Le régime juridique des étrangers au Camerounpar Martine AHANDA TANA Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie de l'université d'Abomey-Calavi de Cotonou au Bénin - DEA droits de la personne et de la démocratie 2004 |
CHAPITRE II : LES CAUSESNous avons essayé de démontrer dans les développements précédents qu'en fonction de la catégorie juridique à laquelle ils appartiennent (réguliers, irréguliers, réfugiés et apatrides) les étrangers ont des problèmes spécifiques. Il est important de savoir que les maux dont ils souffrent sont, en réalité, liés à l'incertitude du droit communautaire (Section 1) et de l'Etat de droit (Section 2). SECTION 1- LA FAIBLESSE DU DROIT COMMUNAUTAIRELa garantie des libertés individuelles peut s'avérer difficile dès lors que les normes (Paragraphe 1) et les institutions (Paragraphe 2) y relatives qui découlent du droit communautaires présentent des lacunes. Paragraphe 1- Le laconisme des textesL'insuffisance des règles qui définissent la condition des étrangers aux niveaux régional (A) et sous-régional (B) constitue une source des violations observées au cameroun. A) Les normes régionalesLe contenu des textes fondateurs du droit régional (1) ainsi que celui des instruments qui en fixent les mesures d'application (2) présentent des lacunes préjudiciables au statut des non-nationaux. 1) Les normes créant l'UATel qu'il ressort du préambule de son Acte Constitutif, l'UA s'inspire des principes et objectifs énoncés dans la Charte de la défunte OUA ainsi que dans le traité instituant la Communauté Economique Africaine (CEA). A ce titre, nous pouvons citer la libre circulation des ressortissants des Etats parties et leur droit d'établissement dans le territoire régional. Malheureusement, l'Acte constitutif n'a pas consacré ce principe fondamental de façon explicite. Aussi, nous avons l'impression que les Chefs d'Etats ont beaucoup plus pensé à l'élaboration d'un droit traitant spécifiquement des questions économiques et de la résolution des conflits en Afrique, plutôt qu'aux problèmes que peuvent rencontrer leurs ressortissants respectifs dans un autre Etat membre. Il n'est donc pas étonnant que les étrangers originaires de la région en l'occurrence, rencontrent des difficultés au Cameroun. Ces défaillances normatives sont également observables dans les règles qui déterminent les politiques de mise en oeuvre des missions de l' UA. 2) Les normes fixant les conditions de réalisation des objectifs de l'UAL'article 3(8) de l'Acte Constitutif précise que l'UA a entre autres missions, la promotion et la protection des droits de l'homme, qui incluent les droits des étrangers tels que garantis par la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples. Il est important de souligner que cet instrument présente deux défauts majeurs. En premier il ne proclame pas le droit de toute personne humaine à la vie privée ; aussi nous demandons-nous pourquoi l'étranger n'a-t-il pas droit à une vie privée en Afrique ? En second, le texte dont il est question, n'a pas prévu de droits intangibles ; comment interpréter ce silence ? A notre avis, si cette dernière question venait à être posée devant la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples, trois interprétations seraient possibles. Tout d'abord, il n'y a aucun droit intangible au niveau régional ; or, une telle conclusion paraît un peu trop hâtive car elle peut légitimer des atteintes aux droits fondamentaux des non-nationaux. Ensuite, tous les droits sont intangibles ; bien que cette opinion profite beaucoup aux immigrés, elle est, néanmoins, irréaliste. Enfin, la Commission va se référer au PIDCP ; en effet, étant donné que les textes régionaux sont censés se conformer aux normes universelles, elle appliquera son article 4(2) qui consacre les droits intangibles. Toutefois, cette dernière interprétation a également une limite fondamentale car certains Etats Africains n'ont pas ratifiés le PIDCP. Ceci étant, nous nous interrogeons sur l'attitude de la Commission face à la situation suivante : comment réagira t-elle en effet dans le cadre d'une plainte émanant d'un étranger à propos de la violation d'un droit intangible par un Etat non partie au Pacte ? En fin de compte, nous constatons qu'il est assez complexe d'interpréter le silence de la Charte Africaine. A ce titre, avec autant de lacunes dans l'élaboration d'un texte régional relatif aux libertés de la personne humaine et plus spécialement des étrangers, nous ne pouvons que nous interroger, comme l'ont fait de nombreux doctrinaires, sur l'intention réelle de ses rédacteurs : « les chefs d'Etat (...) n'ont-ils pas rédigé cette Charte pour aller à l'encontre des droits de l'homme ? La Charte Africaine sert les droits de l'homme oui ou non ? »163(*). Par conséquent, cet instrument juridique ne profite pas véritablement aux étrangers ressortissants de l'UA et encore moins aux tiers qui résident au Cameroun. Certaines normes sous-régionales se sont malheureusement inscrites dans cette logique. * 163 Propos de TITI NWEL (Pierre), durant les échanges et débats, IN MAUGENEST (Denis) et POUGOUE (Paul-Gérard), Droits de l'homme en Afrique Centrale-colloque de Yaoundé (9-11 novembre 1994), Yaoundé, UCAC-Karthala, 1995, pp.241-246. |
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