CHAPITRE 4 : ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES
DONNÉES
Tel que nous avons discuté dans les chapitres
précédents, l'autonomie des jeunes scripteurs/lecteurs
représente un enjeu indéniable dans leur réussite à
l'école. Cette réussite dépend de plusieurs facteurs qui
s'y relient, dont la métacognition et la motivation. Des outils
de planification et contrôle de projet ont
été utilisés dans des buts méthodologiques et
métacognitifs afin de soutenir le travail quotidien de ces jeunes.
Notre recherche consiste, en fait, d'un programme
d'entraînement systématique et explicite qui vise le
développement du processus d'autonomisation à travers la
métacognition,
le pivot de l'autonomisation selon Grangeat, 1997. Il
s'agit d'un travail de médiation instrumentée qui
mène aux prises de conscience des apprenants dans des
situations d'apprentissage faisant appel à la résolution de
problèmes (Grangeat, 1997). Nous supposons que plus les
scripteurs/lecteurs prennent conscience de ce qu'ils savent ou ne savent pas ou
de
ce qu'ils peuvent faire ou ne peuvent pas faire, plus ils
seront capables d'un pilotage adéquat vers la réussite
visée (Barbot et Camatarri, 1999) ; en d'autres mots,
grâce aux outils et techniques en planification et contrôle
projet, ils développeront des compétences d'ordre
méthodologique et métacognitif tout au long de la
réalisation des tâches d'écriture et de lecture.
D'après Grangeat (1997), la métacognition est un facteur
d'autonomisation ; puisqu'elle permet l'engagement du moi dans l'apprentissage,
le travail sur le développement
de la métacognition représente une part
dominante dans l'application des outils en planification et
contrôle de projet qui, en effet, ont été utilisées
dans un but métacognitif vers
l'autonomisation de l'apprentissage. L'analyse des prises de
conscience à différents degrés des scripteurs/lecteurs,
selon les trois axes fournis par Grangeat (1997) nous sert de base
sur laquelle se fond l'analyse portant sur le développement du
processus d'autonomisation. Chaque partie de l'analyse est composée
d'une analyse détaillée suivie d'une synthèse.
L'analyse des données par rapport au premier
objectif de recherche « Analyser le discours des
scripteurs/lecteurs du secondaire au sujet du développement de la
métacognition
en lien avec l'application des pratiques et techniques en
planification et contrôle de projet en classe de français langue
maternelle» est basée sur les réponses obtenues lors de
l'entrevue. Pas de métacognition, pas d'autonomisation, comme a
affirmé Grangeat (1997), l'analyse de cette première piste
aura un impact causal sur l'autre aspect qu'est le processus
d'autonomisation. Ce travail occupe ainsi la partie la plus volumineuse de
l'analyse et porte
sur les trois axes proposés par Grangeat (1997) : la
personne, la tâche et les stratégies.
L'analyse des données par rapport au
deuxième objectif de recherche « Analyser
le discours des scripteurs/lecteurs du premier cycle du
secondaire au sujet du développement
de leur processus d'autonomisation en lien avec l'application
des pratiques et techniques en planification et contrôle de projet en
classe de français langue maternelle » dérive des
résultats recueillis concernant les trois pistes d'inférence de
la métacognition mentionnées ci-haut. Le processus
d'autonomisation faisant appel au développement du soi de
l'apprenant, un scripteur/lecteur conscient de ses gestes, de lui-même
comme actant, se situe ainsi dans une des stades de développement de ce
processus décrit par Morin & Brief (1995).
Pour arriver à établir les critères
d'analyse du processus d'autonomisation, nous avons
fait appel aux trois degrés d'abstraction fournis
par Barth (1987) que sont la description chronologique (perception),
l'analyse logique (représentation mentale) et la conceptualisation
(abstraction). De là, un parallèle a été
possible entre la métacognition et le processus d'autonomisation
selon le tableau suivant :
DEGRÉ D'ABSTRACTION Barth (1987)
|
MÉTACOGNITION
Grangeat (1997)
|
PROCESSUS D'AUTONOMISATION Morin & Brief
(1995)
|
ÉVOLUTION
DU MOI
Morin & Brief
(1995)
|
Description chronologique
(perception)
Niveau empirique
|
La personne
1- énonciation
2- décentration
|
Autoinitiation
|
Formation du Moi
|
Analyse logique (représentation mentale) Niveau
réfléchissant
|
La tâche
1- référenciation
2- perception des éléments implicites
|
Autointégration
|
Inscription du Moi au monde
|
Conceptualisation
(abstraction)
Niveau conceptualisant
|
Les stratégies
1- appréciation
2- adaptation
3- anticipation
|
Autoréalisation
Autonomie intégrale
|
Élargissement du
Moi
Prise de conscience de soi
|
Tableau 5. Relation entre le degré
d'abstraction des scripteurs/lecteurs (métacognition) et la
dimension de leur Moi.
Tel qu'indique la quatrième colonne, ce
parallélisme nous a aussi permis d'établir le
degré de la construction du Moi des scripteurs/lecteurs
tel qu'a indiqué Morin & Brief (1995).
4.1 PREMIER OBJECTIF DE RECHERCHE : LA
MÉTACOGNITION
« Analyser le discours des scripteurs/lecteurs du
premier cycle du secondaire au sujet du développement de la
métacognition en lien avec l'application des pratiques et techniques en
planification et contrôle de projet en classe de français langue
maternelle »
Afin d'arriver à ce premier objectif, nous
avons cherché à vérifier si les
scripteurs/lecteurs étaient conscients de leur apprentissage en
termes de façons de faire, d'objectif, de sens de la tâche,
d'effort et de stratégies (blocs de questions à l'entrevue semi-
dirigée). Rappelons qu'en général, nous entendons, par
métacognition, la connaissance qu'une personne a de ses propres
connaissances ainsi que de ses propres processus cognitifs, soit un
contrôle, une correction de la production à partir d'un
répertoire de savoirs emmagasiné en mémoire.
En général, les quatre scripteurs/lecteurs ont tous
pu expliciter comment ils sont arrivés
à traverser le processus d'écriture tel que
décrit par Flower et Hayes (1980), soit une activité cognitive
de type résolution de problème (Hayes & al., 1987)
ainsi que les macro et micro processus de lecture selon Giasson (1995).
Cependant, le degré de conscience et d'habileté varie d'un
scripteur/lecteur à l'autre, de même que d'un axe à
l'autre. Plus le scripteur/lecteur
est doté de connaissances métacognitives,
d'ordre déclaratif et procédural, plus il serait capable
d'opérer seul les tâches d'apprentissage et donc, de
progresser dans le processus d'autonomisation. Tel que nous avons
déjà mentionné, selon Grangeat (1997, p. 97),
« la réussite, c'est toujours améliorer
l'autonomisation. » Pour une analyse fine des propos recueillis,
nous précisons qu'il serait nécessaire de détailler
davantage les indicateurs pour inférer la métacognition,
suivant l'esprit des textes et rapports de recherche publiés
par ce même auteur.
L'entrevue semi-dirigée a amené les
scripteurs/lecteurs à revenir sur le processus d'écriture et
de lecture du début jusqu'à la fin, c'est-à-dire de
l'étape de la recherche d'idées à celle de la
révision du texte, dans le cas de l'écriture; tout comme
de l'étape de la compréhension des mots et des phrases
(micro-processus) et celle du texte (macro-processus), dans le cas de la
lecture. Chaque bloc de questions, tel que montré à la section
3.4.1, visait le degré de conscience (signe de la métacognition)
ou d'abstraction de leur propre apprentissage selon Barth (1987), à
différentes étapes de la réalisation de ces tâches
en écriture et en lecture,
et ce, aux trois axes déjà nommés
ci-haut.
Voici le tableau synthèse des pistes d'analyse
accompagnées des codes ; ces pistes ont
été établies selon les indicateurs
d'inférence fournis par Grangeat (1997). Ce tableau est en
fait une reproduction du tableau 3 (issu du cadre
théorique) accompagnée des codes d'analyse. Nous voulons y
démontrer qu'à chaque niveau de conscience du scripteur/lecteur
existerait
un niveau équivalent de développement du
processus d'autonomisation selon Morin & Brief (1995). L'explication du
lien établi entre ces facteurs a été faite
antérieurement lors de la présentation du tableau 3.
CONCEPTS Métacognition (Grangeat,
1997) Processus
d'autonomisation
AXES INDICATEURS Le scripteur/lecteur est (Morin &
Brief, 1995)
D'ANALYSE CONSCIENT: Évolution psychique par
enrichissement
|
Gestion de projet
|
Lien avec Gestion de projet
|
PERSONNE
|
ÉNONCIATION
|
des procédures de façon chronologique (description
chronologique - niveau empirique)
|
Auto- initiation
|
Prédisposition
Orientée
|
OBJECTIF
GESTION DES RESSOURCES
RÉGULATION
ÉVALUATION
PLANIFICATION CONTRÔLE
|
P(ÉNO)
|
DÉCENTRATION
|
du savoir comme objet (le
soi vis-à-vis le savoir)
|
Auto-intégration
|
Durée
+ début
|
P(DÉC-
SOI)
|
de l'apport de l'enseignante
|
P(DÉC-
ENS)
|
de l'apport des pairs
|
P(DÉC-
PAIR)
|
TÂCHE
|
RÉFÉRENCIATION
|
Outils (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
+ fin
+ résultat
|
T(RÉF-
O)
|
Processus (pendant
l'exécution d'une tâche antérieure)
|
T(RÉF- PRO)
|
Ens. (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
T(RÉF-
ENS)
|
Pairs (pendant l'exécution
d'une tâche antérieure)
|
T(RÉF-
PAIR)
|
PERCEPTION DES ÉLÉMENTS IMPLICITES
|
Buts
|
Auto-réalisation
|
+ But
+ Visée
|
T(BUT)
|
Processus
|
T(PRO)
|
Performance
|
T(PER)
|
STRATÉGIES
|
APPRÉCIATION (évaluation)
|
Soi (pouvoir d'apprendre)
+/-
|
+ Effet
|
S(APP-
SOI)
|
Outils
|
S(APP-
O)
|
Ens.
|
S(APP-
ENS)
|
Pairs
|
S(APP-
PAIR)
|
ADAPTATION
|
(régulation/contrôle)
|
+ Objectif
|
S(ADA)
|
ANTICIPATION
|
Planification opératoire
|
Autonomie
|
+ Intention
+ Dessein
|
S(ANT)
|
Tableau 6. Description
détaillée des indicateurs de la métacognition selon
Grangeat (1997)
avec codification
intégrale
Ce tableau nous a servi de guide dans les notions
présentées aux sections qui suivent.
4.1.1 Les indicateurs sur la personne
Les indicateurs sur la personne comptent
l'énonciation et la décentration (de soi,
de l'enseignante, des pairs). Tel que
déjà mentionné au chapitre portant sur le cadre conceptuel
à ce sujet et visualisé dans le tableau 6 de la page
précédente, rappelons que ces deux concepts ne sont pas
complètement dissociés, il y a une progression psychique qui les
distingue comme des phases ou stades selon les notions sur l'abstraction dont
parle Doly (dans Grangeat, 1997). Nous avons complété les indices
par ceux fournis par Barth (1987).
4.1.1.1 L'énonciation
Au stade de l'énonciation, le scripteur/lecteur
est capable de décrire son
expérience, c'est-à-dire ses propres
processus et états mentaux lors de la réalisation
des tâches et ce, de façon chronologique et
contextualisée. Cette explicitation témoigne d'une construction
des connaissances. Pour l'écriture, le scripteur/lecteur E1
relate11 :
« Comme M., elle nous a appris, tu fais un
plan. Pis ld, tu mets tout sur tes sujets, toutes tes idées
ld-dessus puis après ca... hen ld.... tu jettes ce qui n=est
pas hon, tu les places ... puis ca forme des petites phrases ld... puis
après, tu l=agrandis
en paragraphes.. ».
C'est une description chronologique et
contextualisée où l'enseignante semble occuper encore une
place assez marquante; nous voyons bien qu'au niveau de la
métacognition, dans cette tâche, la représentation est
située au stade
11 Nous avons respecté les structures de
phrase des participants dans les transcriptions de verbatim.
de l'énonciation, car il n'y a qu'une description
empirique et aucune analyse de l'expérience. Quant au
scripteur/lecteur 2, celui-ci décrit :
« Ben, ca dépend... Comme mettons, si ca
serait descriptif, je chercherais des, comme... un sujet pis je
décrirais le sujet comme avec des facons.... comme admettons
comme sujet ... comme tu partirais comme des... comme je... admettons
je parlerai de... un ours, comme exemple... Pis
ld, ben, je décrirais comme admettons, la facon qu'il vit, son mode,
son mode de vie premièrement, la facon qu=il nourrissait ses
bébés, pis tout ca ld... la facon que je décris pis d
mesure...
ben, je fais des nouveaux paragraphes... Ce serait comme ca,
pis ..narratif, mais je raconterais une histoire... ».
Contrairement au scripteur/lecteur E1, celui-ci est
déjà capable de s'éloigner des expériences
vécues. Il nomme des exemples non contextualisés et fait
la distinction entre deux types de texte, le descriptif et le narratif. Il
entre donc dans
la phase de la décentration où il prend
en compte le résultat de l'activité. Son rapport au savoir
est plus distancié que celui du scripteur/lecteur E1 et pourtant, tous
les deux sont au même niveau scolaire. Pour ces deux scripteurs/lecteurs
du niveau de la première secondaire, ce ne sont que des
métaconnaissances de type déclaratif qui se diffèrent au
niveau de la contextualisation, puisqu'en somme, ce sont deux descriptions
chronologiques des expériences. Le scripeur/lecteur E2
révèle un début du développement des
processus métacognitifs ou des métaconnaissances de type
conditionnel : il fait la différence entre deux situations
différentes, celle d'un texte descriptif et celle d'un texte narratif
où il est capable d'entrevoir, respectivement, des façons de
faire différentes.
Dans le cas des deux scripteurs/lecteurs de la
deuxième secondaire, le scripteur/lecteur E3 déclare en premier
:
«Ben, .... une bonne et si t=as pas une
bonne, .... M. elle va t=aider, elle aide tout
le temps ld.. (...) J=sais pas...
c=est dans ma tête ld... souvent. Comme elle nous
passait des livres pour les trouver des fois ld.
»
Quant au scripteur/lecteur E4, celui-ci confie : «
Je les trouve en m'inspirant avec quelque chose que j'ai déjd
vécue (...) j'ai entendu parler dans les journals, d la
télé... »
Ce dernier a un rapport nettement distancié avec le
savoir. Il a donc emmagasiné des métaconnaissances
(déclaratives) et a développé des processus
métacognitifs (métaconnaissances conditionnelles) car il
connaît le « chemin » d'aller chercher ses connaissances
antérieures. Le scripteur/lecteur E3, quant à lui, n'a que
des métaconnaissances de type déclaratif, mais que
celles-ci commencent à être décontextualisées, il
voit le début et la fin de l'expérience : « au
début, on fait un plan
avec des mots-clés... Pis, après
ça... on fait... on commence d l=écrire, puis on fait sa
correction,
après on fait notre propre... ». Il
sait où et comment aller chercher de l'aide dans une situation de
résolution de problème (panne d'idées) mais ce ne
sont là que des aides «extérieures », soient
l'enseignante ou les ressources matérielles mises à sa
disposition; de lui-même, il n'est pas encore capable de se frayer un
chemin pour aller chercher ses autres expériences (internes)
antérieures, comme le scripteur/lecteur E4. Cet élève
paraît se situer entre le stade de l'énonciation et celui de la
décentration, tandis que le scripteur/lecteur E4 est, de toute
évidence,
au stade de la décentration : décentration
à la fois du soi et du savoir, de même que du soi et de l'aide
extérieure. Non seulement celui-ci est capable de décrire
l'expérience succinctement, mais il y a aussi saisi le résultat
et l'effet : « Je fais un plan... détaillé. OK. Je fais
la situation initiale, la situation finale, puis les péripéties
puis tout ça...Pis.. ....ça, ça m'aide B
m'organiser et ça me sauve du temps aussi... ».
En faisant abstraction des connaissances de type
déclaratif du plan et en mettant plus d'accent sur l'aspect
procédural de la tâche, les scripteurs/lecteurs E3 et E4 font
preuve de la capacité d'abstraction réfléchissante, donc
le niveau de
la décentration. Nous pouvons même dire que le
scripteur/lecteur E4 arrive au niveau d'abstraction réfléchie
selon Doly (dans Grangeat, 1997) en pointant l'utilité de cette
façon de faire pour lui (« ça m'aide d
m'organiser et ça me sauve du temps aussi »). La
tâche représente pour lui un objet avec lequel il a pu
établir une certaine distance, avec un certain degré d'engagement
du Moi.
À travers ce qui a été dit, nous avons pu
faire le parallèle avec les outils en planification et contrôle de
projet que nous avons utilisés. Les jeunes ont pu tous nommer et
décrire leurs connaissances déclaratives sur les
différentes tâches en écriture, au stade de la
planification et de la réalisation. Ceci reflète le
travail mettant en pratique le principe de fractionnement des tâches en
planification et contrôle de projet. Ensuite vient l'ordonnancement de
tâches, tous les élèves ont
pu immédiatement mettre en évidence l'aspect
procédural de la planification du texte et de la mise en texte ainsi que
la révision de texte. Nous pouvons voir ici que les notions de
gestion des ressources en planification et contrôle de projet
(habiletés de niveau général) ont été
mieux retenues que les outils propres à la didactique
(habiletés spécifiques) concernant la tâche de
révision, exception faite pour le scripteur/lecteur E4 qui a pu les
détailler.
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