Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique( Télécharger le fichier original )par Daniel Iglesias Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004 |
b) La figure de caudilloQuestion inextricable pour certain comme Luc Ferry qui invite à « laisser de côté la question intéressante, mais probablement insoluble de l'origine de l'autorité personnelle »234(*), objet difficilement appréhendable pour d'autres qui insiste sur le fait qu'il « n'existe pas de traits universels pour identifier le leadership »235(*), le leadership a toujours donné lieu à de multiples interprétations sur sa nature et ses liens avec le corps social. Selon les travaux de Bass, le leadership s'explique dans la capacité d'un homme à manier les outils symboliques, en vue de pénétrer la sphère publique et privée, et d'y installer durablement son image sociale. Or cette définition, semble très bien convenir à la tradition apriste, où les discours n'ont cessé d'exhiber une image d'un parti proche de la population, avec un chef identifié au peuple comme un « homme de la rue ». Les Mémoires de Luis Alberto Sanchez ne virent en rien modifier cette logique, et cette construction d'un imaginaire politique structurant. Pis, ils le structuraient d'avantage par le recours à de nouvelles formes d'expression du pouvoir de Haya de la Torre. Ils réaffirmaient les compétences politiques de ce dernier, et son pouvoir de commandement inégalé. L'utilisation d'anecdotes, de souvenirs ponctués d'un degré élevé de spiritualisme et de symbolisme, jouait alors un rôle déterminant dans l'extériorisation des compétences du leader apriste. Revenant ponctuellement sur les premières activités politiques de ce dernier, le récit propulsait le travail d'affermissement de l'idée d'une autorité naturelle et rationnelle chez Haya de la Torre. Tenu à l'intérieur d'étroites limites, du fait de la complexité de lieux et des faits décrits par l'auteur, cette démonstration visait à transformer un exercice ponctuel du pouvoir, en une manifestation de puissance, et de ce fait, légitimer son autorité. En d'autres termes, cette utilisation du passé politique du jeune Haya montrait un jeune homme qui possédait toutes les capacités pour commander et se faire obéir. Car comme le souligne très bien Xénophon dans son Apologie de Socrate : « En toutes affaires, les hommes consent à obéir à ceux qu'ils jugent supérieurs ». Illustrant cette vocation à diriger par l'anecdote sur son choix d'orientation professionnelle236(*) ou pour le récit de l'arrivée de Trujillo, l'auteur témoignait longuement sur les qualités et le parcours d'un jeune hors normes, et déjà sensiblement inquiet au sujet des problèmes sociaux237(*). Luis Alberto Sanchez portait cette inquiétude, en montrant la portée revendicative du jeune étudiant Haya de la Torre, au sein d'un univers fermé comme l'Université238(*). Mais encore, il en soulignait le passé combatif dans sa ville d'origine, en y indiquant qu'il luttait à chaque occasion à coté des ouvriers et des premières victimes du fléau impérialiste. Discours simple et précis, la description du leadership de Haya de la Torre transmettait la vision d'un homme faisant propre des valeurs communes. Cette proximité avec des vérités établies, était établie en tant que vecteur de socialisation autour de sa personne, tant elle intégrait des idées propres à un « large spectre social »239(*). L'ambiguïté de ce message résidait dans sa capacité à revendiquer sa proximité au peuple, tout en créant à la fois une mythologie d'une figure supra sociale. Sentant la douleur des ouvriers de Trujillo, découvrant le mode d'organisation des animaux, son enfance traduisait sa force de caractère et la conviction dans ses idéaux. Scénographie de par sa nature volage et dynamique, elle remplissait les coeurs et l'esprit d'images et de symboles d'une forte puissante évocatrice. Loin de rester dans la simple sphère commémoratrice, Luis Alberto Sanchez cherchait également à approfondir le poids symbolique de Haya de la Torre en le qualifiant de victime. Son récit tourna dès lors vers la construction d'un passé de victime, qui transférait la mémoire de victime du parti à sa personne. * 234 Luc Ferry, Le Point du 28 février 1998 * 235 Dorna Alexandre, op. cit., p.32 * 236 « `'--Je ne serai pas un simple huissier, mais un avocat. Je défendrai les causes justes.'' `'--Alors tu mourras de faim--rumina Agustín'' `' -- Cela peu importe, mais je ne serai pas un petit huissier'' », Sanchez Luis Alberto, op. cit.
* 237 « Les discussions avec les ouvriers lui ouvrirent de nouveaux horizons. Des braves travailleurs de Cartavio, de Laredo, de Chiclín, évoquaient les injustices patronales. Chacun avait une offense subie à partager. », Sanchez Luis Alberto, op. cit. * 238 « A Trujillo, Víctor Raúl entra à l'Université de la Libertad. Dans son désir de réunion et de coopération, il créa le Centre Universitaire, qui l'élut d'abord comme secrétaire, puis comme vice-président », Sanchez Luis Alberto, op. cit. * 239 Alvarez Junco, op. cit. |
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