I- l'espace cinématographique: une
déclinaison du huis-clos.
1- un espace / temps par définition clos et
hostile.
1.1- un espace clos réel ou
métaphorique.
C'est sûrement la constatation la plus évidente que
l'on puisse faire sur l'ensemble de l' oeuvre carpentérienne: chaque
film a pour cadre un espace, ou une temporalité close.
L'espace tout d'abord: le commissariat d'Assaut, la base
scientifique de The Thing, l'église du Prince des
Ténèbres, le pénitencier de New-York dans New-York
1997, Los-Angeles dans Los-Angeles 2013... Autant de lieux clos,
fermés sur eux-mêmes, comme coupés du monde et dont il est
difficile de s'échapper. Cette utilisation de l'espace clos, où
l'assiégé se réfugie pour échapper à
l'agresseur, est une des marques les plus facilement identifiables de la
filmographie de Carpenter. On connaît sa fascination pour le
cinéaste Howard Hawks, et en particulier pour son Rio Bravo dont
Assaut est une réécriture officieuse mais
revendiquée. Comme nous le verrons plus tard, Carpenter accorde dans son
cinéma une importance capitale à l'observation de la nature
humaine: or quoi de mieux qu'un espace clos et fermé associé
à une situation de crise pour révéler la véritable
nature de chacun? C'est dans l'attente, la résistance et le combat que
l'on révèle ses doutes et ses failles puis qu'on les
dépasse. C'est une leçon majeure, peut-être la plus belle,
qu'il retiendra du maître du cinéma de genre. Bertrand Rougier (1)
définit ainsi Assaut: "une petite fratrie d'êtres
liés par le désir de survivre est emprisonné dans un
espace lui étant homogène: fermé, étranglé,
angoissant. Dans ce décor (le commissariat), la multiplicité des
angles de prises de vue, un montage heurté, l'exploitation des axes
obliques et des contre-plongées composent un espace dense,
heurté, vacillant". Dense, heurté, vacillant... A l'image
finalement de cette poignée de personnages amenés à
dépasser leurs différences originelles pour s'unir contre la
menace extérieure comme en témoigne le couple antinomique et pour
tout dire contre-nature que forment le lieutenant Bishop et Napoléon
Wilson, c'est-à-dire un agent de police noir et un criminel blanc. Cette
démarche de l'un vers l'autre sera la condition de leur survie à
mesure que l'espace se rétrécit et se referme sur eux (ville,
commissariat, cave). L'espace clos qui sert de décor est donc bien plus
qu'une simple commodité de scénario: placé au centre du
dispositif filmique (Carpenter en épuise toutes les ressources, tant au
point de vue du scénario que de la mise en scène) l'utilisation
de l'espace clos se révèle une donnée essentielle,
fondamentale et porteuse de sens. De la même manière, dans
New-York 1997 comme dans Los-Angeles 2013, le personnage de
Plissken est envoyés dans deux villes closes, véritablement
coupées du reste des Etats-Unis, où il est difficile d'entrer, et
d'où il est bien plus difficile encore de sortir. Pour Plissken, entrer
dans ces villes, c'est entrer dans des univers clos, régis par leurs
propres règles: il devra apprendre à identifier ces
règles, à comprendre le fonctionnement de ces micro-univers (voir
la scène de la horde cannibale dans New-York 1997, où une
femme explique à Plissken qu'il ne faut être dans cette partie de
New-York la nuit et que "tout le monde sait ça") et à surmonter
les épreuves qui lui seront soumises (l'épreuve du basket dans
Los-Angeles 2013), accomplissant par là même un
véritable parcours initiatique.
Cet espace clos peut-être également celui, cette
fois plus métaphorique, de la ville: non pas les villes closes de
New-York et de Los-Angeles dans New-York 1997 et Los-Angeles
2013, celles-ci étant concrètement et physiquement
coupées de l'extérieur, mais les villes ouvertes dont les
personnages carpenteriens ne peuvent pourtant pas s'extraire. L'exploitation
minière de Ghosts of Mars, ville fantôme d'inspiration
westernienne assiégée par les esprits de Mars revanchards. La
ville d'Haddonfield, Illinois où l'on fête Halloween:
malgré l'utilisation du format scope et des nombreux extérieurs,
le personnage de Laurie Strode semble écrasé, enfermé,
étouffé par ce cadre urbain. Pour développer cette
idée de huis-clos au travers même de l'espace urbain, Carpenter
compose soigneusement des cadres très géométriques, et
surtout utilise la notion de cadre dans le cadre pour ôter toute
possibilité de fuite au personnage de Jamie Lee Curtis. Une
fenêtre, un arbre, une voiture, tout élément du
décors peut-être utilisé pour limiter la marge de mouvement
de Laurie et donner le sentiment qu'elle est véritablement
prisonnière de cette ville que Michael Myers est revenu hanter. Pour
accentuer cette oppression, Carpenter prend bien soin d'associer
étroitement, presque organiquement la figure de Michael Myers à
la ville, comme dans les derniers plans du film, où des cadres de plus
en plus larges dévoilent Haddonfield, tandis que se fait entendre la
respiration caractéristique du tueur... Cette ville est sienne, et
Laurie est sa proie. La ville de Midwich dans le Village des
Damnés forme également un espace clos tout en étant
ouverte: on notera ainsi qu'on ne sort quasiment absolument jamais de la ville
ou de son environnement immédiat. Seul le personnage de Kirstie Alley a
de rares contacts avec l'extérieur. La ville semble coupée du
reste du monde, notamment en terme de communications, ce qui renforce encore le
sentiment d'une "ville laboratoire" développé par le sujet du
film, où les habitants et leurs enfants ne sont que des objets
d'étude observés "in-vitro". Une séquence en particulier
traduit très bien cette idée d'espace clos: juste après
l'invasion, tous les habitants sont plongés dans un profond sommeil. Or,
les secours envoyés peu après ne peuvent intervenir: dès
qu'ils dépassent une frontière invisible mais très
précise située à l'extérieur de la ville ils
s'endorment à leur tour: d'où l'idée très
drôle d'envoyer un policier attaché par une corde ramené
à l'extérieur dès qu'il vient de s'écrouler. A
peine tiré hors de cet espace "contaminé", le policier se
réveille aussitôt...
Enfin, on pourra également parler de l'inattendu
espace-clos du film l'Antre de la Folie. Bien sûr, le personnage
de John Trent voyage, de New-York à Hobb's End (ville maudite au centre
des romans de Sutter Cane, où l'on pénètre par un tunnel
après un voyage pour le moins étrange, et d'où il est
encore une fois, très difficile de repartir...) mais si la
réalité dans son entier n'est qu'une création du romancier
Sutter Cane, ne peut-on pas considérer que tout le film se
déroule dans un espace clos? Celui, métaphorique, de l'esprit de
Cane, démiurge, Créateur, et limite de toute chose...
La question de la temporalité enfin: dans New-York
1997, Snake Plissken, interprété par le fidèle Kurt
Russell, ne dispose que de 24 heures pour ramener le président
échoué en plein New-York, devenu quartier pénitentiaire
ultra-dangereux. Au-delà de cette limite, c'est, concrètement, un
homme mort. Même situation de "deadline" dans Los-Angeles 2013,
suite et remake assumé du précédent. Dans Vampires
, Jack Crow et Montoya doivent retrouver Valek le vampire avant que Katrina,
une prostituée mordue par celui-ci, ne soit complètement
contaminée... Par temporalité close, on entend donc l'idée
de moment limite au-delà duquel le héros carpenterien ne peut
strictement plus poursuivre sa quête. Ainsi, que ce soit dans l'espace,
temporellement, ou métaphoriquement, Carpenter travail sur l'idée
d'un espace filmique clos, propre à développer la tension qui
servira de révélateur pour ses personnages.
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