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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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c) La figure de la victime

L'utilisation politique de la figure du bouc émissaire a toujours fait partie intégrante des ressources de l'aprisme. Parti sorti des catacombes grâce à la force de son imaginaire politique, l'APRA a successivement utilisé la revendication de la condition de victime, comme point de ralliement à ses valeurs de camaraderie, de solidarité, et de sacrifice. Il avait alors développé une religiosité séculaire en son sein, explicitant par le moyen d'une rhétorique religieuse ou par la commémoration de cérémonies en honneur des martyrs apristes, son statut de « nouvelle religion »240(*). Référence naturelle dans une société de tradition catholique, l'imaginaire sacrificiel était une composante essentielle du champ et du lexique religieux qu'utilisait la société péruvienne. Son utilisation par Luis Alberto Sanchez s'inscrivait comme un complément aux différentes techniques dramatiques utilisées, afin de simplifier et d'ouvrir au plus grand nombre, les actions politiques et la singularité du caudillo apriste. Elle prolongeait d'autant plus ce travail de pédagogie, qu'elle utilisait un langage ouvert et tourné vers l'appropriable. Par ailleurs, elle ressortait certains éléments d'un passé obscur et méconnu, et en faisait des objets de fierté pour l'APRA. C'était ainsi que Luis Alberto Sanchez retraçait des évènements assez isolés de la lutte anti-oligarchique de la fin des années 1910, comme des vérités cachées, qui dénotaient la montée la peur des puissants face à la force montante de Haya de la Torre. Il détaillait en conséquence, des points très symboliques où l'on pouvait facilement apprécier des marques d'injustice ou de violence des grands contre les petits. Jouant encore une fois, sur sa qualité de témoin direct, il revenait sur le passé étudiant de son « camarade de classe occasionnelle en troisième année de Lettres »241(*), et y détaillait l'exemplarité et le courage de ce dernier. Revenant par exemple, sur l'affrontement universitaire puis médiatique entre Haya et le professeur Miró Quesada, il montrait la dureté de la répression contre les ennemis du statu quo à San Marcos. Il en faisait alors un combat symbolique, et décrivait la vengeance de la famille oligarchique, à laquelle appartenait ce professeur de lettres. Il énumérait alors les campagnes de désinformation et de silence médiatique242(*) menées par la presse et surtout par cette famille, en signalant ouvertement l'importance d'Haya de la Torre aux yeux d'ennemis qui « décidèrent de le considérer comme un ennemi encore plus grand que Leguia, et de l'attaquer de toutes les formes les inimaginables et à leur disposition »243(*). Montrant la connivence d'intérêts entre les Miró Quesada et un gouvernement autoritaire, il faisait ressortir le déséquilibre des forces, et de ce fait, forgeait un imaginaire autour de l'esprit de courage et de sacrifice d'un seul homme. D'où l'accentuation sur le parallélisme entre le combat d'un étudiant et le futur du pays, ce qui renforçait le caractère décisif de l'action de Haya de la Torre sur la destinée d'un peuple. Voilà pourquoi l'historien péruvien porta cette scène à priori anodine, au regard de l'histoire contemporaine péruvienne, au rang de point de départ d'un affrontement politique dont « ce fut le Pérou qui paya de son sang et de sa bile pour cet épisode juvénile »244(*).

Alimentant un univers déjà chargé de références symboliques, ce bref historique permettait de compléter des données cachées de la vie de Haya de la Torre. Il prolongeait les travaux antérieurs de l'auteur, et confirmait sa volonté de structurer l'image d'un homme dévoué à son peuple sur le plan moral et politique. Cette image de victime aux prises aux forces d'une oligarchie surpuissante, recentrait des informations souvent éparpillées dans le texte, en raison de sa nature et de son caractère non doctrinaire. Héros, chef, et enfin victime, cette description fournissait une grille de lecture simple de la vie d'un homme, et redonnait une fierté au pays en le présentant comme son bras combatif. Même s'il n'avait pu à de nombreuses occasions venir à bout de l'oppression, Haya de la Torre demeurait quant même un homme d'action. Cette présentation pour finir, même si elle ne régla les problèmes du parti suite au coup d'Etat militaire de 1968, clarifia tout au moins par son niveau d'ouverture, les origines de l'APRA.

Pour Ernesto Laclau, la singularité des phénomènes populistes résident non pas dans leur idéologie, mais plutôt dans leur capacité à articuler leurs discours. Dans le cas étudié, il s'agissait de revenir sur le passé politique de Haya de la Torre, ainsi que sur les origines de l'APRA. Ainsi entendue, la proposition de cet ouvrage était de simplifier le passé, par une opération « d'interprétation /constitution »245(*), grâce à l'utilisation d'un langage et d'un imaginaire populaire. Reposant largement sur un système binaire (APRA face à l'oligarchie, étudiants face à une Université rétrograde, APRA face aux marxistes, Haya de la Torre face à Mariátegui, Haya de la Torre face aux inégalités sociales), cette oeuvre utilisait une rhétorique à forte coloration émotive, cherchant par conséquent à isoler les dépositaires des valeurs du peuple, soit les apristes, des autres, c'est-à-dire les véritables responsables (l'oligarchie, l'armée, le totalitarisme) de tous les maux. L'histoire de Haya quant à elle, traduisait une garantie de pureté par-dessus toute chose, et ceci d'autant plus, qu'elle qualifiait la personne à partir de sa force de caractère et de sa personnalité extraordinaire. Cet Haya historique diffusait des mythes de grandeur, tout comme un ensemble de représentations qui identifiaient le peuple à un tout collectif, dont il fallait en être fier. Il en était le légitime dépositaire, tant par son passé étudiant, que par chacune de ses manifestations. En outre qu'ils manifestaient un effet de puissance, ces exemples représentatifs introduisaient également, un « aspect quasi socratique, voir sophistique »246(*). Ces récits ponctuels et en rien ordonnés (d'où à notre sens, leur force), formaient en effet une dialectique historique247(*), où chaque anecdote suivait une logique où « tout s'enchaîne avec simplicité, humour plus qu'ironie et surtout conviction »248(*). Dans ce registre ouvert et pédagogique, le parcours de cet homme apportait aux masses péruviennes, des révélations sur leur histoire, et cultivait l'image d'une évolution où « les portes de l'histoire ne s'ouvrent pas sans un grand vacarme et une dose admirable d'audace »249(*). Cette description des habilités du jeune Haya (ascension depuis Trujillo, assurance face à un professeur oligarque et injuste, valeurs sociales dès l'enfance, résistance au stress, contrôle émotionnelle face à un auditoire lors de l'enterrement d'un camarade) s'inscrivait dans une perspective jamais abandonnée par le parti, celle de l'aprisme révolutionnaire. Certes le parti n'était plus celui des années 20, ni celui des années 30, mais il gardait encore une rhétorique officielle de nature révolutionnaire. Situation paradoxale tout de même, car cette revendication se faisait alors que le parti statuait sa rupture avec le marxisme et le socialisme utopique, et défendait son image de parti de cadres et de gouvernement. De plus, cette revendication entrait en jeu, quant bien même, la junte militaire commençaient à mettre en oeuvre ses idées révolutionnaires. Historiquement, les Mémoires de Luis Alberto Sanchez ne réglèrent en rien les déboires du parti. Elles servirent néanmoins à remettre à l'ordre du jour les combats du passé, et surtout, la grandeur du Guide. Confronté à l'attente depuis le coup d'Etat de 1968 ; l'APRA passa les années suivantes dans le mutisme, et dans l'attente d'un bouleversement qui puisse lui redonner son rang et sa chance d'atteindre le pouvoir. Ce fut ironiquement, le déclin progressif dès 1975, des mesures empruntées à l'hayatorisme, qui retourna la donne en sa faveur. Après l'appel de Morales Bermudez à oeuvrer à la tenue d'élections via une transition démocratique, l'APRA se lança dès lors dans la campagne. Mais les cadres vieillissants, la consolidation de la paupérisation au Pérou, les changements générationnels, poussaient à la réflexion sur l'attitude à adopter, et sur l'adéquation de l'aprisme avec son temps. Le temps était venu de refonder le parti, et de trancher à partir de cette évolution, sur le positionnement du parti sur l'échiquier politique. Le débat fit rage entre autour de la position à adopter. Ce travail entraîna en conséquence une réflexion autour de la nature de l'APRA. Or ce débat passait obligatoirement, par un regard sur les origines.

* 240 Arturo Sabroso, La Marseillaise apriste, Hymne officiel de l'APRA. Voir annexe, p.3

* 241 Sanchez Luis Alberto, op. cit., p.317

* 242 « Lorsque le Comercio de Lima, laissant de côté son animosité avec Leguia, applaudit chaleureusement les mesures répressive contre les étudiants et les ouvriers dans leur majorité proches des Universités Populaires, Haya de la Torre répondit par une violente lettre de protestation et de dénonciation, qu'il adressa à Joaquin García Monje, qui la publia dans son inoubliable et autorisée revue Repertorio Americano (1927). Les termes de cette missive étaient dédiés à la famille Miró Quesada. Ces derniers, Sanchez Luis Alberto, op. cit., p.317-318

* 243 « Le journal exproprié à la famille Durand, reproduisait chaque communiqué de Haya en le faussant, alors que le Comercio ne les publiait pas, mais couvrait son auteur d'injures. », Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.317-318

* 244 Sanchez Luis Alberto, op.cit., p.318

* 245 Alvarez Junco, op. cit., p.21

* 246 Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 247 Ce caractère n'est pas sans rappeler l'hégélianisme de Haya de la Torre dans « El problema histórico de nuestra América» (Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.21-23

* 248  Dorna Alexandre, op. cit., p.27

* 249  Dorna Alexandre, op. cit., p.27

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