Arico José, «Mariategui y los orígenes del marxismo latinoamericano», Socialismo y Participación, n°5, décembre 1978, p.33

* 279 « On peut parler avec propriété d'une véritable `'redécouverte de l'Amérique'', d'une annonce dans le processus de recherche d'une identité nationale et continentale à partir de la reconnaissance, de la compréhension, et de l'adhésion aux luttes des classes populaires. », Ibid., p.27

* 280 « En refusant de le considérer comme un « sujet national », Mariategui rompit avec une tradition solidement consolidée. Indexant le problème indigène sur le problème de la terre, c'est-à-dire sur le problème des rapports de production, Mariategui trouva dans les structures agraires, les raisons du retard de la nation et de l'exclusion de la vie culturelle et politique des masses indigènes. », Ibid, p.29

* 281 « Ne forment pas partie du vrai Pérou, les regroupements de créoles et de blancs qui habitent la frange de terre entre les Andes et le Pacifique ; la nation est formée par les populations indiennes disséminées dans la bande orientale de la Cordillère. Lorsque nous un peuple sans esprit de servitude, et des hommes politiques à la hauteur de ce siècle, nous récupérerons Arica et Tacna, et alors, et seulement alors, nous marcherons sur Iquique et Tarapaca, et donnerons le coup décisif, le premier et le dernier. », Manuel González Prada, Páginas libres/Horas de lucha, Caracas, Biblioteca Ayacucho, p.44

« A l'indien, il ne faut pas lui inculquer l'humilité et la résignation, mais l'orgueil et la révolte. Qu'a-t-il gagné avec trois cents ou quatre cents de conformité et de patience ? L'indien ne se lèvera que grâce à son amour propre, et non par l'humanisation de ses oppresseurs. Tout blanc est, à peu près un Pizarro, un Valverde ou un Areche », Ibid, p.45-46

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