Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique( Télécharger le fichier original )par Daniel Iglesias Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004 |
b) Le symbolisme politique de la rupture avec MariáteguiL'interprétation de la rupture entre Haya de la Torre et Mariátegui demeure l'une des données les plus significatives de la culture politique péruvienne. Elle résulte d'une longue lutte qui commença dès 1929, et qui se prolongea parmi les proches de chacun de ses deux icônes. Les Mémoires de Luis Alberto Sanchez se placèrent elles aussi dans ce débat, et elles en alimentèrent les rivalités, tant ce livre présentait un fourmillement de données historiques. La nouveauté qu'introduisit Luis Alberto Sanchez, pourtant très proche dans sa jeunesse de l'homme de l'Amauta, fut qu'il développa un dispositif de mise en concurrence entre Mariategui et Haya de la Torre. Il procéda pour cela à de multiples comparaisons entre les deux hommes, et ne se priva pas mettre en avant le paternalisme et la précocité qu'avait le leader apriste sur l'auteur de Sept Essais d'Interprétation de la Réalité Péruvienne. Les livres les plus significatifs de ces derniers entrèrent dans cette logique, faisant de l'oeuvre de Haya de la Torre, le caractère précurseur du renouvellement de la gauche péruvienne du fait que « son livre Pour l'émancipation de l'Amérique latine de 1927, édité par Gleizer, à Buenos-Aires, avait circulé sans obstacles, bien avant les Sept Essais d'Interprétation de la Réalité Péruvienne de Mariategui... »166(*). Revenant sur l'expulsion de Mariátegui et Falcón de 1919, l'ouvrage signalait que le retour au pays du premier avait été très difficile. Mariategui en effet, avait souffert de la polémique autour de son départ en exil167(*), et ça avait été Haya de la Torre en personne qui lui avait permit de revivre politiquement. Le chef de l'APRA, alors président de la Fédération des Etudiants Péruviens, s'était alors chargé de le faire réintroduire dans les mouvements contestataires, en jouant de tout son charisme pour le faire accepter parmi les ouvriers et les réticents. Il lui avait même permit de devenir professeur des Universités Populaires qu'il avait créées. Luis Alberto Sanchez se basait pour finir sur ce fait, pour défendre l'idée que ce fut grâce Haya de la Torre que commença l'activité sociale et politique de Mariategui168(*). Ce paternalisme de Haya de la Torre se poursuivait également, selon Luis Alberto Sanchez, sur le terrain idéologique. Pour lui, il existait plus qu'une filiation aux niveau des idées, entre la revue Amauta et le Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels. Il s'agissait plutôt d'un enfantement, qui permit à Mariategui de mener à terme son projet de revue politique progressiste169(*). Comme le soutenait l'auteur en citant Mariátegui, les milieux contestataires péruviens vivaient à l'époque dans l'expectative des apports et de l'expérience de Haya de la Torre alors en exil en Europe170(*). Parallèlement à ces éclaircissements, Luis Alberto Sanchez mit en place une véritable instrumentalisation de la rupture entre marxistes et apristes. Il cultiva la théorie du complot, mettant ostensiblement en avant, la lâcheté des premiers face au courageux projet préparé par les exilés apristes en vue de renverser Leguia. Il les accusa d'avoir fait échouer le projet, d'avoir provoqué des arrestations dans les rangs de l'APRA, et de n'avoir disposé d'aucun courage politique d'opposition171(*). La présentation de la trahison d'Eudocio Ravines quant à elle, marqua le sommet du retournement de position des marxistes. Ayant assisté au Congrès Anti-impérialiste de Bruxelles avec Haya de la Torre, Ravines fut présenté comme le grand instigateur de la rupture, jouant à cette occasion un rôle de « trompe-l'oeil », qui fit que Mariátegui « confondit cette campagne dynamique et politique de Haya de la Torre contre Leguia, comme une expression de l'individualisme du caudillisme »172(*) . Critiqué comme un séparatiste pour avoir quitté le secrétariat de la Cellule Apriste de Paris, Eudocio Ravines était d'autant plus traître, que dès qu'il posa un pied sur le territoire péruvien, il qualifia son ancien compagnon de voyage en Europe, Haya de la Torre, de « totalitaire, de néofasciste, d'ambitieux, et d'individualiste»173(*). Cette critique se poursuivit finalement en rappelant que leurs anciens collaborateurs livrèrent des documents de Haya de la Torre au gouvernement de Leguia, qui s'empressa de les publier dans la presse officielle, accompagnés de commentaires salaces. Ainsi présentée, cette rupture servit aux apristes pour exprimer leur origine et remettre à l'ordre du jour leur image de « cavalier seul contre tous », que les alliances parlementaires avaient brisées. Elle permit surtout de signifier leur positionnement sur l'échiquier politique péruvien, et de quantifier les injustices à leurs égards. La rupture servit pour monter la connivence d'intérêts entre la droite dictatoriale et « la gauche européiste » ou le mariatéguisme. Présentée comme une permanence, cette connivence fut introduite comme une atteinte à la démocratie, dont l'APRA restait le principal supporter. Cette manifestation, nous disait Sanchez, vérifiait la nécessité d'opter pour des partis qui puissent lutter contre la menace que représente le totalitarisme. Pour finir, la rupture des années 1920 faisait du marxisme l'Adversaire, voire l'ennemi à abattre, qu'il fallait critiquer, même par des coups bas174(*). La prise de distance définitive avec le marxisme permit à l'APRA de se restructurer autour de son passé. Non content de signifier la nature non marxiste de son parti, l'auteur prolongea son travail de réveil identitaire en revenant sur les faits marquants des origines de l'aprisme. Il fallait dès lors, faire renaître les symboliques apristes, et raviver l'épopée des années 1920, que les participations au pouvoir avaient partiellement effacées. * 166 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.318 * 167 « A ce moment se murmurait que tous les deux avait été acheté. La chose fit son chemin. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.302 * 168 « Haya de la Torre compromit Arturo Sabroso, Conde, Nalvarete, Posada, Rios, et à tous les leaders ouviers sous son influence directe, pour qu'ils accordent un affidavit temporel à Mariategui. Ce fut le début de l'activité sociale et socialiste de Mariátegui. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.302 * 169 « La planification d'Amauta se fit dans les lignes directrices du le Front Unique des Travailleurs Manuels et Intellectuels, lancé par Haya de la Torre et l'APRA. », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.306 * 170« Victor Raúl est en ce moment en Russie, il va certainement nous apporter des choses nouvelles », Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.304
* 171 «...Cette opération [l'invasion du Pérou par le nord du pays] échoua à cause de la négative au projet de la part du groupe de l'Amauta autour de Mariategui, tout comme l'intervention de la diplomatie américaine présente à Pánama et lié à Leguía », Luis Alberto Sanchez, op. cit., * 172 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.319 * 173 Luis Alberto Sanchez, op. cit., p.319 * 174 «...l'histoire idéologique de l'auteur de Siete Ensayos suvait le rythme de ses problèmes physiques... », Seoane, in Luis Alberto Sanchez, op. cit. |
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