2. L'atteinte à la
qualité des produits
Avec les moyens
techniques de protection instaurés sur les différents
médias contenant les oeuvres, l'exception de copie privée est
mise à mal. Selon l'UFC Que Choisir195(*) « ces restrictions imposées
sont regrettables car dans l'ère numérique, la copie est
indispensable notamment pour transporter une oeuvre licitement acquise d'un
appareil à un autre ». L'association ajoute que ces
mesures vont restreindre le consommateur dans ses possibilités de
consultation des différentes oeuvres acquises du fait
d'incompatibilité entre ces protections et certains matériels. Il
semblerait donc que le « consommateur ne peut plus jouir
loyalement des oeuvres artistiques et culturelles qu'il a licitement
acquises » 196(*). Alors que les mesures techniques
de protection avaient été créées pour
empêcher les copies non autorisées, les
consommateurs (et les associations) se voient aujourd'hui
confrontés à une restriction qui est tout autre
: l'impossibilité de lire les CD sur certaines de leurs
platines.
Les
difficultés rencontrées par les consommateurs se manifestent par
des incompatibilités entre certains formats de protections et certains
appareils de lecture. Selon les associations, les dispositifs techniques mis en
place empêchent les consommateurs d'user du produit de manière
normale en empêchant par exemple leur diffusion sur certains types de
matériels197(*).
Les associations ont donc lancé des actions sur le fondement de la
tromperie et du vice caché et elles ont obtenu gain de cause.
Nous allons nous
pencher sur les applications jurisprudentielles de ces incompatibilités
techniques résultants de la mise en place de système de
protection sur les oeuvres.
Quelques affaires
ont contribué à médiatiser les difficultés et les
conséquences posées par la mise en place de mesures techniques de
protection, il s'agissait de CD audio assortis de mesures techniques de
protection et qui du fait de ces derniers ne pouvaient pas être lus sur
certains autoradios. À la suite de plaintes de particuliers, des
associations de consommateurs ont décidé de poursuivre les
producteurs des disques en question afin de rétablir les droits des
utilisateurs.
Une
première affaire concernait l'album « Au fur et à mesure
» de Liane Foly198(*), dont il a été rapporté, suite
à un test isolé, par constat d'huissier, l'impossibilité
d'être lu sur un autoradio standard livré de série sur un
véhicule. Sachant que l'article L. 421-149 du code la consommation
permet aux associations de consommateur agrées « d'exercer les
droits reconnus à la partie civile relativement aux faits
portant préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif des consommateurs », l'association de consommateur CLCV
(association pour la consommation, le logement et le cadre de vie) saisit alors
le Tribunal de grande Instance de Nanterre et agit contre la
société EMI, afin que le délit pénal de tromperie
soit reconnu et obtenir, d'une part, réparation du préjudice
que ce dernier a causé, et d'autre part, faire cesser la pratique
illicite.
Fondée sur
les dispositions de l'article L. 213-1 du Code de la consommation, l'action
visait à imposer à la société EMI Music
France l'obligation d'apposer sur les pochettes des CD vendus en magasin
un avertissement précisant que le produit culturel en cause
n'était pas susceptible d'être lu par certains autoradios. Le 24
juin 2003, le Tribunal de grande Instance de Nanterre199(*) ayant relevé que la
mention « ce CD contient un dispositif technique limitant les
possibilités de copie » ne permet pas au consommateur de
« savoir que ce système anti-copie est susceptible de
restreindre l'écoute de son disque sur un autoradio ou un
lecteur », il a été estimé que la
société EMI avait trompé l'acheteur sur les
qualités substantielles du bien. Ce silence permettant d'induire le
consommateur en erreur, et, en omettant de l'informer de ces restrictions, la
société EMI Music s'était ainsi rendue coupable de
tromperie sur l'aptitude à l'emploi de ces produits. L'association avait
estimé qu'« en omettant d'informer les acheteurs sur les
restrictions d'utilisation, la société EMI Music France
[commettait] le délit de tromperie sur les qualités
substantielles et l'aptitude à l'emploi du produit en
cause ».
Le Tribunal de
grande Instance de Nanterre fit droit aux demandes de la CLCV, en condamnant
EMI à 10 000 euros de dommages intérêts et ordonna, de
plus, que soit apposé sur le CD l'article L. 421-1 du code de la
consommation : « les associations régulièrement
déclarées ayant pour objet statutaire explicite la
défense des intérêts des consommateurs peuvent, si elles
ont été agréées à cette fin,
exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits
portant un préjudice direct ou indirect à
l'intérêt collectif des consommateurs. Les organisations
définies à l'article 2 du code de la famille et de l'aide sociale
sont dispensées de l'agrément pour agir en justice dans
les conditions prévues au présent article » ainsi
que la mention préconisée par la CLCV : «
attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou
autoradio ».
Bien que
l'association de consommateur ait gagné cette bataille judiciaire, il
convient toutefois de nuancer la décision : la tromperie, comme
tout délit pénal exige en plus de l'élément
matériel un élément intentionnel. Or, en l'espèce,
le tribunal estime que l'élément moral est constitué parce
que EMI Music « en tant que professionnel averti [...] ne pouvait
ignorer la possible inaptitude à l'emploi de certains
CD ». Selon M. Sardain200(*), « on aurait pu attendre d'avantages
d'exigences de la part du Tribunal, eu égard à la
sévérité des sanctions pénales
encourues ».
La deuxième
affaire incriminait le même procédé technique de protection
qui posait des difficultés de lecture du CD « J'veux du Live »
d'Alain Souchon. Ce CD ne pouvant être lu par une consommatrice sur son
autoradio, l'association de consommateurs UFC Que Choisir décida de se
joindre à elle pour assigner EMI France, et fait nouveau,
l'hypermarché lui ayant vendu le disque, à savoir la
société Auchan, sur le fondement des vices cachés et du
défaut d'information. La consommatrice réclamait une
indemnité sur le fondement de la garantie des vises cachés de
l'article 1641 du Code civil201(*), tandis que l'UFC Que Choisir souhaitait, plus
globalement, interdire l'utilisation de mesures techniques de protection sur
les disques commercialisés par EMI Music.
Le 2 septembre
2003, le Tribunal de grande Instance de Nanterre considéra
qu'étant « justifié par constat d'huissier que le CD
"J'veux du Live" de Françoise M. distribué par la
société EMI Music France fonctionne à l'intérieur
de sa maison tant sur son poste radio que sur sa chaîne Hi-Fi mais ne
fonctionne pas sur le lecteur CD de son véhicule Renault Clio alors
qu'un autre CD s'écoute normalement sur cet autoradio » [...],
la consommatrice avait « établi que le CD litigieux
n'était pas audible sur tous ses supports, » et qu'ainsi,
« cette anomalie avait restreint son utilisation et constituait un
vice caché au sens de l'article 1641 du code civil. »
Le tribunal a
ainsi jugé que si la chose délivrée était
« bien conforme au type promis », elle
était affectée « d'une anomalie ou d'une
défectuosité qui en [restreignait] l'usage »
permettant à l'acheteuse d'exercer une action rédhibitoire.
Toutefois, faute de pouvoir présenter une preuve d'achat (en
l'espèce, son ticket de caisse), la consommatrice n'a pu
obtenir la condamnation d'Auchan. Enfin, et c'est ce qui est
peut-être le plus important dans cet arrêt, le tribunal a
jugé irrecevable l'action de l'UFC Que Choisir visant à
interdire à EMI France d'utiliser les dites « mesure
technique de protection », faute d'avoir été
intentée au principale202(*). Les juges ont estimé que, même
répétés les incidents de lecture ne permettent pas de
conclure à l'illicéité de principe des mesures techniques
de protection. Quand bien même l'action aurait été
recevable, comment les juges auraient-ils pu ordonner la suppression des
mesures techniques de protection, dont la protection est expressément
prévue par le Traité OMPI du 20 décembre 1996 ainsi que
par l'article 6 de la directive du 22 mai 2001 ?
Il ne fait aucun
doute que les affaires impliquant EMI Music France (basées sur une
contestation visant les supports d'enregistrement des oeuvres) trahissent en
réalité un malaise plus profond, lié au conflit entre
l'exception pour copie privée et les mesures techniques de protection
des oeuvres.
Nous pouvons
admettre qu'il est difficile de contrôler le respect du droit d'auteur,
surtout lorsque les modes de consommation et d'utilisation des oeuvres ont
changé. Toutefois, afin d'empêcher les risques de
contrefaçon, les mesures techniques apparaissent comme efficaces mais
parfois empêchent un usage licite de l'oeuvre. Ce n'est pas le
contrefacteur qui est alors touché, mais
« l'honnête » consommateur. Ces différentes
victoires des associations de consommateurs et des particuliers ont
contribué à mettre en lumière les atteintes qui pourraient
être portées aux droits des consommateurs par ces mesures de
protection : atteinte à l'exception de copie privée ou tout
simplement vente de produits comportant des « vices
cachés »203(*).
Enfin, un dernier
exemple de contestation : le 28 février dernier, un consommateur
ainsi que l'UFC-Que Choisir, avaient porté plainte contre les
sociétés Films Alain Sarde, Universal Picture Vidéo France
et Studio Canal204(*) au
motif qu'il était impossible de réaliser la copie du DVD d'un
film produit et distribué par les dites sociétés. Les
plaignants reprochaient notamment aux défendeurs d'avoir
inséré un dispositif technique contre la copie sur le
média sans en informer les acheteurs. Cette pratique serait, selon les
demandeurs, contraire à ce qu'exige normalement l'article L.111-1 du
Code de la consommation qui dispose que « tout professionnel
vendeur de biens ou prestataire de services doit, avant la conclusion du
contrat, mettre le consommateur en mesure de connaître les
caractéristiques essentielles du bien ou du service ». La
Cour d'appel avait décidé à ce propos que l'apposition de
la seule indication « CP » (qui aurait
signifié copie prohibée), « figurant au surplus en
caractères de petites dimensions, le consommateur n'avait pas
été suffisamment informé sur les caractéristiques
essentielles du support DVD qu'il a acheté » et que
« CP est susceptible de recevoir
d'autres acceptions, d'autant plus que le consommateur sait que les copies
à des fins privées sont autorisées ».
Les mesures de
contrôle de copie, justifiées par les fondements du droit exclusif
de l'auteur, ont été placées au centre du dispositif
juridique pour favoriser une économie durable de la création.
Toutefois ces mesures techniques apparaissent tant par leur objet que par leur
principe de fonctionnement, notamment pour le CD Audio, relativement rustiques,
fragiles et provisoires, dans l'attente de nouveaux formats205(*). Elles conduisent à
une réduction technique du périmètre de la copie
privée, sous réserve des « mesures appropriées
» que les Etats voudront bien prendre. Elles posent aujourd'hui
plusieurs catégories principales de difficultés aux utilisateurs
:
- une diminution
aléatoire de la « jouabilité » des CD
Audio : elle reste aléatoire, mal
maîtrisée, et peu susceptible de progrès significatifs sauf
à diminuer fortement le degré de protection.
- une information
insuffisante pour le moment et sans doute difficile à harmoniser et
simplifier compte tenu des difficultés évoquées ci-dessus.
Il apparaît nécessaire de produire un effort massif d'information
à la fois sur la copie privée numérique, mais aussi sur
les conséquences pratiques d'implémentation des mesures
techniques. Il serait donc particulièrement opportun de mettre en place
une signalétique harmonisée du périmètre de la
copie privée. L'information doit notamment viser deux objectifs : une
information sur le périmètre de la faculté de copie
privée et une information sur la mise en oeuvres des mesures techniques
de protection des supports optiques et leurs effets en termes de «
jouabilité ».
Les techniques
mises en oeuvres pour limiter la copie d'oeuvres fixées sur support CD
Audio ne peuvent que s'éloigner du standard du CD Audio : il est
alors difficile d'évaluer la nature des difficultés de lecture
rencontrées, car elles manifestent un fort caractère
aléatoire, selon les types d'appareils, de mesures techniques de
protection, de systèmes d'exploitation.
Néanmoins,
un logo pourrait faire son apparition sur les CD audio206(*). Son rôle :
signaler la présence d'un procédé anti-copie. L'initiative
vient de la Fédération internationale de l'industrie
phonographique (IFPI), qui regroupe 46 syndicats professionnels nationaux,
dont la RIAA207(*), aux
Etats-Unis, et le SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique),
en France. « Ce nouveau logo est facultatif. Il est à la
disposition des éditeurs et des distributeurs qui souhaitent informer
les consommateurs que leurs disques incorporent des technologies de
contrôle de la copie », indique dans un communiqué
le président de l'IFPI. « L'objectif est d'avoir une
communication harmonisée pour l'ensemble de l'industrie
phonographique ».
Le logo de
l'IFPI
En France, BMG et
Sony n'ont pas attendu ces recommandations pour développer leur propre
signalétique. Les deux éditeurs ont aujourd'hui massivement
recours à des procédés de protection contre la copie. L'un
comme l'autre jouent la carte de la transparence : « on
a la volonté d'avoir une signalétique très claire, en
français, et explicite pour les consommateurs. Tous nos disques
protégés comportent un logo indiquant qu'ils ne sont pas lisibles
sur ordinateur », déclare le directeur commercial de BMG
France.
Après avoir
vu les problèmes d'incompatibilités avec certains appareils de
lecture, se posent à présent les difficultés de lecture
d'une oeuvre d'un support à un autre : on parle alors
d'incompatibilité entre les différents formats
propriétaires.
* 195
http://www.quechoisir.org/Position.jsp;jsessionid=F104DADCE2227D75743CF2200FC3968E.tomcat-21?id=Ressources:Positions:FCE25198CFCECDB6C1256F700036724B&catcss=POS
* 196 P. Andrieu,
« Les mesures techniques de protection »,
Encyclopédie juridique des biens informatiques / Droit d'auteur et
droits voisins (
http://encyclo.erid.net/document.php?id=318#tocto3).
* 197 P. Andrieu,
précité.
* 198 Benoît Tabaka,
« La Foly de la protection du consommateur ou quand le juriste
attrape la Liane tendue par le juge », Juriscom.net.
* 199 Arrêt du Tribunal
de grande Instance de Nanterre du 24 juin 2003, 6e chambre,
Association CLCV c/ SA EMI Music France. Communication Commerce
électronique, 2003, commentaire n°86, note P. Stoffel-Munck (
http://www.juriscom.net/actu/visu.php?ID=268).
* 200 F. Sardain,
« Le public, le consommateur et les mesures techniques de protection
des oeuvres », Communication Commerce électronique, mai 2004,
n°5, étude 12.
* 201 Rappelons que l'article
1641 du Code civil impose au vendeur de garantir l'acheteur contre les
défauts cachés de la chose qui en empêchent un usage
normal. A cet égard il ne fait pas de doute que
« l'impossibilité de lire un CD sur un autoradio constitue
une impossibilité à l'usage normal d'un tel
bien ».
* 202 Cour d'appel de
Versailles du 15 avril 2005, Mme Marc et UFC Que Choisir c/
société EMI France : Juris-data n°2005-268185.
Communication Commerce électronique, novembre 2005, commentaire
n°173, p.30 à32, note C. Chabert. Voir aussi : Revue Contrat
Concurrence Consommation, mai 2005, commentaire n°101, p.33 à35,
note G.R.
* 203 Au mois d'octobre
2003, alertée par l'UFC-Que choisir la Direction
générale de la concurrence de la concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes (DGCCRF) de Nanterre a ouvert une
enquête sur des CD protégés d'EMI et commercialisés
par la Fnac. Les tests menés par la DGCCRF sur plusieurs autoradios
différents, ainsi que l'étude approfondie du « Red
Book » de Sony et Philips, sorte de norme
définissant la composition d'un CD, auraient permis de retenir
l'existence d'un défaut structurel, dû à la mise en place
de systèmes anti-copie et plus particulièrement, à l'ajout
d'une session de données en plus du contenu musical. Sur la base de ces
constatations, la DGCCRF a saisi le Parquet de Nanterre. Après avoir
été entendu au mois de mars 2004 par le juge Philibeaux en
qualité de témoins assistés, Eric Tuong-Cong,
président d'EMI France et Rodolphe Buet, directeur de la
musique et de la vidéo du groupe FNAC ont finalement été
mis en examen le 31 juillet 2005 pour « tromperie sur la
qualité substantielle d'un bien ».
* 204 Cour de Cassation,
1er civile, 28 février 2006, Studio Canal et Universal
Pictures c/ Perquin et UFC Que Choisir : Juris-data n°2006-032368.
* 205 C. Vilmart,
« Copie privée : il faut raison garder et appliquer la
loi », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, 23 mars 2006,
n°12, actualité 148.
* 206 Voir en annexe les
différents modèles de logo pour signaler la présence de
procédé anti-copie (annexe n°11)
* 207 Recording Industry
Association of America :
http://www.riaa.com/default.asp
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