Section 2. DE L'INTEROPÉRABILITÉ À
L'EXISTENCE DE « VERROUS NUMÉRIQUES »
La généralisation des moyens techniques de
protection des oeuvres suscite de nombreuses contestations par les associations
de consommateurs mais pas uniquement : en effet certains producteurs
utilisant ces moyens découvrent qu'ils ne sont parfois pas compatibles
entre eux, ce qui peut poser des problèmes pour la diffusion
auprès du public. En l'absence de format standard, les grands groupes
industriels qui contrôlent les mesures techniques de protection se voient
assurer une réelle suprématie. Une oeuvre
téléchargée sur un site payant ne sera pas lisible par le
baladeur numérique qui ne reconnaît pas son format. Autrement dit,
pour profiter de son baladeur, il faut nécessairement
télécharger des oeuvres sur le site proposé par le
fabricant dudit appareil. Les difficultés rencontrées pour
assurer l'interopérabilité des formats relèvent bien les
limites de la régulation technique (1) : « ces
systèmes ont pour conséquence de produire des logiques
commerciales propriétaires, dans lesquelles les consommateurs sont
enfermés 208(*)». Pour pallier à la diversité des
formats, une solution avait été proposé par le
législateur pour garantir l'interopérabilité (qui garantie
elle-même l'exception de copie privée), malheureusement ce projet
innovant n'a jamais vu le jour : le Conseil Constitutionnel s'étant
prononcé récemment sur son inconstitutionnalité. Cette
position bouleverse non seulement le monde numérique et les
possibilités d'échanges, mais par ricochet celle-ci a aussi une
incidence sur la prise en compte des peines en courues (2).
1.
L'interopérabilité des formats : une faveur
éphémère accordée aux utilisateurs
Les articles L. 331-5 et suivants du Code de la
propriété intellectuelle fixent le cadre juridique des mesures
techniques de protection, le texte essayant d'atteindre un équilibre
entre les intérêts contradictoires de l'industrie culturelle et
ceux des consommateurs. Il s'agit selon la loi d'assurer «
l'interopérabilité ». Les mesures techniques de protection
doivent être compatibles avec les systèmes de lecture des oeuvres
(a). En pratique, une oeuvre couverte par un « verrou » doit
être accessible par les systèmes de lecture qui le souhaitent.
C'est alors la seule alternative qui s'offre aux utilisateurs pour
« forcer » la protection de mesures techniques et parvenir
à lire le contenu de l'oeuvre quelqu'en soit la provenance (b).
a) L'accessibilité
à l'oeuvre passe par l'interopérabilité des formats
propriétaires
L'interopérabilité est la seule solution pour
les utilisateurs de prendre connaissance de l'oeuvre quand celle-ci est soumise
à une mesure de protection qui n'est pas reconnue comme compatible avec
un format propriétaire différent.
Nous pouvons rappeler, pour exemple, une décision du
Conseil de la Concurrence en date du 9 novembre 2004209(*) : la
société VirginMega210(*), qui gère une plate-forme de musique en ligne
active sur le seul territoire français, avait saisi le Conseil de la
concurrence de pratiques mises en oeuvre par la société
Apple211(*) Computer
France. En effet il s'avérait que les consommateurs qui
téléchargeaient des titres musicaux sur la plate-forme VirginMega
ne pouvaient pas les transférer directement sur les baladeurs
numériques iPod, fabriqués et commercialisés par Apple.
L'impossibilité de transfert direct provenait de
l'incompatibilité des DRM utilisés par la plate-forme VirginMega
et les baladeurs iPod. VirginMega utilise le DRM de Microsoft, tandis que le
seul DRM compatible avec l'iPod est le DRM propriétaire
d'Apple, FairPlay212(*).
VirginMega a dans un premier temps demandé, une licence
à Apple, contre le paiement d'une redevance, de manière à
avoir accès à FairPlay et s'est vue opposer un refus. La
plaignante, considérant que ce refus d'accès constituait un abus
de position dominante d'Apple, avait donc saisi le conseil de la concurrence.
En effet selon la société VirginMega, Apple détiendrait
avec son baladeur iPod et sa plate-forme iTunes Music Store une position
dominante sur le marché téléchargement payant de musique
sur Internet
Outre la reconnaissance de l'abus de position dominante, la
plaignante souhaitait voir la société Apple enjointe d'«
accorder à toute entreprise qui en ferait la demande, dans un
délai d'un mois à compter de la décision à
intervenir, et dans des conditions économiques équitables et non
discriminatoires, un accès direct à tous les
éléments permettant le téléchargement et le
transfert des fichiers musicaux notamment sur lecteur iPod, tels que les
formats et son logiciel DRM de gestion des droits numériques ou «
digital rights management» FairPlay, avec la documentation technique
associée permettant à l'homme de l'art d'exploiter les
systèmes et de gérer les droits pour ledit
téléchargement ».
Le conseil de la concurrence a retenu, selon les
jurisprudences communautaires antérieures, que le caractère
indispensable ou non de l'accès à FairPlay pour le
développement des plates-formes payantes de téléchargement
de musique en ligne devait être apprécié au regard des
trois éléments :
- les usages actuels de la musique
téléchargée,
- les éventuelles possibilités de contournement
par les consommateurs
- et l'évolution de l'offre de baladeurs
numériques.
« Sur le 1er point il a été
jugé par le conseil que le transfert sur baladeur numérique n'est
pas un usage actuel prépondérant. Sur le second point le conseil
a retenu que le contournement de la protection est possible légalement
et aisément permettant ainsi de télécharger tout de
même la musique sur les baladeurs en question. Enfin pour le 3ème
point le Conseil a remarqué que l'offre en matière de baladeurs
numériques évolue de plus en plus vers des baladeurs compatibles
multi formats et notamment avec les formats de Virgin qui sont disponibles en
France. Par conséquent la saisine opérée par la
société VirginMega a été
rejetée ».
L'enjeu des mesures de protection est de pouvoir faire
émerger des normes standard, même si ces normes n'ont aucun
caractère obligatoire, la majorité des acteurs qui les utilisent
les rendent « presque obligatoires ». En effet un produit
qui ne serait pas compatible avec elles, aurait des difficultés à
se développer sur un marché donné. L'ensemble des contenus
produits et distribués doit être lisible par les utilisateurs,
c'est-à-dire que ceux-ci doivent être stockés,
distribués ou diffusés dans un format qui puisse être
reconnu par l'ensemble des lecteurs vendus dans le commerce
indépendamment de leur provenance213(*).
* 208 B. Du Marais,
« Régulation de l'Internet : des faux-semblants au retour
à la réalité », Revue F. d'administration
publique 2004, n°109, p.83.
* 209 Décision du
Conseil de la Concurrence n° 04-D-54 du 9 novembre 2004 relative à
des pratiques mises en oeuvre par la société Apple Computer, Inc.
dans les secteurs du téléchargement de musique sur Internet et
des baladeurs numériques.
* 210
http://www.virginmega.fr/
* 211
http://www.apple.com/
* 212 Il s'agit d'un format
destiné à assurer la gestion numérique des droits (DRM)
pour les morceaux vendus sur iTunes Music Store et installé
également dans les baladeurs iPod (
http://www.apple.com/lu/support/itunes/authorization.html).
* 213 Si les techniques de
cryptologie sont nécessaires à la gestion numérique des
contenus, cela ne peut pas se faire sans un langage approprié. Cela
implique en ce domaine une convergence de l'ensemble des acteurs vers un
langage commun. A l'heure actuelle, il n'y a pas encore de standards ; en
revanche, on peut d'ores et déjà indiquer que les standards ont
une base commune, le métalangage XrML déjà utilisé
et adopté dans l'industrie. Cette question est
déterminante dans la mesure où, la description des droits
« détermine aussi bien la nature
originaire des droits de propriété littéraire et
artistique que la place et la fonction des acteurs
respectifs, et l'ensemble des modes d'utilisations des
oeuvres, autrement dit les stratégies commerciales
présentes et futures ».
L'intérêt majeur du langage, est qu'il s'agit
d'un langage dit de description des droits permettant par là même
de mettre en place contractuellement des documents ayant vocation à
définir précisément « les conditions juridiques
d'exploitation et d'utilisation de certaines oeuvres par certaines
personnes sous certaines conditions (...) : Un système de
gestion numérique des droits associe donc un langage de description
de l'information sur les droits avec des mesures de protections
techniques visant à contrôler le respect du contrat
».
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