3.2- Trouver sa voie et choisir d'être
humain.
Ainsi, comme nous venons de le voir, se confronter à
l'autre et à son point de vue est une étape essentielle pour la
construction du groupe, mais également pour la construction de sa propre
personnalité, puisque tout au long du métrage carpentérien
les personnages vont effectuer un véritable parcours psychologique et
métaphysique, sortant nécessairement transformés de
l'espace filmique : ce que Linda Seger, script-doctor et scénariste
qualifie de manière général, et pas seulement à
propos de Carpenter, d' arc transformationnel. (21). Or, le Carpenter
cinéaste, tout aussi libertaire que le Carpenter citoyen, laisse la
possibilité à chacun de ses personnages de trouver se propre
voie, d'un côté ou l'autre de la barrière. Carpenter montre
bien que les deux voies, celle du Bien comme celle du Mal, existent ;
ainsi, dans Invasion Los-Angeles au personnage de Nada, l'exclu qui se
révolte contre le système répond celui du clochard
entr'aperçu au début du film et que Nada et Franck retrouvent
à la fin du métrage : celui-ci, en choisissant de collaborer
a rejoint, tout du moins le croit-il, « le camp des
gagnants ». Pourquoi résister, puisque, de toutes
manières, « they're running the whole
show ! » comme le fait remarquer l'un des
collaborateurs ?
Afin de prouver sa valeur ; en résistant, soit, mais
surtout en respectant un certain nombre de règles : pour Bertrand
Rougier (22), « au terme du film [Assaut], les survivants ne
devront leur salut qu'au respect d'un code d'honneur strict, basé sur le
courage, la loyauté et la confiance », au-delà des
préjugés. En résistant dans le respect de ce code
d'honneur, le personnage carpentérien prouve sa valeur, et dans un
même mouvement celle de l'Humanité, au contraire du Mal qui lutte
avec ses armes indignes, à savoir corruption (Le Prince des
Ténèbres), dissimulation (The Thing) et mensonge
(Invasion Los-Angeles). Cela implique donc un choix draconien pour le
personnage, choix qui engage tout son être dans un camp ou dans
l'autre : céder à la tentation et à la
facilité, comme les marginaux du Prince des
Ténèbres ? Ou accepter de sacrifier sa vie s'il faut
parce que l'on connaît le prix de l'Humanité, comme Catherine dans
Le Prince des Ténèbres ou John Nada dans Invasion
Los-Angeles ? Quel que soit la voie choisie par le personnage
carpentérien, le chemin sera long, difficile et possiblement
parsemé de choix erronés (Mac-Ready qui tue un homme sain et non
contaminé dans The Thing, acte pour le moins choquant dans la
perspective Hollywoodienne du Héros.) L'erreur sera de toutes
façons pardonnée au personnage tant qu'elle est motivée,
assumée responsabilisée ; ainsi note Rafik Djoumi (23),
« Mac-Ready n'est définitivement pas le
téméraire Snake Plissken », qui lui tue sans
sourciller. « Les personnages de The Thing ont peur. Aucune
des mises à mort n'est aisée, et un sentiment de consternation
bien palpable envahit le groupe après chacune d'entre elle. Il n'est pas
inutile de souligner, à ce titre, que seuls les responsables du groupe
(Garry tue le Norvégien, Mac-Ready abat Clark qui tentait de
l'agresser). » Tout ceci fait partie d'un parcours initiatique du
personnage carpentérien qui, face au mal, doit effectuer le choix
volontaire et conscient d'être humain.
Comme le relève Hélène Frappat (24),
« l'idée même de survie est profondément
ambivalente : les personnages carpentériens peuvent pour survivre
faire alliance avec le diable (tels les collaborateurs d'Invasion Los
Angeles ou de Vampires passés dans le camp des
gagnants), ou bien comprendre, au contraire, que la seule
véritable survie consiste dans une lutte à mort contre les forces
du démon. » Ces forces du démon, ce sont celles qui
menacent physiquement le héros carpentérien, mais
également la part de mal qui sommeille en chacun de nous et qui ne
demande qu'à se réveiller, Carpenter développant un
mouvement de focalisation progressif de l'extérieur (la menace physique)
vers l'intérieur (le combat moral interne) ; pour Carpenter (25),
« la chose la plus terrible avec le diable, quand il s'introduit dans
notre coeur, c'est que nous devenons des créatures, des animaux,
littéralement des démons, dans ce que nous faisons les uns aux
autres. Choisir d'être humain, c'est chercher la compassion, l'amour, la
passion, tous les jours, comme un travail de longue
Haleine ». « L'idée, dit-il encore, est que la
sauvagerie et la brutalité font partie de chacun d'entre
nous ». Finalement, ce que traduit Carpenter au travers de ce combat
physique contre la menace maléfique, c'est, de manière
métaphorique et pour ainsi dire psychanalytique, le combat quotidien que
chacun d'entre nous mène avec la part sombre qu'il porte au plus profond
de lui-même...
C'est toute la valeur de l'emploi par Carpenter de certains
plans subjectifs : ainsi dans l'ouverture du Village des
Damnés, l'arrivée des extra-terrestre est
représentée à l'écran par un de ces fameux plans
subjectifs. Dans l'un des derniers plans du Prince des
Ténèbres, le spectateur se retrouve subjectivement de l'autre
côté du miroir à contempler le personnage de Brian Marsh,
adoptant la place et le point de vue du fils de Satan (donc du mal). Dans
Halloween, Hélène Frappat (26) note que le
réalisateur « alterne les plans tournés du point de vue
du tueur et de ses victimes » et que « la créature
sans visage se dissimule derrière un masque car elle peut prendre
tous les visages : le tien, le mien - le nôtre. »
Forcé par le réalisateur d'adopter, même pour quelques
images, la place et le point de vue du Mal, le spectateur est
viscéralement, intimement frappé au plus profond par le discours
de Carpenter sur l'ambivalence fondamentale de l'être humain, fruit de la
réunion complémentaire d'Abel et de Caïn, du Bien et du Mal.
Carpenter conclue (27) : « mon père me disait :
« je me demande si Dieu n'est pas tout - le bien et le
mal ». C'est ainsi que nous sommes. Le mal est
partout. »
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