Vue
Mémoire
lumineuse individuelle
Ouïe
Synthèse
Graphie-phonie
onde sonore
Commentaires : "L'activité mentale semble se
résumer à la maîtrise des mécanismes associatifs"
(COHEN, MAUFFREY, 1990).
Cette conception reflète l'idée de
l'époque qui partait du principe que pour savoir lire, il suffisait au
lecteur de connaître le phonème correspondant à chaque
caractère graphique, d'être capable de les associer et d'en faire
la synthèse pour accéder au sens par l'intermédiaire de
l'oralisation ou de la subvocalisation. De cette idée découlent
les méthodes syllabiques. Dans ce cas, comment ferait le lecteur pour
donner un sens distinct à des homophones comme "sent" "sang" "sans"
"cent"? De plus il est évident que lire un texte à haute voix
prend beaucoup plus de temps qu'une lecture silencieuse, ce qui prouve que nous
ne procédons pas uniquement selon ce schéma lorsque nous lisons.
"Déchiffrement/vocalisation apparaissent clairement comme un circuit
parasite dans l'accès au sens" (COHEN, MAUFFREY, 1990).
* Conception actuelle
Texte
écrit
Activité
Mentale B
Vue
onde
lumineuse
Mémoire
individuelle
Sens
Mémoire artificielle +/- éventuel
sillage sonore
subvocalisation
Commentaires: "Ce schéma n'exclut pas la
subvocalisation mais la nie en tant que précédent la prise de
sens" (COHEN, MAUFFREY, 1990).
Dans ce cas, le lecteur en attente de signification devant un
texte écrit, ce qui implique déjà une attitude qui n'est
pas évidente et innée, émet des hypothèses qu'il
vérifie à l'aide de quelques indices graphiques sans passer par
une oralisation ou une subvocalisation systématique de toutes les
syllabes.
Ce schéma peut fonctionner lorsqu'il s'agit de
reconnaître un mot que le lecteur a déjà lu ou dont il peut
deviner le sens de manière indiscutable grâce au contexte. S'il se
trouve devant un mot qu'il n'a jamais rencontré sous sa forme
écrite, pour peu que ce mot ait une orthographe inhabituelle, il semble
qu'il soit obliger de passer par une correspondance grapho-phonétique
qui lui permettra d'accéder au sens si ce mot fait partie de son
lexique.
Ces deux conceptions ne semblent pas être suffisantes,
indépendamment l'une de l'autre, lorsqu'il s'agit de décrire ce
que fait le lecteur lorsqu'il lit. Depuis, d'autres recherches ont mis en
évidence deux processus distincts utilisés au cours de la lecture
pour accéder au sens.
"Les études concernant les mécanismes
d'identification des mots et leur développement ont montré
l'intervention des procédures basées sur des
représentations phonologiques." (ALEGRIA, LEYBAERT, 1988)
D'après des théories récentes
citées par J. LEYBAERT et J. ALEGRIA, lorsqu'on rencontre un mot
écrit, il y a deux façons d'accéder à sa
signification :
- la voie directe (ou processus "d'adressage") : le mot est
reconnu globalement et le lecteur passe directement du signifiant graphique au
signifié dans son lexique interne,
- la voie indirecte (ou processus "d'assemblage") : le
lecteur, devant le mot écrit, opère une correspondance
graphème/phonème et accède à sa signification en
utilisant des "routines déjà créées pour comprendre
la parole". Il fait appel dans son lexique interne à une image mentale
phonologique.
Des expériences ont montré une utilisation
fréquente de la voie indirecte chez les bons lecteurs face à des
mots peu courants, leurs performances ayant une relation avec leur
habileté à déchiffrer. Les mauvais lecteurs, peu rapides
dans l'exercice de la correspondance grapho-phonétique, se baseraient
plus volontiers sur le contexte pour tenter d'accéder directement
à la signification du mot rencontré avec un pourcentage d'erreurs
plus important.
La voie indirecte, même si elle n'est pas la seule
à intervenir dans la lecture, paraît fondamentale puisqu'elle
permet au lecteur d'accéder à la signification d'un mot qu'il n'a
encore jamais rencontré sous sa forme écrite.
1.1.2. Le comportement de lecteur
L'enfant, avant d'avoir commencé
à apprendre à lire tel qu'on le conçoit lorsqu'on parle du
cours préparatoire, a déjà une expérience de
l'écrit qui est présent dans son environnement. Selon le milieu
dans lequel il vit, son expérience va être plus ou moins riche. Un
enfant à qui on lit des histoires, qui voit des adultes utiliser
l'écrit dans la vie quotidienne, pour le plaisir de lire, pour
réaliser une tâche (recette, mode d'emplois, etc.), pour
s'informer, pour communiquer, va peu à peu prendre conscience de ce que
peut lui apporter l'écrit. Il va devenir curieux de l'écrit et
comprendre que cet écrit est porteur de sens, qu'il a différentes
fonctions et différents supports. Avant de savoir lire, il va pouvoir
émettre des hypothèses à propos d'un texte, d'une affiche,
se servir de certains indices comme la mise en page pour vérifier ses
hypothèses. Même s'il lui manque encore les éléments
qui lui permettront plus tard d'être autonome, il va développer un
comportement de lecteur dans le sens où il sera, devant l'écrit,
actif et en attente de signification.
Pendant les premières années d'école, il
est important de favoriser cette curiosité face à l'écrit
en proposant des activités autour de l'écrit, en l'utilisant dans
la vie de la classe, dans une perspective de communication avec les parents,
avec des correspondants, surtout pour des enfants qui dans leur milieu familial
sont, pour diverses raisons, moins en contact avec l'écrit.
Il semble qu'un des atouts de réussite dans
l'apprentissage de la lecture est que l'enfant ait très tôt un
comportement de lecteur, qu'il prenne conscience qu'on ne lit pas pour lire
mais parce qu'on en a besoin ou envie, qu'il soit curieux et actif face
à l'écrit, ce qui l'incitera à développer des
stratégies personnelles de recherche de sens.
1.1.3. Adaptation des stratégies aux objectifs de
la lecture
"L'un des sommets les plus importants que l'on puisse
atteindre en lecture est la flexibilité : lire de façon
différente quand les buts sont différents" (RUSSEL cité
par DOWNING, FIJALKOV, 1990).
Les compétences du bon lecteur se situent en effet,
pour une partie, dans la faculté qu'il a de choisir à l'avance la
stratégie la plus efficace par rapport au type d'écrit qu'il est
sur le point d'aborder. Si l'on s'accorde un instant de réflexion, il
est facile de constater qu'on ne lit pas un roman de la même façon
qu'un tableau horaire de train, que le menu du restaurant, que la facture de
l'E.D.F., etc.
Chaque type d'écrit a une fonction particulière
qui implique de la part du lecteur une démarche adaptée. S'il est
capable d'anticiper et de prévoir cette démarche, il gagne en
rapidité et en efficacité. Pour que la lecture ne soit pas un
exercice laborieux et ennuyeux, il est important pour le lecteur de pouvoir
extraire l'information dont il a besoin et uniquement cette information en
étant capable d'éliminer les éléments qui ne sont
pas, pour lui, porteurs de sens.
De plus, un même support d'écrit, ne se
prête pas toujours à la même lecture et c'est ce que le
lecteur attend précisément de cet écrit qui doit induire
la stratégie qu'il va utiliser.
On peut considérer que c'est entre le moment où on
développe chez l'enfant un comportement de lecteur et le moment
où il sera capable d'atteindre la flexibilité dont parle RUSSEL
que se situe la période d'apprentissage.
1.2. Approche psychologique et cognitive de la
compréhension
1.2.1. Le modèle procédural de la
compréhension
Nous allons maintenant aborder la question du traitement de
l'information d'un point de vue psychologique et cognitif : les
théories que nous décrirons sont en effet davantage
centrées sur les connaissances engrangées par le lecteur au
moment où il découvre un texte.
Un individu qui s'apprête à comprendre, n'utilise
pas directement les informations dans la forme conventionnelle du discours
écrit (ou oral). C'est par l'intermédiaire de processus
très complexes qu'il traitera ces informations. (VAN DIJK & KINTSCH,
1978)
Trois de ceux-ci sont intéressants :
- la sélection
- la hiérarchisation
- la coordination
La sélection : c'est un phénomène
qui permet à un lecteur placé face à un texte (ou un
discours) de prendre en considération certaines informations et d'en
délaisser d'autres.
La hiérarchisation : parmi la sélection
qu'il aura effectué, certaines informations deviendront dominantes
(celles qui réfèrent au thème général),
d'autres resteront secondaires ou mineures, c'est le phénomène de
hiérarchisation.
On peut supposer que la hiérarchisation varie en fonction
des connaissances du lecteur et en fonction du contexte dans lequel ces
connaissances ont été construites.
Le contexte culturel de l'individu, son origine, peuvent donc
jouer un rôle déterminant dans ce processus.
La cohérence : ces informations seront
organisées de façon définie. Cette organisation doit
respecter certaines règles de cohérence interne et de
cohérence textuelle, c'est le processus de construction de la
cohérence
Un sujet qui s'efforce de comprendre un texte (ou un discours)
reconstruit véritablement le sens et restructure de manière
très complexe les informations textuelles.
Cette construction s'opère à différents
niveaux :
- au niveau des macro-structures, c'est à dire des
informations dominantes. Ceci réfère à la théorie
de la structure et de la compréhension d'unités globales d'un
discours ou de discours en tant qu'ensemble.
Une macro-structure est une structure de signification globale
d'un texte (par exemple, je peux donner le résumé d'un texte).
Les auteurs parlent alors de macro-processus, permettent de sélectionner
et d'organiser les informations importantes de la base de texte pour former une
représentation stable et à long terme. Le résultat des
macro-processus est une représentation propositionnelle
condensée et hierarchisée des informations initiales du texte.
- au niveau des micro-structures, ceci
réfère à la théorie de la compréhension de
propositions et de séquences de propositions. Une micro-structure est
une structure de signification d'une information locale dans un texte (par
exemple je comprends une phrase, une proposition, je peux le résumer).
Les micro-processus agissent sur la construction de propositions
sémantiques et véhiculent une
représentation « littérale » du contenu
du texte appelée « base de texte ».
. Pour van Dijk et Kintsch «il n'existe pas de processus
unique de compréhension, mais des processus variables, dans des
situations différentes, chez différents usagers du langage et
pour différents types de discours» (1983). Nous voyons bien qu'il
s'agit là d'une conception différente de celle de Cohen-Mauffrey.
La psychologie, l'appartenance ethno-culturelle et langagière du lecteur
sont ici beaucoup plus marquées.
1.2.2. La notion de stratégies dans la
compréhension
Dans un ouvrage plus récent, les deux auteurs
s'attachent au traitement de l'information on line (Kintsch, Van Dijk, 1983).
Ils ne se centrent pas sur la représentation pour elle-même (le
« produit fini ») mais sur les processus qui mènent à
son élaboration. La lecture est considérée comme une
activité stratégique dont le but est la construction d'une
représentation cohérente. Cette construction s'élabore
à deux niveaux : celui des micro et des macropropositions, les secondes
organisant hiérarchiquement les premières. Parallèlement
à cette construction, le sujet élabore un modèle de
situation dans sa mémoire de travail (c'est-à-dire une
mémoire à court terme) qui constitue le référent du
texte lu. Il s'est bâti une représentation du monde, un
modèle mental, que la lecture du texte a suscité et qu'elle
alimente (Crinon, Legros, 1995).
Une définition de la stratégie, d'un point de
vue général, est donnée : toute stratégie mise
en place est motivée par un but à atteindre, lequel
nécessite souvent une série d'actions organisées dans un
même plan d'action. Ainsi l'on peut parler de macro-action de même
que l'on parle de macro-proposition. Dans le traitement de l'information, le
lecteur a également recours à des stratégies diverses pour
comprendre un texte ou un discours.
Les stratégies servant la compréhension du
langage et des discours et utilisant les connaissances relatives à
l'organisation des textes et des discours, sont les suivantes :
- Les stratégies cognitives (même quand elles
portent sur des actions concrètes) sont le résultat d'un
processus mental contrôlé et ordonné, impliquant beaucoup
d'information (ce qui n'est pas le cas de toutes les activités
cognitives).
- Les stratégies langagières complète la
description du comportement verbal en termes de règles : les
règles stipulent ce qui est correct de façon
général pour une communauté ; les stratégies
décrivent ce qui est effectif ; les règles sont abstraites et
formulées a posteriori pour des structures réalisées, les
stratégies permettent à l'individu de gérer une
tâche à plusieurs niveaux (tenant compte de plusieurs types
d'informations), de façon linéaire et avec des ressources
limitées.
- Les stratégies grammaticales utilisées pour
comprendre et produire les structures spécifiées par la
grammaire. On voit mieux la différence entre règles et
stratégies : l'individu utilise des stratégies pour traiter
l'information en temps réel, de façon linéaire ; les
règles s'appliquent elles à des structures entières,
achevées. Les stratégies grammaticales ne se fondent pas que sur
l'information grammaticale, elles utilisent d'autres sources d'information (le
contexte communicatif).
Les stratégies de compréhension du langage sont
ainsi hiérarchisées (de l'interprétation du contexte
général à celle de l'information de surface du texte) de
façon à fournir des suppositions efficaces, rendant une partie de
l'analyse stratégique des informations non nécessaire (au moins
jusqu'à ce que l'on rencontre de l'information contradictoire).
1.2.3. Le rôle des connaissances culturelles
dans la compréhension
Dans la perspective interculturelle de ce mémoire,
voyons à présent en quoi le traitement de l'information est
également conditionné par l'origine culturelle de l'individu.
Nous expliquerons dans le même temps l'importance des inférences
culturelles.
Les travaux de Van Dijk et Kintsch accordent effectivement une
place prépondérante aux srtatégies culturelles pour
comprendre un énoncé. Parmi les stratégies discursives,
elles prévalent sur les stratégies sémantiques, car elles
ont une action plus englobante que ces dernières. Elles correspondent
à la sélection d'informations culturelles pertinentes pour la
compréhension d'un discours. Elles sont très larges, et
impliquent des connaissances concernant des lieux, des structures sociales, des
types de discours, des valeurs, des connaissances, des croyances, des opinions,
des idéologies, des attitudes, des objets de référence,
etc.
Parmi les stratégies culturelles, on compte :
- Les stratégies sociales, impliquant des informations
sur la structure générale du groupe social, sur ses institutions,
rôles, fonctions, participants, genres de discours, etc. (on n'applique
pas les mêmes stratégies pour comprendre un texte juridique, la
réponse d'un ami dans une conversation, un étudiant au cours,
etc.).
- Les stratégies interactionnelles : l'allocutaire est
pris dans un processus de communication qui est une forme d'interaction
sociale, à laquelle il participe. Les intentions, buts, motivations du
locuteur dans le contexte interactionnel suscitent des attentes chez
l'allocutaire (dans le cadre d'un dialogue).
- Les stratégies pragmatiques (type de
stratégies interactionnelles) : compréhension et
prédiction d'une part de quels types d'actes de langage sont faits par
le locuteur, et d'autre part de leurs relations entre eux et vis-à-vis
du macro-acte de langage réalisé par l'ensemble de son discours,
des relations entre macro-actes, etc. Les stratégies pragmatiques
combinent des informations propres aux expressions (intonation, ordre des mots,
verbes, temps, etc.) et des informations propres au contexte. Le but est de
dériver du discours des actes de langage globaux.
En outre, les connaissances qu'un élève a
développées sur le monde qui l `entoure vont activer un
modèle mental auquel il va se référer pour traiter toute
nouvelle information délivrée par le texte. Ce modèle
mental est donc éminemment dépendant de sa culture d'origine. Si,
de surcroît, le texte lu fait référence à des
composantes de cette culture ou s'il en est directement issu, le modèle
mental n'en sera que plus riche. Les expériences menées à
ce sujet montrent que les sujets lisent plus vite les textes portant sur leur
propre culture et que la compréhension est plus fine.
Comprendre un énoncé (ou un discours), c'est
donc faire correspondre une représentation mentale, bâtie sur les
informations fournies par l'énoncé, à des informations qui
en sont absentes et qui font partie des connaissances du sujet. Ce dernier fait
donc des inférences lorsqu'il construit des informations non explicites
dans le texte afin de bien le comprendre (Giasson, 1996). La
compréhension fine d'un texte tient justement à cette
capacité chez le lecteur à inférer au-delà du texte
lui-même. Parmi les différents types d'inférences, les
inférences de type causal retiendront notre attention car elles offrent
une des variables de notre expérimentation. Avec elles, des relations de
causalité s'établissent entre les événements ou les
personnages. Les causes et les objectifs identifiés, le modèle de
situation trouve toute sa cohérence. La mémorisation du texte est
dès lors plus facile.
La compréhension relève donc du niveau cognitif
global du sujet, mais aussi du contexte culturel dans lequel il a
grandit ; contexte qui peut, le moment venu, être la source
d'inférences favorisant cette compréhension.
1.2.4. De la compréhension à la
production de texte
Nous venons de traiter de l'importance de l'origine culturelle
et de l'activité d'inférence dans la compréhension de
texte. Qu'en est-il de la production de texte ?
D'un point de vue théorique, on peut opposer deux
conceptions de la production chez le scripteur expert (CRINON J., LEGROS D.,
1997) :
De nombreux spécialistes l'envisagent en effet selon un
processus linéaire. « Ils considèrent que cette
activité implique un processus de planification, c'est-à-dire
d'activation des informations pertinentes du point de vue des buts du scripteur
et des contraintes de la situation, un processus de mise en mots et un
processus de révision. Ils se situent généralement dans
une perspective modulariste (Fayol, 1997). »
Pour d'autres chercheurs, les activités de
révision et de verbalisation s'opèrent en parallèle et non
l'une au terme de l'autre. Malgré les contraintes grammaticales et
linguistiques impliquées par la production d'écrit, les processus
en jeu seraient surtout d'ordre sémantiques. « La mise en mots
ou la linéarisation des représentations, et en particulier,
l'établissement de la cohérence sémantique locale et
globale entre les propositions verbalisées s'appuient sur les
règles en usage de la langue, mais aussi sur les informations
contextuelles, pragmatiques et épistémiques pertinentes qui
favorisent la récupération des connaissances disponibles sur le
domaine (voir Denhière et Piolat, 1988 ; Legros, & Baudet, 1996 ;
Zammuner, 1981). »
Cette dernière conception est celle qui donnerait le
plus de sens à notre recherche. L'activation des informations
pertinentes dans un texte de départ et la façon dont ces
connaissances sont activées seraient donc liées aux connaissances
mobilisées au moment de l'écriture. Cette relation est d'autant
plus déterminante qu'on a remarqué chez les apprentis scripteurs
des difficultés à activer suffisamment d'informations et à
trier les éléments les plus pertinents (CRINON J., LEGROS D.,
1997).
Au terme de ces quelques développements
théoriques, nous pouvons donc nous risquer à émettre au
moins deux hypothèses quant au résultat de notre
expérience :
- Le questionnaire activant les inférences causales
devraient favoriser la mobilisation de connaissances au moment de
l'écriture. Cela devrait contribuer à la pertinence de la
production.
- Le groupe d'élèves d'origine
maghrébine, à la lecture du conte arabe, devraient
développé un modèle mental plus riche, à
partir duquel ils activeront des connaissances au moment de l'écriture.
De même on peut supposer que leurs productions seront quantitativement
supérieures à celle du groupe d'origine française, voire
plus pertinentes.
2. Expérimentation
2.1. Méthode
2.1.1. Participants
La mise en oeuvre de cette expérimentation a
nécessité la participation de deux classes de Cours Moyen. En
effet, l'analyse des résultats est d'autant plus significative que
l'effectif de participants est important. Idéalement, il eut fallu que
les deux classes soient du même niveau. Or, il s'agissait d'une classe de
CM1 et d'une classe de CM2. Néanmoins, on peut juger que cet
écart n'a pas influé sur les résultats.
La classe de CM1 est une classe de l'école Pierre
Sémart, une école d'application de la ville de Saint-Denis. Le
nombre total d'élèves y est de 24 mais ils n'étaient qu'au
nombre de 21 ce samedi-là. Hormis quelques-uns d'origine subsaharienne,
on y compte à peu près une moitié d'origine
française (de par les deux parents ou de par un seul parent) et une
moitié d'origine maghrébine (de par au moins un des deux
parents). Le niveau de la classe est jugé moyen par l'enseignante. Aucun
d'entre-eux n'a de grosse difficulté en lecture.
La classe de CM2 appartient à l'école Roger
Sémat, toute proche de l'école Pierre Sémart, dans le
même quartier de Saint-Denis. L'ensemble des deux classes provienne donc
du même milieu social, de classe moyenne et de classe
défavorisée. Cette classe compte habituellement 25
élèves contre 20 le jour de la manipulation. Les sous-groupes de
population sont à peu près les mêmes que dans le CM1. Le
niveau de la classe est jugé entre moyen et très moyen par
l'enseignante ,en remplacement. Les deux classes comptent un bon nombre
d'enfants parlant une autre langue que le français à la maison
(des langues européennes et l'arabe).
Parmi ces 41 élèves, nous n'avons retenu que 33
sujets pour l'expérimentation : 6 élèves
n'étaient ni d'origine française ni d'origine maghrébine
et deux autres semblaient avoir mal compris la consigne concernant la
production de texte.
2.1.2. Matériel
Pour cette expérience nous avons utilisé un
conte arabe intitulé « Le roi coiffé d'une panse de
brebis » dans une version réduite. La tâche de
production consistait pour les élèves à produire la suite
du conte dont seule la première moitié leur a été
lue puis distribuée pour une lecture silencieuse (voir annexe 1).
Afin d'évaluer l'importance des inférences dans
l'activité de compréhension et de production, nous avons
déterminé deux sous-groupes d'élèves
répondant chacun à un questionnaire différent à
propos du texte. L'un portait sur les informations directement
délivrées par le texte ; l'autre faisait appel à des
connaissances extérieures au texte et devant activer des
inférences causales chez le lecteur :
Q1 : Questionnaire portant sur
les individus, objets présents dans l'histoire ainsi que sur les actions
ou événements
1. Qui est Haroun-al-Rachid ?
2. Qu'est-ce qu'un vizir ?
3. Qu'est-ce qu'une panse ?
4. Comment Haroun-al-Rachid parvient-il à gagner de
l'argent pour vivre ?
5. Combien d'années Haroun-al-Rachid garde-t-il sa
fausse identité ?
6. Qui est-ce qui répudie son épouse ?
7. De quel animal la brebis est-elle la femelle ?
Q2 : Questionnaire de type causal portant sur les
relations entre les événements (causalité du monde
physique) et/ou les actions (causalité intentionnelle) de
l'histoire
1. Quel est le rôle du vizir dans l'histoire ?
2. Comment Haroun-al-Rachid apprend-il sa
destinée ?
3. Pourquoi Haroun-al-Rachid se
retrouve-t-il habillé d'une panse de brebis et de
haillons ?
4. Pourquoi Haroun-al-Rachid ne veut-il pas être
reconnu ?
5. Pourquoi est-ce que le fait que le gendre du gouverneur
répudie son épouse est un événement
important ?
6. Pourquoi la fille du gouverneur doit-elle épouser un
autre homme et divorcer ?
La tâche distractive appelait les élèves
à remplir une fiche de renseignements (voir annexe 2).
2.1.3. Procédure
Ø 1ème étape :
Donner la consigne : « je vais vous lire
un conte jusqu'à la moitié, il faut bien écouter pour bien
comprendre et pouvoir répondre aux questions ».
Lecture de la moitié du conte par le professeur.
Ø 2ème étape : le
questionnaire
Les élèves travaillent sur les questions sans le
texte.
- Consigne : « Vous lisez ces questions et
vous y répondez. Si vous ne comprenez pas une question, vous levez la
main et je vous explique. Je vous laisse 10 minutes. »
- Partager la classe en deux :- un groupe va travailler
sur le questionnaire Q1
- un autre groupe va travailler sur le
questionnaire Q2
Ø 3ème étape :
Donner le texte à lire aux enfants.
Consigne : « vous allez lire vous
même le conte, il faut être attentif pour comprendre et retenir le
plus d'informations possible . »
Ø 4ème étape :
tâche distractive (5 min.) : fiche de renseignements.
Leur demander de remplir la fiche de renseignements :
âge, lieu de naissance, origine...
Ø 5ème étape :
Résumé (tâche dite « de rappel »)
Consigne : « vous allez réécrire
tout ce que vous avez retenu du conte. Je vous laisse 8 minutes .Si à la
fin vous avez oublié une information importante vous pouvez la
rajouter »
Ø 6èmeétape :
Production
Consigne : « vous allez
écrire la fin du conte vous-même. Je vous laisse 12
minutes. » Aide pour la transition : le maître relit la
dernières phrase de la première moitié du conte.
Ø 7èmeétape :
Lecture de la fin du conte par le professeur.
2.2. Résultats et analyses
Les productions de cette expérience exploratoire ont
été analysées du point de vue quantitatif et du point de
vue qualitatif. Le point de vue quantitatif renvoie au nombre de propositions
produites par les élèves, alors que le point de vue qualitatif
renvoie à la pertinence de ces propositions par rapport au début
du récit. L'évaluation selon les deux points de vue a
été codée en fonction de 3 indices.
Pour le point de vue quantitatif : 1 = de 0 à 7
propositions ; 2 = de 8 à 13 propositions ; 3 = plus de 14
propositions.
Pour le point de vue qualitatif : 1 = peu
pertinent ; 2 = moyennement pertinent : 3 pertinent/très
pertinent (voir annexe 3).
Les données ont été analysées
selon le plan : S< G2 * Q2 > * P2 dans lequel les lettres S, G, Q, P
renvoient respectivement aux facteurs Sujet, Groupe (G1 = enfants d'origine
française ; G2 = enfants d'origine maghrébine), Q (Q1 =
Questions sur la base de texte ; Q2 = questions sur les
inférences), P (P1 = nombre de propositions produites ; P2 =
qualité des propositions produites).
Les faibles effectifs, ainsi que le système de codage
adopté (de 1 à 3) ne permettent d'obtenir de résultats
très significatifs, cependant les tendances de cette expérience
exploratoire sont très intéressantes et valident les
hypothèses. Ils devront être confirmés en vue d'être
validés scientifiquement.
Les élèves du groupe 2 produisent davantage de
propositions que ceux du groupe 1 (2 vs 1,719) . les enfants qui ont lu le
début d'un conte issu de leur culture produisent une suite beaucoup plus
importante que les enfants du groupe 1.
Le type de questionnaire proposé favorise lui aussi
l'activité de production. Les élèves qui ont
été soumis au questionnaires sur les inférences produisent
plus de propositions que les élèves qui ont été
soumis au questionnaire sur la base de texte, c'est-à-dire sur les
définitions des mots du texte (2,059 vs 1,656), (F>1).
La tendance de l'interaction entre les facteurs
Groupe et Questionnaire est très intéressante.
Elle indique que les questions posées portant sur la base de texte n'ont
pas d'effet sur le facteur Origine culturelle. Le questionnaire Q1 en effet
entraîne une production de 1,667 chez les enfants d'origine
française et de 1,643 chez les enfants d'origine maghrébine. En
revanche le questionnaire Q2 entraîne une production de 1,786 chez les
enfants d'origine française, mais de 2,250 chez les enfants d'origine
maghrébine. Les résultats conformes aux hypothèses
permettent de supposer que les questions sur les inférences permettent
d'activer d`avantage de connaissances en rapport avec la culture d'origine des
élèves et que ces connaissances activées favorisent la
production des élèves d'origine maghrébine, voir figure
1.
Figure 1 : Effet des deux types de questionnaire
sur la production des deux
groupes d'élèves
L'aspect quantitatif de la production (1,939) tend à
être supérieur à l'aspect qualitatif (1,788) (F>1). Ce
résultat semble indiquer que les connaissances activées en
rapport avec l'origine du texte et l'origine des enfants favorise
l'activité de production plus que la qualité de la production.
Ce résultat tend à être confirmé
par l'interaction des facteurs Groupe et Type de production
(aspect quantitatif et aspect qualitatif). On observe en effet qu'il y a
très peu de différence entre l'aspect quantitatif et l'aspect
qualitatif de la production des enfants français (1,750 vs 1,688), alors
que chez les enfants d'origine maghrébine, l'aspect quantitatif est
beaucoup plus important que l'aspect qualitatif. Si ces résultats se
confirmaient, ils devront être interprétés avec prudence.
On peut en effet considérer que le codage qualitatif est en partie
déterminé par nos modèles de schémas de
récit influencés par les modèles
éthnocentrés, c'est-à-dire déterminés par la
culture occidentale dominante (voir Maître de Pembroke, Legros et Rysman,
2001 ; Legros & Maître de Pembroke, à paraître,
Noyau, 2002). Ce résultat en tout cas a des implications importantes au
niveau de la didactique du texte et au niveau de l'apprentissage
interculturel.
Figure 2 : Effet des questionnaire sur la
production des deux groupes d'élèves
La tendance de l'interaction entre les facteurs
Questionnaire et Type de production est aussi très
intéressante. Elle indique que le questionnaire sur la base de texte n'a
pas d'effet sur le type de production (Q1 Quantitatif : 1,625 ; Q1
Qualitatif : 1,688), alors que le questionnaire Q2 sur les
inférences entraîne une différence importante entre
l'aspect quantitatif de la production (2,235) et l'aspect qualitatif (1,882).
Figure 3 : Effet des questionnaires sur l'aspect
quantitatif et qualitatif de la production
2.3. Implications
pédagogiques
Les tendances observées résultent d'une
expérience exploratoire et devront être confirmées et
précisées dans un cadre expérimental plus large. La
participation d'un plus grand nombre d'élèves renforcerait ainsi
la validité scientifique de ces analyses. Toutefois, ces
dernières constituent une ouverture à la fois pour la recherche
sur la compréhension et la production interculturelle et pour la
didactique interculturelle du texte. Les avancées dans ce domaine
révèlent que des systèmes d'aide à la
compréhension sont envisageables, en agissant notamment sur le processus
de recours au contexte.
Dans cet ordre d'idée, il s'agit pour l'enseignant non
plus de travailler avec ses élèves uniquement sur le sens du
texte, sur les informations qu'il contient, mais davantage sur le sens que les
élèves lui donnent. En effet, il nous est apparu que le lecteur
accède particulièrement au sens du texte en activant des
connaissances propres à lui seul et qui enrichissent la
représentation mentale qu'il s'est construite. Favoriser ce type
d'activation, par l'usage de textes et de questionnaires ciblés, semble
donc propice pour pallier aux difficultés liées à la
compréhension. S'agissant de la production, notre travail a
confirmé que l'activité d'inférence est profitable
également à la tâche d'écriture. Notre
expérience se limitait à l'étude d'un premier jet, mais
d'autres recherches ont abouti à des résultats similaires,
à l'examen de révisions de productions.
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